''Llyali'': la quarantaine d'hiver où le grand froid donne vie aux champs s’animent

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''Llyali'', qui évoquent la nuit au pluriel, paradoxalement à une période où les journées s’allongent d’une à deux minutes quotidiennement

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Quid avec Abdellatif EL JAAFARI (MAP)

Dans la vie des Marocains et dans l'imaginaire populaire, ''les Nuits'' (Llyali) ou ''la quarantaine d'hiver'', sont liées à la rudesse du froid, mais aussi à des rituels et des traditions dont le charme compensait le temps glacial et réchauffaient les cœur et les corps. Achttata A wlad alharrata (Ô Pluie pluie, Ô enfant de paysans…) Ce chant populaire qu’entonnaient les enfants, annonçant les bienfaits et la bénédiction du ciel, en courant les rues dès les premières averses dans les villes comme dans les campagnes n’ont plus tellement court, acculés de plus en plus à l’oubli par les grandes mutations sociétales et urbanistiques.

Mais « Llyali » continuent de renvoyer fortement à une période climatique rude marquée par des pratiques et des rituels liés à la vie sociale et agricole des populations, mais qui perdent de plus en plus de leur sens qui combine la confrontation à la cruauté du climat et l'engagement dans une entreprise qui garantit la continuité de la vie et de sa chaleur.

Llyali"», qui évoquent la nuit au pluriel, paradoxalement à une période où les jours s’allongent d’une à deux minutes quotidiennement, commencent le 25 décembre de chaque année et prennent fin le deuxième jour de février. A cette période de quarante jours, les anciens ont attribué des noms suivant un ordre chronologique précis. La période de 20 «Nuits blanches", marquée par un temps glacial et des tempêtes (du 25 décembre au 13 janvier de l'année grégorienne), suivie de la période la plus froide de 20 "Nuits noires" (14 janvier-2 février).

Lylalis, rugueuses, introduisent de nombreuses restrictions dans la vie gens en vue de préserver la santé des citadins comme des paysans dans un pays où le chauffage n’est pas la règle. A la campagne, ce sont aussi les productions agricoles et leur capital animalier qu’il faut protéger du froid et des gelés. Les agriculteurs, qui adaptent leurs activités au rythme de cette période difficile de l'année, se préparent à cette saison comme on va à la guerre.

Si les rituels et les coutumes des "Llyali", tendent à s’estomper dans plusieurs régions du fait de la mécanisation et l’électrification, voire de la numérisation, ils préservent ailleurs toute leur importance dans la vie sociale.  

Dans certaines plaines ou dans les zones montagneuses ou désertiques, le règne du froid contribue à la préservation  de certaines pratiques agricoles traditionnelles et des rituels socio-culturels à travers la célébration de la première moitié de cette période, les 20 premiers jours de "Llyali" pour célébrer « yanayir alfilahi » (le janvier agricole) qui commence  le 13 du même mois de l'année grégorienne.

Un repas traditionnel avec des aliments spécifiques selon la région, marque le début de l’année agricole. Dans le sud-est, explique Abdelkrim Youssi, chercheur sur le patrimoine local à Zagora c’est, le "couscous aux sept légumes" et la viande.  Un plat chaud la nuit durant la période de "Llyali" que la tradition ancestrale a prescrit pour affronter le froid .

Le chiffre sept n’est pas le fruit du hasard. Sept légumes comme les sept jours de la semaine ou les sept cieux de la religion. La chose la plus importante dans le processus est que ce mets, précise A Youssi, est souvent préparé dans un plat traditionnel en argile. Il constitue un repas de nuit par excellence pour la plupart des familles après un « apéritif » de thé à l'absinthe.

Mais le mode de cuisson du couscous, pour important qu’il soit, n’est pas l’essentiel. C’est sa sémiotique qui compte. Le couscous aux sept légumes est un moment de solidarité et de cohésion où les légumes sont échangés entre les habitants et offerts aux familles qui n’en disposent pas. Mais même dans cette région, la préparation des coucous aux sept légumes encore présente dans les villages du sud-est, tend à disparaitre

Un des moments importants de la présentation du couscous, est l'atmosphère de joie qui l'accompagne en ce sens que les femmes placent soigneusement à l'intérieur d'un légume une petite clé et celui qui la trouve sera chargé de gérer les affaires de la famille durant toute l'année. Une sorte de galette des rois à la marocaine autrement plus significative puisque l’intronisation comporte de réelles charges.

Pour affronter le froid, l’arsenal ne se limite pas aux "Jellabas", turbans et manteaux de laine. Les femmes de Zagora procèdent aussi à la préparation d'un breuvage, le Tassabounte. Préparé à base d’herbes du désert mélangées à de la pâte de dattes, il dispense énergie et tonus.

Dans d’autres régions, on recourt un plat à base de poulet, la Tchicha. Bouillie de blé cuit avec du lait et du miel), dégustés avec des fruits secs tout aussi réchauffant que le Tassabount.

Plusieurs proverbes renseignent sur les préoccupations des paysans pendant cette période qui associent l’abondance des pluies, pour mieux les accepter, à l’abondance plus tard de l’herbe qui fait le bonheur des vaches et des laitiers et réjouit les chaumières auxquelles il va apporter beurre et lait.

Un proverbe exprime particulièrement dans l'imaginaire populaire les tracas et préoccupations des Lyalis. Il dit en substance que «les jours bénis sont ceux où la pluie tombe la nuit et s’arrête la journée » pour permettre aux paysans de satisfaire les exigences de la terre.