Le Hamas à Rabat : Bien plus qu’une visite à un parti ami

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Saad Dine El Otmani, secrétaire général du PJd, amis aussi chef du gouvernement, et Ismaël Haniyeh, chef du Bureau politique du Hamas

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La visite à Rabat du chef du Bureau politique du Hamas Ismaël Haniyeh suscite bien des interrogations. Au-delà d’un « échange fraternel » entre formations d’une même mouvance, elle recouvre des significations que Bilal Talidi démêle dans cet article 

La visite à Rabat du chef du bureau politique du Hamas Ismaël Haniyeh suscite bien des interrogations. Officiellement, cette visite intervient sur invitation du PJD, dont les dirigeants ont assuré qu’elle était à l’ordre du jour depuis six mois et n’a été possible que maintenant, une fois conclu le cessez-le feu entre la résistance palestinienne et l’armée israélienne, et une fois que sont intervenues la reconnaissance par Israël d’un changement des rapports de force en raison du développement des capacités militaires du Hamas, et la chute du gouvernement Netanyahou suivie de la composition d’un nouveau cabinet dirigé par Naftali Bennett.

Concrètement, le PJD bénéficiera de cette visite qui lui permettra de se défaire de l’image que lui ont accolée certaines mouvances islamistes et factions palestiniennes en raison de la normalisation. Aujourd’hui, Saad Eddine El Otmani peut se servir de cette visite pour faire taire ses adversaires qui ont tenté de nuire à l’image de son parti au sujet de sa position vis-à-vis de la cause palestinienne.

Le Hamas tirera sans doute des bénéfices de cette visite. Le mouvement considère que sa performance lors de la confrontation militaire l’a fait sortir de son isolement en lui ouvrant la voie politique et diplomatique. Il interprète la position marocaine comme un indicateur de l’échec des accords d’Abraham et du processus de normalisation. Selon lui, il n’y a plus d’alternative à la solution de deux Etats et à la création de l’Etat de Palestine sur les frontières de 1967, avec Al Qods orientale comme capitale.

Dans la partie qui se joue ainsi, Rabat a un calcul qui parait bien plus important que les deux précédents. Des indices laissent transparaitre  que cette visite, bien plus qu’une réponse à une invitation qui a été retardé avant d’être autorisée à ce moment précis, est un indicateur suffisant pour en déduire le scénario en préparation d’un rôle marocain attendu dans le conflit arabo-israélien.

Ce n’est pas la première fois que Rabat accueille des dirigeants du Hamas, autorisés à entrer au Maroc pour prendre part à un certain nombre de congrès et de différentes activités nationales pour le soutien de la cause palestinienne. Oussama Hamdane, Mohamed Nezzal, Mousa Bou Marzouk, Sami Abou Zouhri et Khaled Mechaal ont précédé Haniyeh sur invitation du PJD en 20012 et 2017.

Mais la visite d’Ismaël Haniyeh recouvre une dimension qui la différencie de celle de Khaled Mechaal. Outre la rencontre des partis politiques et des présidents de la Chambre des représentants et de la Chambre des conseillers, le séjour de Haniyeh s’est distingué par la visite de l’Agence Bayt Mal Al Qods, et par un dîner offert en son honneur à Kasr Diafa (Palais des hôtes). Sans pour autant qu’il ait des contactes publics avec des responsables de l’Etat, à l’exception du Chef du gouvernement, qui porte aussi la casquette de secrétaire général de parti. Haniyeh lui-même a fait allusion dans une allocution à une approbation qu’il n’a pas précisée, cependant facilement devinable. 

Une politique d’équilibre

La ligne politique de Rabat a préservé ses équilibres et confirmé la spécificité de son rapport avec la cause palestinienne. Il apparait ainsi que le rétablissement de relations avec Tel-Aviv va de pair avec la position du Maroc vis-à-vis des droits palestiniens. Et en même temps que le Roi Mohammed VI félicitait Naftali Bennett pour son élection au poste de Premier ministre d’Israël, la délégation du Hamas était autorisée à se rendre en visite au Maroc.

Cette politique équilibrée qualifie le Maroc à jouer rôle en gestation (une proposition, une initiative ou la constitution d’éléments de médiation indirecte entre les parties israélienne et palestinienne). Quatre indicateurs importants corroborent cette possibilité.

Le premier se rapporte au contenu du message royal adressé au nouveau Premier ministre israélien et à la teneur de la réponse de ce dernier. Les deux messages ont comporté une référence à la paix, le message de Bennett ayant même évoqué les efforts du Maroc visant à promouvoir la paix et la sécurité dans la région. Même si ces propos semblent convenus, ils revêtent une importance certaine dans le contexte actuel.

Le deuxième est que Washington, dans ses efforts d’établir un cessez-le-feu entre les deux parties tout en se concentrant davantage sur les rôles égyptien et qatari et relativement jordanien, n’a pas éludé le rôle de Rabat. Bien au contraire, les USA ont salué le rôle du Maroc, surtout que l’administration américaine était obligée, dans le sillage de l’agression israélienne contre Gaza, de modifier sa politique étrangère et de replacer la question du Moyen-Orient dans ses priorités.

Le troisième est que les développements de la confrontation militaire entre les Israéliens et les Palestiniens et l’inclusion de toutes les villes israéliennes dans la ligne de mire de la résistance palestinienne ont convaincu Washington et l’Europe de la nécessité d’intégrer le Hamas à toute négociation, ne serait-ce qu’à travers une médiation indirecte. Le besoin de diversifier les intermédiaires, surtout après les couacs ayant émaillé le rôle égyptien dans la gestion des négociations sur un grand nombre de dossiers entre les deux parties, se fait ainsi sentir avec insistance.  

Le quatrième indicateur enfin réside dans la nouvelle tendance internationale au sujet des préalables du processus de paix. Cette tendance fait prévaloir l’impossibilité de poursuivre avec la logique qui érige les négociations en un instrument de pression sur la partie palestinienne, exonérant Israël qui s’affranchit allègrement de tous ses engagements, sans hésiter àporter atteinte aux droits des Palestiniens et de violer les droits de l’Homme. 

Dans cette perspective, la question d’Al Qods, après les événements du quartier Cheikh Jarrah, est replacée au centre des négociations, ce qui autorise de croire que le Maroc est appelé à jouer désormais un rôle dans la remise dur rails du processus de paix au Moyen Orient.

La diplomatie sereine du Maroc et son aptitude à obtenir des résultats conséquents comme il l’a démontré dans le dossier libyen, outre sa volonté d’assurer son unité territoriale, permettent Rabat d’être éligible à un rôle diplomatique majeur. Ils lui permettent également de convaincre Washington que sa reconnaissance de la souveraineté du Maroc sur le Sahara ne constitue pas seulement une réponse aux défis sécuritaires dans la région sahélo-saharienne et une fenêtre pour les investissements américains en Afrique, mais aussi et surtout aide à la création des conditions pour un rôle marocain sérieux dans le processus de règlement du conflit au Moyen-Orient.

 

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