En échos aux évènements d’Al-Hoceima : L’Etat et le déterminisme géographique

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Les évènements s’expriment parfois, ça et là, par une voix territorialement circonscrite étant donné la nature fédérale de fond de l’Etat marocain depuis son émergence dans l’histoire. Un fédéralisme, avant le concept et le terme, déterminé par une interdépendance des ressources entre grandes régions d’une part (ce qui implique des termes d’échange renégociable périodiquement), imbriquée, d’autre part, sur une variation socioculturelle et ethnolinguistique indélébile très marquée

La géographie, les hommes, l’Etat et l’histoire

Les entités étatiques ancrées dans l’histoire, la géographie et le sentiment collectif, en tant qu’entités pour lesquelles l’histoire a prouvé l’existence d’une complémentarité vitale fonctionnelle entre les éléments de géographie naturelle, et les éléments humains avec leur culture dans sa diversité et qui offrent des opportunités réciproques d’échange de biens et services; ces entités là demeurent telles qu’elles sont, quels que soient les soubresauts accidentels des vicissitudes de l’histoire.

Dans cette optique, et dans son analyse explicative profonde des différentes variations qu’a manifestées ce qui est connu comme "Printemps Arabe", l’analyste, Robert D. Kaplan, a défini dans un article intitulé "Les ruines des empires au Moyen Orient" deux types d’états parmi ceux touchés de manières différentes et à des degrés différents par ce phénomène historique. Nous résumons ses propos sur ce point par traduction en ce qui suit:

-  Il y a des entités qui sont ancrées dans l’histoire comme berceau de civilisation spécifique depuis l’antiquité, et qui ont développé en tant que telles à travers l’histoire des formes d’identités séculières qui transcendent les ethnies et les confessions,  comme c’est le cas du Maroc, de la Tunisie et de l’Egypte (et le constat de la distribution de la densité des sites d’implantation romaine en Afrique du Nord le prouve : très denses en Algérie et en Lybie, et très peu ailleurs dans cet espace). C’est ce qui explique le fait que quoi que des pays comme le Maroc, la Tunisie et l’Egypte aient subi comme effet de ce "Printemps Arabe", l’entité de l’Etat n’y a jamais été menacée.

-  Puis il y a des espaces, la plupart au Moyen Orient, où des entités étatiques avec des identités ancrés dans l’histoire en tant que telles ne se sont jamais formées; et même si de telles entités ont vu le jour dans les temps modernes, cela demeure une simple parenthèse d’un reliquat de l’époque des empires coloniaux révolus (v. ICI).

L’Etat marocain compte donc parmi cette catégorie d’Etats qui est le résultat d’un déterminisme; celui de l’interaction entre géographie et histoire à travers l’action de l’élément humain. L’étendue territorial de cet Etat a certes connu, à travers cette interaction tripartite, des états de marrée haute et basse le long de l’histoire. Mais, tel qu’une rivière qui revient toujours en fin de compte dans son lit naturel quelles que soient la nature et la force des digues artificielles qui en détourne le cours naturel, cette étendue revient toujours et à chaque fois à son espace où l’élément humain définit et redéfinit les termes de la mise en œuvre de ladite complémentarité des opportunités de la vie et de peuplement, données par la nature. Il les négocie et renégocie âprement, à chaque phase charnière de l’évolution, pour apporter  les amendements nécessaires pour tout aspect de déséquilibre survenu dans ces termes d’échange de biens et de services dans l’édifice du 3umran au sens d’Ibn Khaldun.

Un  autre Etat, comme la France, fait également partie de ce type d’Etats aux assises géographiques et profondeurs historiques. Son étendue territoriale a pour sa part connu des états de fluctuations passagères à travers l’histoire en fonction des facteurs sociopolitiques en interaction avec les données culturelles régionales à l’échelle interne et avec la conjoncture à l’échelle régionale externe en Europe. Son histoire contemporaine a connu, par exemple sur ce plan, des problèmes plus ou moins compliqués avec des pays/régions comme l’Alsace, la Loraine le pays Basque et la Corse.  A chaque fois, la nation française s’arrange pour rétablir les équilibres et retrouver l’intégrité territoriale de l’Etat.

De son côté, le Maroc moderne a vécu depuis le début du 20e siècle et jusqu’à nos jours beaucoup de cas pareils, comme résultats de l’interaction entre ce qui est d’ordre sociopolitique général et/ou de déséquilibres régionaux de toute sorte (y compris la répartition des élites) d’une part, et l’environnement régional et international d’autre part, marqué notamment par le colonialisme européen et son héritage. Les évènements s’expriment parfois, ça et là, par une voix territorialement circonscrite étant donné la nature fédérale de fond de l’Etat marocain depuis son émergence dans l’histoire. Un fédéralisme, avant le concept et le terme, déterminé par une interdépendance des ressources entre grandes régions d’une part (ce qui implique des termes d’échange renégociable périodiquement), imbriquée, d’autre part, sur une variation socioculturelle et ethnolinguistique indélébile très marquée. Ce n’est pas ici le lieu de s’étendre, en rappel, sur les détails des grands évènements de ce genre qui ont marqué le Maroc moderne, au Nord dans la première décennie du 20e siècle (la rébellion de Zarhouni), puis à partir de l’extrême Sud immédiatement après la conclusion du protectorat français (le mouvement d’Ahmed El-Hiba), puis au Nord à nouveau (la guerre de résistance anticoloniale d’Abdelkrim  Khattabi), puis à l’Est à la fin des années 50s (Addi u-Bihi dans le Tafilalt) et les évènement du Rif et en même temps le démantèlement de l’Armée de Libération qui s’était retirée qui demeurent encore aujourd’hui. du Rif vers le Sahara, puis au Sahara de nouveau depuis la moitié des années 70s avec des aspects

Conditions de l’édification d’un état-nation moderne

Ce qui semble constituer une tare et un disfonctionnement dans le long chemin de la reconstitution de l’Etat marocain sur des bases moderne le long du 20e siècle, y compris et surtout depuis l’Indépendance jusqu’à nos jours, est l’absence, ou plutôt l’évacuation de la sphère de la conscience, des conditions de l’édification de l’Etat-nation territorial moderne. C’est une tare qui a caractérisé aussi bien la politique que la pensée dans leur interaction. 

-  La politique, dans son aspect gestionnaire et pratique fut marquée depuis l’aube de l’Indépendance par une vision classique des dimensions du centralisme de l’Etat, une conception qui réduit ces dimensions à une simple assurance de l’extension de l’autorité et de l’administration sur tout le territoire national, pour assurer l’ordre et la sécurité publiques et garantir en même temps les ressources de financement de cette administration centralisée et concentrée à outrance. Cette même politique, dans son aspect de jeu entre différentes parties impliquées et dans le cadre de la même conception de l’Etat centralisé, demeure le long des décennies, et jusqu’à nos jours, régie exclusivement par un seul souci, celui de l’architecture des pouvoirs (la Constitution) et les mécanismes d’accès à la répartition des pouvoirs que la constitution dévolue aux institutions issues des forces partisanes (lois électorales, découpages, lois de partis, seuils de constitution et/ou de participations, etc.).

-  Quant à la pensée moderne, au sens large dans les domaines de l’idéologie, de l’éthique, de la philosophie de la connaissance, de l’éducation, de la littérature et des arts, qui ne s’est en fait pas formée selon sa propre dialectique intellectuelle interne, mais qui s’est développée plutôt en tant qu’émanation sublimée de l’engagement politique dans les deux sens de gestion et d’enjeu; cette pensée a constitué, tout le long de la même période, une antithèse paradoxale parallèle de l’esprit d’un Etat central. La nature antithétique de cette pensée ne tient pourtant pas, loin de là, du fait qu’elle se serait attelée à la tâche de développer des valeurs éthiques, philosophiques, esthétiques et autres, qui sont de nature à murir, dans les consciences, les conditions nécessaires à l’édification de l’Etat-nation territorial moderne avec tout ce que cette édification nécessite comme vertus inclusives des dimensions régionales rééquilibrées et de la diversité socioculturelle et ethnolinguistique qui confère justement sa spécificité à l’Etat-nation. Une telle vertu inclusive est nature à rendre l’état central une instance bénéfique pour tous les citoyens et, par là, nécessaire, au lieu d’être perçu et supporté, bon gré mal gré, comme un simple appareil coercitif de drainage et de transfert de biens matériels et de services vers le centre, horizontalement et verticalement, et d’extension de valeurs symboliques unidimensionnelles pour légitimer son autorité en la dotant d’une idéologie aliénante.

Au contraire, cette pensée, dans sa globalité et dans le sillage idéo-politique dont elle est l’émanation sublimée, n’a fait, à travers ses manifestations académiques (toutes disciplines confondues des S.H), éducatives, artistiques, journalistiques et symbolique (toponymie et onomastique) que diluer la conscience nationale et la neutraliser, durant des décennies et encore aujourd’hui, dans une nébuleuse d’appartenances identitaires utopiques et fantaisistes. Ces appartenances entretenues et nourries dans les consciences des générations font percevoir en fin de compte l’entité d’un Etat-nation territorial comme un simple handicape, provisoirement consenti, sur le chemin de l’avènement  des différentes entités utopiques successives de type transnational qui vont à l’encontre de la géographie, de l’histoire et des nouvelles donnes et impératifs de l’engagement dans l’époque moderne et de ses échanges.

Presque toute la production de la pensée marocaine au 20e siècle et jusqu’à aujourd’hui s’inscrit dans cette esprit, qui interagit, comme il a été dit, mais de façon paradoxale, avec la politique en tant qu’enjeu entre parties impliquées. C’est une pensée de ce type qui crée tous les arguments et tous les alibis de la surenchère politique, quel que soit le plan ou le secteur (équilibres régionaux, éducation,  langues et culture, code de famille, libertés publiques et individuelles, etc.).

Renégocier les termes d’échange matériel et symbolique

Selon la conception déclinée dans les paragraphes précédents, il ne devrait pas y avoir de quoi trop s’inquiéter ni sur quoi s’apitoyer après coup quant à l’avenir de l’Etat marocain à cause de ce dont souffre le Maroc dans son flanc nord. Il ne s’agit là que d’un énième cri d’alarme pour renégocier les termes d’échange matériel et symbolique au sens large entre le centre et les régions avec leurs spécificités culturelles, qui demandent à cesser d’être des traits de minoration et des dimensions de stigmatisation au plus hauts niveaux dernièrement, et à être plutôt, non plus seulement tolérées, ni même pas encore acceptées comme une contrainte consentie, mais pleinement appropriés dans leur diversité avec fierté nationale, comme autant de biens immatériels enrichissants qui immunisent, en plus, contre toutes les idéologies et pouvoirs envahissants. C’est de cet œil qu’il faut voir et percevoir les choses et les évènements quel que soit le discours ou les forces qui surfent par-dessus ou par-dessous la vague. Seulement, encore une fois, ce n’est pas là quelque chose qui se décrète; c’est là une fonction de l’action de la production intellectuelle sur les consciences dans les domaines de la pensée philosophique, littéraire, et artistique à travers le système d’éducation et les moyens d’instruction.

Toute tendance, par contre, à laisser de nouveau le politique se saisir encore une fois des évènements comme prétextes et alibis pour se livrer au jeu du partage du gâteau du pouvoir entre politiciens professionnels risque de coûter très cher une fois de plus. L’intermédiation politique et civile entre l’appareil de l’Etat et les citoyens ne se réduit pas à un manège de secourisme arriviste. Elle a son propre temps ; c’est le temps ordinaire de tous les jours dans le terrain qui est celui de l’intervenant, quel que soit le rang, la responsabilité et la position (exerçant ou en opposition) de l’acteur politique, civil ou intellectuel partisan ou ‘engagé’.

* Mohamed Elmedlaoui, chercheur, est un linguiste berbérisant, arabisant et hébraïsant

 

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