La révolution du Roi et du Peuple, ce n’est pas terminée – Par Naïm Kamal

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Depuis quinze jours, des émissaires venus des grandes villes répandaient dans la ville leur bonne parole : « Le vingt Août serait dans tout le Maroc le jour du grand soulèvement.» Des propagandistes visitèrent les tribus environnantes, afin de rassembler ce jour-là le plus de monde possible. Ils dirent aux fellahs que tout bon Marocain devait s’y rendre […] le vingt Août, ce fut une ruée des campagnes vers la ville. (Rapport de la gendarmerie française en date du 15 au 19 août 1955

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Par Naïm Kamal

Le 20 août 1953, le protectorat français qui s’est mué en colonisation, a eu la bonne mauvaise idée, pour consolider ce que l’on appelait à l’époque « l’administration directe », d’exiler la famille royale et de déposer le Sultan Mohamed Ben Youssef pour le remplacer par un pantin malléable. 

La France abjectement coloniale et son résident général à Rabat étaient alors loin d’imaginer que cette action accélérerait le mouvement inéluctable qui conduira à cette étrange notion ‘’d’indépendance dans l’interdépendance’’ - un concept qui s’effritera face à la détermination marocaine. Le déclin de cette idée commence dès le 30 juin 1959 avec la création de Bank Al-Maghrib. Le nouvel institut se substitue à la Banque d'État du Maroc, établie par l'acte d'Algésiras de 1906, de triste mémoire, dans le sillage des rivalités impérialistes. 

Dans la foulée, le 17 octobre 1959, est institué le dirham, nouvelle unité monétaire du Maroc indépendant en remplacement du franc marocain introduit en 1921. Cet acte de souveraineté suprême coupa définitivement le Maroc de la zone franc. 

Cet aboutissement est le fruit d’un long processus, dont la maturation a commencé dès l’entrée de la France et s’est poursuivi par la résistance à la pénétration coloniale, réprimée dans le sang par ce que Paris a appelé euphémiquement « la guerre de pacification » qui a duré près de 30 ans. Les victimes de cette guerre se comptent centaines de milliers, bien que leur nombre exact n’ait jamais été divulgué.  

Parallèlement, le mouvement national naissait dans les villes, accompagné de la guerre du Rif de 1921 à 1926, suivie du rejet sans appel du dahir berbère en 1930, de la présentation par le Comité d’action marocaine en 1934 du plan des réformes, du manifeste de l’indépendance en 1944, de la proclamation le 10 avril 1947 par Sidi Mohammed de sa volonté de voir le Maroc réunifié et indépendant. Il est soutenu dans cette revendication par la Cour de La Haye, qui réaffirme, le 27 août 1952, le principe de la souveraineté du Maroc. Bien avant cela, le Sultan, saisissant l’opportunité de la conférence d’Anfa (à Casablanca) réunissant en janvier 1943 les alliés, fait part au président américain Franklin Roosevelt de la détermination du Maroc à recouvrer son indépendance. 

Ce ne sont là que quelques jalons de la résistance marocaine qui culmineront avec la grève du sceau. Mohammed Ben Youssef qui deviendra Mohammed V refuse d’apposer l’estampille sultanienne sur les décrets français qui restent ainsi sans effet. La France, prétextant la rébellion de quelques caïds félons et manipulés, commet l’irréparable en exilant la famille royale en Corse, puis à Madagascar. C’est la révolution du Peuple et du Roi dont le Maroc célèbre dans quelques jours le soixante-dixième anniversaire.

Mais ce point de non-retour est précédé par de nombreuses manœuvres auxquelles s’opposent les patriotes marocains.  Pressentant ce qui se tramait, les Marocains entament à titre préventif la résistance. Le 15 août 1953, c’est la manifestation d’El Mechouar, esplanade du Palais sultanien de Marrakech. Le lendemain, ce sont les soulèvements du 16 et du 17 août 1953 à Oujda et Tafoughalt, deux épopées contre la mainmise coloniale. Trois jours plus tard, c’est la révolution du Roi et du Peuple. 

Partout au Maroc, c’est la confrontation avec les occupants et leurs forces. Les émeutes secouent Casablanca, se propagent plus tard à Oued Zem (1955), ou encore Meknès (1956). La colère face à l’insupportable touche toutes les localités. La résistance s’en prend aux intérêts coloniaux, attaque des magasins, des trains ou des occupants français. Les forces d’occupation françaises répliquent par une répression brutale. Des milliers de Marocains sont arrêtés et des centaines abattus. Des colons se ‘’font aussi justice’’, organisant des expéditions de représailles. 

Voici comment Perspective du Monde décrit alors la situation au Maroc : « Les émeutes [sont] organisées par des nationalistes marocains. Ces derniers appellent la population à une grève générale. Il y a des soulèvements à Rabat, Marrakech, Fez et, surtout, Casablanca qui devient un champ de bataille. Des actes de violence y sont perpétrés et le soulèvement dégénère en révolte ouverte. Les nationalistes placent des drapeaux marocains sur les mosquées alors que des femmes et des enfants descendent des bidonvilles vers le centre-ville, portant une photo du sultan exilé Mohammed ben Youssef dont ils demandent le retour. Alors que les troupes françaises se déploient, les jeunes nationalistes établissent des barricades, lancent des pierres et provoquent les légionnaires. Des coups de feu sont tirés. Les autorités françaises affirment que quatre personnes ont été tuées, un chiffre que des observateurs présents jugent conservateur. Les émeutes de Casablanca, dont l'envergure choque les autorités françaises, seront suivies par une autre révolte à Oued Zem, en août 1955. Après des négociations, le Maroc proclamera son indépendance l'année suivante ». 

Le 10 novembre 1955, La France se résigne au retour du sultan Sidi Mohammed. Le Maroc recouvre son indépendance le 18 du même mois et la fin du « protectorat » est proclamée en mars 1956. La fin d’une phase qui s’ouvre sur le néocolonialisme et sur de nouvelles batailles qui se poursuivent à ce jour.