L’impossible partition de la Palestine : 1/2 - Le plan du révérend Bush 1844 à la Nekba – Par Mohamed Chraibi

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Le terme « Nakba » désigne le nettoyage ethnique subi par les Palestiniens entre 1947 et 1949. Il est souvent utilisé sans traduction, avec la majuscule dans toutes les autres langues. Il revient massivement à l’heure où un génocide et un déplacement massif de la population sont toujours en cours à Gaza.

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Jean-Pierre Filiu, professeur des Universités en France et aux USA, spécialiste de la Question Palestinienne, vient de publier un livre intitulé « comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n'a pas gagné. Histoire d'un conflit (XIXe. – XXIe) » (Seuil, février 2024), riche en informations sur ce conflit, pour la plupart peu connues du grand public. Quid.ma reprendra les plus importantes pour la compréhension de ce conflit bicentenaire, dans une série  d'articles dont nous avons initié la publication dans un précédent numéro ( voir : Aux origines d’Israël, le sionisme chrétien) 

Lire aussi : Aux origines d'Israël : Le sionisme chrétien – Par Mohamed Chraibi

Le livre de de J.P Filiu s'ouvre sur une série de cartes de partition de la Palestine entre Juifs et Palestiniens, qui s’étend de 1844 à 2020. En deux articles, on le présente, précise le contexte de leur création et les commente. C’est un déroulé en accéléré l'histoire de la Palestine entre ces deux dates.

Le plan du révérend Bush 1844

Ce plan est cité ici pour mémoire, n’étant pas un plan de partition de la Palestine entre Juifs et Arabes mais de partage de la Palestine, « pays sans nation destinée à une nation sans pays », entre les douze tribus des descendants des fils de Jacob (plus tard appelé́ Israël). Chacune y reçoit une bande de terre qui va de la Mer (méditerranée)  au Fleuve (Jourdain), dont  la tribu des Lévites, en charge du culte,  qui se taille la part du lion autour de Jérusalem. Cette carte s'inscrit dans le contexte de l’expansion des États-Unis (qui ne comportaient que 15 états en 1844)  vers le Sud et l’Ouest  au détriment des populations indigènes. Les nouveaux états (qui seront par la suite intégrés au sein de l'Union) se voient attribués un territoire délimité par des courbes géométriques simples (sauf accident du relief ou cours d'eau important). Le découpage de la Palestine du révérend Bush reflète le même état d'esprit : négation totale  de la population autochtone et simplicité géométrique du découpage. Cette carte illustre un livre du révérend Bush, professeur d’hébreu à l’université de New York, intitulé « La Vallée de la vision ou la renaissance des os secs d'Israël ». Lequel révérend s’était fait connaître par sa « Vie de Mohammed », première biographie américaine du prophète, publiée en 1830 (encore en vente sur Internet au prix de $1650).  Mohammed y est considéré comme imposteur mais aussi « homme remarquable", donc tout à fait dans l'air du temps. Le révérend, pieux protestant bien entendu, n’était pas connu pour son affection des Juifs dont il n'en comptait aucun parmi ses proches. Pas plus philosémite qu'islamophobe, sa dévotion à la cause sioniste découlait de sa profonde piété protestante comme les évangéliques contemporains (voir précédente chronique sur le sionisme chrétien).

Le plan (mort né) de Wiliam Peel 1937

Il aura fallu les émeutes de Jérusalem (1920) et Jaffa (1921) pour que les Arabes de Palestine, totalement oblitérés dans la vision du révérend Bush qui influença beaucoup les sionistes juifs, deviennent tout d'un coup, visibles. Le congrès sioniste de 1921 déclare la volonté du peuple juif de « vivre avec le peuple arabe dans l’amitié et le respect mutuel…. ». Il serait prématuré de parler de partition de la Palestine en deux états égaux en droit,  alors que l’idée de création d’un état juif au lieu et place du « foyer pour les juifs » prévu par la déclaration Balfour avait déjà germé dans l’esprit, d’au moins, certains sionistes. Cette déclaration du congrès sioniste de 1921 doit être comprise comme offrant aux Arabes la perspective de former une entité ethno-religieuse, au sein de l'état juif, sur le modèle des « Millet » pour les non musulmans au sein de l’empire ottoman. Il faudra attendre les émeutes et la grève générale  de 1936 et le plan Peel (voir infra) qui s’ensuivit en 1937 pour que la partition de la Palestine entre juifs et Arabes soit sérieusement envisagée comme solution au conflit entre les deux communautés. Ce plan, du nom du président de la Commission Royale  Britannique pour la Palestine, Wiliam Peel,  conçu sur des considérations démographiques de bons sens, attribue aux Juifs les territoires à relativement faible densité arabe, c’est-à-dire le nord de la Palestine de la mer Morte à la méditerranée prolongée vers le Sud d'une bande côtière jusqu’ à Gaza (non incluse), soit environ le cinquième de la Palestine mandataire. Tout le reste étant imparti aux Arabes. Cette partition nécessitant le transfert de 200 000 Arabes vivant dans les territoires impartis aux Juifs contre, à peine, un millier d’Arabes dans l'autre sens est, naturellement, rejetée par ces derniers. De ce plan, les sionistes n’ont retenu que la reconnaissance de leur droit à un Etat au prix du transfert du quart de la population arabe sans contre partie. Deux idées ( État juif et transfert des Arabes) qui façonneront la pensée sioniste et, plus tard, la politique d’Israël vis-à-vis des Palestiniens.  Cette négation des droits des Palestiniens n’empêche pas la poursuite des déclarations lénifiantes à l’endroit des Arabes destinées à permettre aux sionistes de se concentrer sur la lutte contre l’administration britannique mandataire qui cherche à limiter l’immigration des Juifs en Palestine.

Le Plan de partage de l'ONU 1947

Au sortir de la guerre, l'ONU (créée en 45) est saisie du conflit israélo-arabe gelé depuis le début de la guerre. Bien que le plan de partage proposé avantage Israël  en accordant aux Juifs plus de la moitié de la surface de la Palestine alors qu'ils n’en constituent que le tiers de la population, ce plan est, sans aucun doute, le plus favorable aux palestiniens qui fût jamais envisagé. Le territoire du futur état palestinien est constitué de trois parties contiguës dont deux  situées dans la partie nord de la Palestine, de loin plus riche que le Sud. Il a un large accès au Jourdain et inclut les principales ville de Palestine (Naplouse, Jéricho, Ramallah,  Bethléem, Hébron et Beersheba). Jérusalem, placé sous mandat international, est sur son territoire. La troisième partie de ce territoire qui assure aux Palestiniens un vaste front marin comportant les villes de Gaza et Khan Younes, est bien plus vaste que la bande de Gaza actuelle, tant vers le Nord que vers le au Sud où il se taille une portion significative du Neguev le long de la frontière avec l’Égypte. Ce plan est approuvé lors du vote sur la résolution 181 de l'ONU, du 29/11/47, par 33 voix (dont celles des US et de l'URSS) contre 13 (dont 7 pays musulmans) et 10 abstentions (dont la G.B qui met fin à son mandat et évacue la Palestine le 15 mai 1948). Ce plan, accepté par les Juifs est rejeté par les Arabes avec les conséquences qu'on sait : création de l’état d’Israël en mai 48, guerre avec les états arabes voisins (perdue par les arabes et les milices palestiniennes). C'est la Nakba, la catastrophe. 

Demain : Du plan Allon aux Accords d'Oslo 1967

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