Brusque crise dans des relations franco-algériennes fragiles - Par Bilal TALIDI

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Amira Bouraoui, l’activiste qui roulé dans la farine la sécurité algérienne tous services confondus

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L’affaire de la journaliste et activiste Amira Bouraoui a mis à nu la fragilité des relations franco-algériennes et l’incapacité de l’accord de «partenariat d’exception», scellé fin 2022, lors de la visite à Alger du président Emmanuel Macron, de les immuniser contre les chocs brusques.

La crise est sortie au grand jour avec la convocation par Alger de son ambassadeur à Paris «pour consultations», tandis qu’une note du ministère des Affaires étrangères, inhabituellement tendre malgré ses apparences, adressée à la représentation française à Alger, Ramtane Lamamra n’ayant pas osé aller jusqu’à la convocation de l’ambassadeur, accuse les renseignements français de torpiller les relations bilatérales et menace de rompre les rapports avec la France. Une façon comme une autre d’essayer de préserver l’Elysée et la suite des évènements.

Des ‘’services’’ malmenés et une retenue inhabituelle 

Le ministère algérien des AE en formulant son communiqué avec beaucoup de prudence, a préféré parler de parties hostiles à l’Algérie au sein des renseignements français et du Quai d’Orsay, au lieu de s’attaquer frontalement à une position assumée de l’Etat français. Ce faisant, Alger tente de maintenir le lien dans l’espoir de redresser la situation à nouveau à la lumière de la réaction qui émanerait de la partie française.

Les détails entourant cette affaire révèlent que l’image et le prestige des renseignements et de la sécurité militaires algériens intérieurs et extérieurs ont été rudement malmenés, particulièrement en Tunisie.

Pour l’Algérie, la France n’a pas seulement infiltré ses services de sécurité et de renseignement en facilitant, via des agents internes, le passage de Mme Bouraoui en Tunisie, mais elle s’est également immiscée dans les relations algéro-tunisiennes, en permettant à la Tunisie de se soustraire à la pression algérienne et d’autoriser le voyage en France de l’activiste recherchée après avoir obtenu la protection consulaire de l’ambassade de France à Tunis. Un sérieux camouflet pour les services extérieurs algériens et une défiance claire de leur rôle dans un pays que l’Algérie croyait avoir mis sous sa coupe en raison du soutien qu’elle fournit au président Kaïs Saeïd.

Le Quai d’Orsay minimise

La France a réagi à la décision du rappel de l’ambassadeur algérien par un commentaire lapidaire pour assurer qu’elle continuerait ‘’à travailler à l’approfondissement des relations’’ entre les deux pays et le porte-parole du Quai d’Orsay a éludé toutes les autres questions. 

C’est donc à la presse locale, tous supports confondus, qu’est revenu le rôle de renvoyer la balle dans le camp algérien. La France n’aurait pas ainsi entrepris ses opérations en territoire algérien, mais dans un pays ami et souverain, en l’occurrence la Tunisie. Cependant que le journal Le Monde, la voix de son maitre, montait au créneau pour mener une attaque ad hominem sur la répression et ‘’l’Algérie qui bascule dans une nouvelle ère ‘’ marquée par ‘’la peur qui fait son retour’’, les autres médias expliquaient à l’Algérie que la France n’a accordé sa protection consulaire à Mme Bouraoui qu’après sa libération par la justice tunisienne et suite aux tentatives de son enlèvement par les renseignements algériens. La France avait en conséquence le droit, voire l’obligation, d’accorder sa protection consulaire à une ressortissante portant la nationalité française. Et si l’Algérie a un quelconque problème, ce n’est certainement pas avec la France, mais avec une partie de ses services de sécurité qui n’ont pas vu Mme Bouraoui sortir, ou pire, ont facilité la fuite de cette activiste hors des frontières.

Les explications parisiennes ne convaincront certainement pas la ligne de ceux qui au pouvoir ne voient pas d’un bon œil le rapprochement Alger-Paris, mais sur le fond c’est l’Algérie qui se retrouve dans l’embarras pour deux raisons. D’abord parce que Mme Bouraoui a certainement quitté l’Algérie au vu et au su des services de renseignement algériens, ce qui implique que ces services sont infiltrés par des parties étrangères. Ensuite parce que l’Algérie a remué ciel et terre, via ses services extérieurs en Tunisie, pour kidnapper cette activiste et la ramener au pays, et a exercé dans ce sens d’énormes pressions sur le président Saïed, confirmant par là même son ingérence dans les affaires intérieures d’un pays souverain.

La Tunisie a donné une qualification juridique différente au cas de cette binationale, qui s’est retrouvée sur son territoire. Fallait-il la considérer comme une Algérienne ou comme une Française ? La justice ‘’bien inspirée’’ est intervenue et Mme Bouraoui a été libérée en attendant une prochaine audience. Une ‘’aubaine’’ qui a permis à la France d’accorder à l’intéressée la protection consulaire et de ‘’demander’ l’intervention du président Saïed pour autoriser son voyage en France.

Mais au-delà des divergences juridiques entre les trois pays, cette affaire prend des dimensions sécuritaires très complexes, particulièrement pour les autorités algériennes et pour le prestige de leurs services de sécurité, de même qu’elles dévoilent l’ampleur de leur intervention en Tunisie, mais aussi leur inefficacité. Surtout que la question qui fâche consiste à savoir comment les services français ont-ils réussi à infiltrer leurs homologues algériens au point de faciliter le passage de Mme Bouraoui par les frontières algéro-tunisiennes, chose inconcevable sans une connivence contre les ‘’intérêts supérieurs’’ d’Alger ? Comment les services français ont-ils doublé en Tunisie les renseignements algériens fidèles à Al Mouradia (siège de la présidence algérienne), neutralisant du coup les pressions pour l’extradition de l’activiste vers Alger ? Et même si sa réponse est évidente, une question subsidiaire se pose : Pourquoi la présidence tunisienne a-t-elle cédé aux pressions françaises aux dépens des relations avec l’Algérie, le principal soutien du président Kaïs Saïed, en mal de légitimité politique en interne comme à l’étranger ? 

Entre l’enclume et le marteau, Tunis s’est protégé du marteau

La Tunisie n’avait en fait pas beaucoup d’alternatives devant les pressions qu’elle a subies de part et d’autre. Pris entre l’enclume et le marteau, deux pays qui lui fournissent le soutien politique nécessaire, le président Kaïs Saïed a cédé au mieux et plus offrant, ne pouvant naturellement que conclure que l’offre de Paris était supérieure à celle d’Alger qui devrait enfin comprendre que quelle que soit son influence actuelle en Tunisie, elle reste de troisième ou quatrième catégorie. Et l’Algérie, si elle veut maintenir ses positions au pays du jasmin, n’a plus qu’à gober la qualification juridique, potentiellement recevable, de Tunis.

La preuve en est que mis à part un mouvement bref de mauvaise humeur contre les transporteurs de marchandises tunisiens à la frontière algéro-tunisienne, on assiste à aucune quelconque escalade entre Alger et Tunis sur fond de cette affaire, même s’il est certain qu’elle laissera des traces. L’Algérie n’a pas convoqué son ambassadeur à Tunis comme elle l’a fait avec son ambassadeur à Paris, pas plus qu’elle n’a envoyé de note de protestation publique. Dans la foulée, le président Saïed a limogé son ministre des Affaires étrangères Othman Jerandi qui a cédé sa place à Nabil Ammar. Si le communiqué de la présidence ne donne aucune explication sur les raisons de ce limogeage, la presse tunisienne y voit l’ombre de l’affaire Bouraoui.

Le message de félicitations du ministre algérien des AE à son homologue tunisien fraîchement nommé laisse supposer que cette affaire s’inscrit dans le registre des relations franco-algériennes et n’impacte pas les rapports entre l’Algérie et la Tunisie. Mais tout porte à croire que l’Algérie n’aurait avalé la position tunisienne, la mort dans l’âme, et encaissé à contrecœur ce coup de poignard dans le dos que pour des considérations régionales très sensibles. L’Algérie ne voudrait à aucun prix retirer son soutien politique à Kaïs Saïed qu’elle cherche à maintenir sous sa coupe, car elle sait pertinemment bien qu’un président légitime en Tunisie ne servirait pas ses intérêts. En même temps, elle veut donner l’image d’un pays capable d’influer sur l’équation politique en Tunisie et qu’elle n’est pas prête d’accepter un autre coup du président Saïed allant à l’encontre de ses intérêts nationaux et de son influence croissante dans ce pays voisin.

Le ‘’souverainisme’’ algérien mis à mal

En contrepartie, l’Algérie n’a pas beaucoup d’options dans la gestion de cette nouvelle crise avec la France. En fait, elle n’en a que deux et sont très couteuses. La première consiste à oublier ou à faire oublier l’affaire Bouraoui afin de sauver les acquis de son «partenariat d’exception» avec l’Hexagone. Il s’agit d’un choix, soutenu par une partie du pouvoir, difficile à assumer puisqu’il risque d’enterrer toute la rhétorique autour du «souverainisme a fleur de peau de l’Algérie, et d’écorner irrémédiablement le prestige des services de sécurité et de renseignements algériens qui ont donné l’image d’un appareil infiltré par la France. La seconde option consiste en ce que l’Algérie fasse valoir son prestige sécuritaire et sa logique souverainiste, auquel cas elle sonnerait forcément le glas de son partenariat d’exception avec Paris et précipiterait leurs relations bilatérales privilégiées vers la rupture.

Une troisième option est toutefois envisageable et porte sur l’éventuel recours de la France à un «deal» : Mme Bouraoui se rendrait en Algérie, ne répète-t-elle pas qu’elle reviendrait bientôt dans son pays, histoire de sauver la face des services de sécurité algériens et de redorer le blason de la souveraineté du pays. Le temps que l’affaire soit oubliée, elle retournerait en France 

Il est visible, à travers cette affaire, qu’un profond tiraillement existe au sein de l’appareil du pouvoir en Algérie. Certains poussant avec force à la rupture, alors que d’autres (dont la face visible se trouve aux Affaires étrangères) tentent de maintenir le cordon ombilical, et préfèrent accuser des éléments au sein des services des renseignements français ou du ministère des Affaires étrangères, au lieu de s’en prendre de manière frontale aux autorités françaises. 

La déclaration faite par Mme Bouraoui à son arrivée à Lyon, selon laquelle elle n’était pas en exil et compte retourner bientôt en Algérie, laisse supposer que la France envisage d’explorer le deal précité quoique de manière unilatérale, sachant qu’il n’y a pas d’autre issue à ce dilemme cornélien. L’Algérie ne saurait compromettre ses relations avec la France au risque de pousser Paris à ‘’adoucir’’ la tension avec Rabat et de revitaliser par ricochets les relations franco-marocaines. Cependant, il lui est très difficile d’admettre que ses services de renseignements et sa souveraineté nationale deviennent la risée de tous à l’intérieur comme à l’étranger.

 

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