Quand je fus l’égal de Gorbatchev – Par Hatim Bettioui

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Après m’être présenté, le jeune homme ne m'a pas dit qui il était, et a insisté pour que j'accepte son invitation à prendre un café. J'ai décliné en raison de la charge de travail, mais il a insisté pour discuter avec moi d'une affaire importante liée au diplomate soviétique, se présentant comme un commissaire de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST).

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Soudain, je me suis retrouvé l’égal de Mikhaïl Gorbatchev, le septième et dernier président de l'Union soviétique.

Le mandat de Gorbatchev a été marqué par des tentatives de réformes, mais leur échec a conduit à sa démission le 25 décembre 1991 et à la dislocation de l'Union Soviétique qui constituait l'un des deux pôles de la Guerre froide. Cela s'est produit malgré un référendum décidé par Gorbatchev lui-même le 17 mars 1991 sur le maintien de l'Union comme un seul État fédéral. Et même s’il a recueilli l'approbation de plus de 75 % des participants, les vents avaient déjà tourné dans une direction que les votants n'avaient pas souhaitée. Le reste de l'histoire de l’implosion de l'Union soviétique est bien connu.

D’aucuns se demanderaient quel est mon lien avec Gorbatchev ? L'ai-je rencontré ? Avons-nous une relation d'amitié ou de camaraderie ? Celui qui lit le titre de cet article pensera certainement que j'ai été touché par une certaine vanité, présomption voire, peut-être, folie.

Une relation tendue avec la France

Le 2 décembre 1991, j'ai publié un article analytique dans le journal "Al Sharq Al Awsat", où j'affirmais que le Maroc, après avoir signé un traité d'amitié et de coopération avec l'Italie lors d'une visite officielle du défunt roi Hassan II à Rome entre le 25 et le 27 novembre 1991, a entamé une nouvelle phase. Celle de se défaire de la concentration de ses relations avec un partenaire spécifique, notamment la France qui avait longtemps détenu la part du lion dans les relations de Rabat avec les pays de l'Europe occidentale.

Le traité avec l'Italie est le deuxième du genre que le Maroc avait conclu avec un pays européen méditerranéen en cinq mois, le premier ayant été signé avec l'Espagne à Rabat en juillet 1990.

Peu avant, la campagne menée par les médias français contre le Maroc en 1990, sous prétexte de violations des droits de l'homme, avait atteint son paroxysme avec la publication du livre « Notre ami le roi » de l'écrivain français Gilles Perrault, portant atteinte de façon flagrante aux institutions constitutionnelles du Maroc. Cela a été suivi par le lancement de campagnes remettant en question la marocanité du Sahara. La « maestro » de cette campagne n’était autre que Danièle Mitterrand, épouse du président français de l'époque, François Mitterrand, ce qui a fait ressortir le degré de fragilité du partenariat maroco-français.

Ce contexte étant, le Maroc a pris des initiatives pour diversifier ses partenariats au sein du groupe européen, partenariats pour lesquels Paris n'était pas du tout enthousiaste.

Et dans le même article, était rapportée une visite imminente du roi Hassan II au Portugal, et la signature d'un traité similaire avec ce pays, instituant ainsi pour la France une forte concurrence de trois pays qui comptent au sein de la famille européenne.

L’appât Gorbatchev 

Jusqu’ici rien qui sorte de la routine de l’exercice journalistique. Sauf que le matin de la publication de l'article, j'ai reçu un appel téléphonique du chargé d'affaires de l'ambassade soviétique à Rabat (dont je ne me souviens plus du nom), qui m'a exprimé son admiration pour l'article et son désir de me rencontrer.

Le diplomate soviétique s'est entretenu avec moi en arabe classique. Après avoir échangé des salutations, j'ai appris qu'avant d'être affecté au Maroc, il avait travaillé à Aden (alors dans le Yémen du Sud) et également dans la capitale libyenne, Tripoli

J'avais le sentiment que quelque chose n'allait pas. Nous avions convenu d'un rendez-vous pour dîner dans un restaurant du quartier Hassan dans la capitale Rabat.

Lors de ce diner, le diplomate soviétique m'a surpris en disant après les salutations d'usage : '’Le président Gorbatchev écrit pour votre journal (Al Sharq Al Awsat), alors pourquoi ne pas écrire pour nos journaux soviétiques ?'

J'ai rapidement saisi l'allusion et mon instinct a répondu encore plus vite, je lui ai répondu : ‘'Malheureusement, j'ai un engagement légal et moral avec le journal pour lequel je travaille qui m'empêche d'écrire pour une autre publication'’. Il a alors essayé de contourner la ‘’difficulté’’ en me suggérant d’écrire ‘’une fois par mois, sous un pseudonyme et même de manière anonyme'’.

Le message était clair, mais je restais attaché à mon engagement légal et moral envers mon journal. Le diplomate soviétique a continué à essayer de me convaincre d'accepter l'offre d'écrire, au point de me demander d'écrire une fois tous les trois mois. Devant le maintien de ma position, notre dîner s'est terminé avec son espoir de nous rencontrer à nouveau bientôt.

Le renseignement intérieur s’en mêle

Deux jours plus tard, j’entrerais dans le bureau du journal situé rue Abou Faris Al Marini, quand j'ai entendu un jeune trentenaire demander après moi à l'accueil. 

Après m’être présenté, le jeune homme ne m'a pas dit qui il était, et a insisté pour que j'accepte son invitation à prendre un café. J'ai décliné en raison de la charge de travail, mais il a insisté pour discuter avec moi d'une affaire importante liée au diplomate soviétique, se présentant comme un commissaire de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST) .

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À ce moment-là, je n'avais d'autre choix que d'accepter son invitation, et nous nous sommes dirigés vers le café Milano situé près du bureau du journal, où je lui ai raconté ce qui s'était passé depuis l'appel téléphonique jusqu'à la proposition du diplomate d'écrire dans les journaux de son pays, en passant par la '’plaisanterie'’, qui devenait mauvaise à mon goût, sur mon association avec Gorbatchev dans Ashark Al-awsat.

L'officier de renseignement m'a remercié pour ma franchise et ma perspicacité, en soulignant que le diplomate soviétique avait impliqué de nombreux citoyens marocains, les faisant tomber dans le piège du recrutement sans qu'ils sachent où ils allaient.

Je lui ai répondu que j’avais bien saisi ses intentions dès que j'ai su qu'il avait travaillé à Aden et en Libye avant de venir au Maroc, et l’anguille sous roche ne m’était pas invisible.  

Mon histoire de parité avec Gorbatchev, que j'ai ainsi croisé sous la tente d'Al Sharq Al Awsat, s’est arrêtée là sans avoir d’autres relations avec autre que celle de l’observateur de sa vie politique et de ses nouvelles qui avaient empli le monde et occupé les esprits tout au long de son règne tumultueux.

Al Sharq Al Awsat, sous la direction de l'ancien rédacteur en chef, l’éminent Othman Al Omeir, publiait les articles de Gorbatchev, après avoir obtenu les droits de publication en arabe. Le promoteur des politiques de la Glasnost et de la Perestroika avait également accordé à ce même journal la première interview de ce type à un journal arabe, réalisée par Al Omeir lui-même.

Al Omeir avait visité l'Union Soviétique en 1990 et avait rédigé une série d'enquêtes, d'observations et d'interviews remarquables, allant de Gorbatchev et Edouard Chevardnadze à Ievgueni Primakov, et jusqu'au poète daghestanais Abdurassoul Hamzatov."

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Cette percée journalistique s'est produite à un moment où les relations diplomatiques entre Riyad et Moscou n'étaient pas encore établies.

Beaucoup considéraient la visite d'Al Omeir à Moscou à l'époque comme le premier pas d'un voyage de mille milles pour préparer le terrain à la reprise des relations soviéto-saoudiennes.

C’est dire que le journalisme est un monde sans barrières, un monde dont les frontières sont ouvertes les unes aux autres et entrelacées, un jardin rempli de fleurs et à la fois d'épines et de parasites. C'est ici que réside l'importance cruciale de la conscience et de la prudence dans le traitement des problèmes qui peuvent sembler simples et ordinaires en apparence, mais qui, en profondeur, peuvent conduire ceux qui ignorent ses règles, surtout les nouveaux dans le domaine de Sa Majesté la Presse, d’aller droit dans le mur, ce qui peut avoir de lourdes conséquences ;

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