Lettre ouverte : Qui arrêtera ''l’épidémie'' du plagiat à la faculté des lettres et des sciences humaines de Tétouan ?

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Abdelaziz Tribak interpelle la faculté des lettres de Tétouan

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Abdelaziz Tribak, écrivain et ancien détenu politique, est outré par un « plagiat » qui « s’est emparé de ses cours », pas moins de 80 pages, pour les inclure in extenso dans sa thèse de doctorat sans, au moins, la mention de la source. Dans cette lettre ouverte, il s’étonne des atermoiements de l’autorité universitaire compétente.

Au départ un site électronique marocain « Banassa » avait publié, le 11 février 2024, un article intitulé « Un plagiat honteux perpétré par un professeur universitaire de Tétouan … S’étant emparé, des cours du professeur Tribak, il les a inclus dans sa thèse intitulée « la politique coloniale espagnole et son rapport avec la presse 1912-1956 ».

Et ce Tribak-là, c’était bien moi. Le plagiat était en fait un simple « copier-coller » de quelques 80 pages de cours miens, transformés par des coups de clavier hâtifs et aveugles en un troisième chapitre de la « thèse » du plagiaire qui constituait le nœud de son « travail » pour décrocher un doctorat en Histoire !

En effet, un simple coup d’œil aux cours et à cette thèse, du « docteur » Anas E Yamlahi (puisque c’est de lui qu’il s’agit) suffit pour découvrir le plagiat, pas besoin ni d’experts ni d’une application spécialisée… Mes cours étaient, en fait, une traduction en arabe de ma thèse sur la presse nationaliste à Tétouan sous protectorat espagnol 1912-1952 ; recherche pour l’obtention d’un DES en journalisme (Isic, Rabat, 1998), dont j’ai tiré un livre distribué au Maroc, et intitulé « Presse et politique au Nord du Maroc de 1912 à 1956 » (Edité en 2017).   J’avais dispensé et distribué ces cours à mes étudiants des Masters à l’Institut supérieur de traduction, Fahd, de Tanger il y a des années. Et Anas El Yamlahi en faisait partie.

Une fois au courant, Anas El Yamlahi, devenu entre-temps professeur universitaire et une « étoile » montante (qui risque d’être filante) de la politique locale (Elu Usfp et vice-président à la commune de Tétouan, dirigeant local et national de l’Usfp ...etc.)  a tenté de me contacter, dont un audio louant mes « mérites » de professeur et m’incitant à faire « front avec lui contre les calomnies de l’article susmentionné, fruit de règlements de comptes politiques ». Bien sûr, j’ai refusé tout contact avec lui, car j’attendais autre chose d’un « délinquant littéraire » qu’une stupide théorie de la conspiration.

Etant en dehors du Maroc, pour un bon moment, mes moyens d’action étaient limités, toutefois j’ai été contacté par quelques journalistes curieux de savoir de quoi il s’agissait ou pensant mener une vraie enquête à partir de l’article de « Banassa ». Et c’est grâce à l’enquête du journaliste Rabie Raiss, du site « Tamouda24 » de Tétouan (et son article postérieur) que j’ai su que deux versions de cette thèse existaient à la bibliothèque de la faculté des lettres, l’une figurant dans un registre dactylographié, sous le numéro 63 en date de l’année universitaire 2018-19, donc l’année de la soutenance ; et une deuxième portant le numéro 66, et qui ne figure pas sur le registre de la bibliothèque, pour l’année universitaire 2016-17 (Et ce qui est bizarre, c’est qu’un autre registre, manuel cette fois-ci, comprend une thèse portant ce même numéro 66 mais pour un autre doctorat coiffé par le doyen de la faculté, Mustapha el Ghachi). Ces deux versions comportent toutes les deux la partie pillée dans mes leçons avec même quelques fautes de frappes.

J’ai pris, alors, contact avec le doyen de la faculté, Mustapha el Ghachi, pour le mettre au courant et lui fournir mes cours, ma thèse et mon livre. Il m’a demandé quelques précisions mais il ne m’a jamais parlé de l’existence d’une thèse différente de celle que j’avais.

Sur ce, j’ai appris que la présidence de l’Université Abdelmalek Saâdi a constitué une commission d’enquête sur cette thèse (On me dirait après que c’était en réaction à l’article de « Banassa », une semaine après sa publication). J’ai apprécié parce que c’était une démarche courageuse, et peut-être même inédite à l’échelle locale.

Puis, le 1er mars, j’ai envoyé une plainte officielle à la présidence de l’Université avec des documents à l’appui. On me mit tout de suite en contact avec la vice-présidente Mme Hinde Cherkaoui Dekkaki en charge du dossier et l’on vint, ainsi, à me fixer un rendez-vous pour passer devant la commission. Ce fut le 15 mars, et par vidéoconférence du fait que je suis à l’étranger.

Les membres de la commission m’ont assuré de leur neutralité et de leur intention d’aller au bout de la question. Toutefois ils m’ont annoncé ne compter que sur la version « officielle » fournie par le doyen le 19/02/2024, « soutenue et approuvée  au titre de l’année universitaire 2018-19 ». Cette version « a été diminuée » de plus de 150 pages, suite au refus par les professeurs encadrants de la mouture 2016-17 qui était en ma possession et qui n’était, donc, pas « officielle ». L’un des membres de la commission m’a dit que cette version « officielle » du doyen, de 208 pages, ne dépassait pas à première vue, les 20% du plagiat permis, mais que la commission allait remettre cours et thèse à des spécialistes pour déterminer avec précision le taux du plagiat.

Donc, l’affaire aurait été pliée ce 15 mars si je n’avais pas su, par une enquête de presse, qu’il existait une autre version toute aussi officielle, sinon plus, dans la bibliothèque de la faculté sous le numéro 63 et qu’elle était de plus de 380 pages avec les mêmes passages pillés de mon cours. Ce dont j’ai informé la commission, preuves à l’appui.

Sur ce, la commission m’a promis d’aller à la bibliothèque superviser cette version, et si nécessaire de demander à consulter la version que la faculté envoie par obligation au Centre National de la Recherche Scientifique et Technique à Rabat, pour archivage central.

La commission a tenu parole d’après le document qui m’a été envoyé le 4 avril 2024 par la présidence de l’université. Elle s’est rendue à la bibliothèque de la faculté, a demandé une copie de la version du Cnrst et a même consulté la version déposée par Anas el Yamlahi sur sa plate-forme de demande d’emploi. Et voici les conclusions de la commission selon une correspondance qui m’a été envoyée par la présidence (La traduction est à moi) :

« La thèse s’est diversifiée quantitativement et qualitativement (en ce qui concerne le nombre des pages et le contenu) ». En effet, selon la commission, en plus de « la version de 208 pages », année universitaire 2018-19, fournie par le doyen, il y a les passages concernant le plagiat fournis par mes soins, 2016-17, faisant partie d’un ensemble de 337 pages ; la version tirée de la plateforme d’emploi personnelle de Anas el Yamlahi, 2016-17 avec 336 pages ; la version portant le numéro 66 à la bibliothèque de la faculté, année 2016-17, 339 pages, fournie par le responsable de la bibliothèque de la faculté ;  la version portant le numéro 63 à la bibliothèque de la faculté, année 2018-19, 386 fournie par le responsable de la bibliothèque ; et la version déposée au Cnrst, année 2018-19, 386 pages.

Pour cette raison, dit la correspondance, « la commission s’est trouvée dans l’impossibilité de tirer des conclusions claires concernant le degré du plagiat, et la présidence de l’université a envoyé une lettre demandant à l’administration de la faculté des lettres et des sciences humaines, et au professeur concerné, des explications de cette diversification ».

J’ai adressé une lettre à la présidence, en date du 4 avril cherchant à comprendre. J’attends toujours la réponse.

Mais, j’estime légitime de poser les questions suivantes. Existe-t-il une version plus officielle que celle fournie au Cnrst par la propre faculté suite à l’approbation de la soutenance en 2018-19 ? Version de 386 pages donc conforme à celle officielle se trouvant à la bibliothèque de la faculté, et qui contient l’ensemble de la partie plagiée.

Pourquoi ne pas prendre la version très officielle du Cnrst comme base de comparaison avec mes cours et trancher dans le vif ?

Comment expliquer la présence de la version 2016-17 sur la plate-forme personnelle de l’emploi de Anas el Yamlahi, alors que cette version avait été refusée (entre autres pour plagiat d’un autre auteur) et que la soutenance n’a eu lieu que deux ans après ?

Et puis d’où sort cette version « raccourcie » du doyen, de 208 pages, version qui n’a pas de numéro d’ordre officiel, qui ne se trouve ni à la bibliothèque de la faculté, ni au Cnrst, ni sur la plate-forme personnelle de l’emploi de Anas el Yamlahi ? (Comment peut-on accepter une thèse de 208 pages pour un doctorat ?). En soulignant, encore une fois, que le doyen Mustapha el Ghachi ne m’avait dit aucun mot sur cette « version réduite de 208 pages » lors de nos échanges antérieures. 

Et puis que signifie la nouvelle démarche sursoyant à la commission d’enquête ? S’agit-il d’une procédure administrative qui aboutirait à un éventuel cheminement disciplinaire interne ? Ou tout simplement, pour une raison que j’ignore, ce dossier encombrant serait-il en train d’être fermé sur un « match nul » (qui n’en est pas un) ? Comment expliquer ce florilège de versions dont certaines très officielles, ayant le même nombre de pages et contenant la partie plagiée (celles du Cnrst et celle portant le numéro 63 à la bibliothèque de la faculté)? Comment se fait-il que cette version du doyen comportant 208 pages soit sortie ex nihilo, le doyen serait-il collectionneur de thèses ? Et que signifie une thèse de doctorat de 208 pages, le postulant serait-il un petit « génie » ? Ce qui n’est pas du tout vrai quand sa première version avait été rejetée par trois encadrants (dixit la commission d’enquête) et accusée, à l’occasion, de plagiat par un professeur encadrant, Mohamed Arahou en l’occurrence, pour une autre partie que la mienne (un vrai « serial-plagiaire ») ? 

J’espère avoir des réponses claires, et surtout des sanctions contre ce plagiat flagrant. Il en va de la réputation de notre enseignement et de l’avenir de nos futures générations qu’on ne pourrait livrer à des apprentis tricheurs.