Trop confiant, l’iranien Soléimani, chef des forces Al Qods, s’est fait abattre par les Etats-Unis

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Les assassinats vendredi par les Etats-Unis du puissant général iranien Qassem Soleimani, qui était en Irak comme chez lui  et du principal homme de l'Iran à Bagdad bousculent la donne et placent désormais l'Irak au bord du précipice, selon des experts.  Dès l’annonce du décès du général, le guide de l’Iran, Ali Khamaeini, a procédé à son remplacement par son second au sein des Forces Al Qods, le général Ismail Ka’ani.  

Le raid américain de la nuit "va déclencher une guerre dévastatrice en Irak", a réagi le Premier ministre démissionnaire irakien Adel Abdel Mahdi, en dénonçant l’agression de Washington contre son pays et en laissant entendre que Bagdad pourrait remettre en cause la présence des 5.200 soldats américains stationnés dans le pays.

Avec la mort du général Soleimani et de son lieutenant irakien depuis des décennies, Abou Mehdi al-Mouhandis, Washington espère décapiter la chaîne de commandement des forces pro-Iran en Irak: le premier était le chef de la force Al-Qods des Gardiens de la Révolution, spécifiquement en charge des affaires irakiennes. Quant au second, il était le véritable patron du Hachd al-Chaabi, une coalition de paramilitaires désormais intégrée à l'Etat irakien.

Longtemps aux abonnés absents face à la révolte populaire qui secoue depuis trois mois l'Irak, Washington a repris la main militairement, en visant celui --le général Soleimani-- qui présidait aux négociations pour la formation d'un futur gouvernement irakien préservant ses intérêts.

Dimanche dernier, déjà, des avions américains avaient bombardé "la troisième force de l'axe de résistance iranien au Moyen-Orient", les brigades du Hezbollah, faction irakienne membre du Hachd, faisant 25 morts et détruisant des stocks d'armes.

Quelques jours plus tard, un responsable américain avait annoncé que Washington enverrait "jusqu'à 4.000 soldats supplémentaires", pour partie au Koweït, "très probablement" pour entrer en Irak ensuite.

Soléimani était tracé par le renseignement américain 

Sans attendre, les Etats-Unis, qui ont renversé en 2003 Saddam Hussein pour installer un nouveau système politico-sécuritaire désormais noyauté par Téhéran, semblent chercher à "réorienter la politique irakienne", relève ce spécialiste.

La montée en puissance des pro-Iran et l'attaque de l'ambassade américaine à Bagdad ont attesté de la difficile position de l'Irak vis-à-vis de son appareil sécuritaire et de ses partenaires diplomatiques.

Dans l'immédiat, prédit Ranj Alaaldin, chercheur au Brookings Institution de Doha, des "purges" pourraient avoir lieu en Irak après la mort de deux des hommes les plus puissants du pays.

Les deux hommes qui ne devaient pas ignorer qu’ils étaient « tracés » par le renseignement américain étaient visiblement en confiance et se sentaient assez en sécurité jusqu'ici pour se déplacer au sein du même convoi dans un aéroport où forces de sécurité et compagnies privées tiennent des barrages à intervalles réguliers.

Peut-être que "l'Iran va avoir beaucoup de questions à poser aux Irakiens : comment les Etats-Unis ont-ils su pour l'arrivée de Soleimani à Bagdad ? Qui a fait fuiter l’information ?", selon Rami Alaaldin, mais il était de notoriété publique que le patron des Forces Al. Qods passait au vu et au su des Américains, plus de temps en Irak qu’à Téhéran et s’y déplaçait à sa guise.

"Meilleure carte" 

C’est tôt vendredi, trois jours après une attaque inédite contre l'ambassade américaine à Bagdad par des milliers de combattants et de partisans du Hachd, qui a dû rappeler aux Américains l’occupation pour une année de leur ambassade à Téhéran en 1979, des drones US ont visé plus précisément encore: ils ont pulvérisé les voitures dans lesquelles se trouvaient plusieurs hauts commandants de cet "axe de la résistance".

"Personne n'imaginait même que c'était une possibilité. Maintenant, tous les acteurs vont improviser, au moins à court terme, et c'est la recette parfaite pour des mauvais calculs", prévient Ramzy Mardini, chercheur au United States Institute of Peace.

Face à cette "escalade extrêmement dangereuse", selon les termes du ministre iranien des Affaires étrangères Mohammed Javad Zarif, se pose prioritairement la question de la réponse de Téhéran.

L'Iran ne peut pas réellement toucher les Etats-Unis sans risquer l'autodestruction. Mais il peut mettre l'Irak à feu et à sang", dit le spécialiste de l'Irak, Fanar Haddad.

Quand ? Comment ? Il est difficile de prévoir qu'elle pourrait être la réponse de l'Iran à la mort de l'une de ses figures les plus populaires, car il n'existe aucun précédent.

Mais une chose est sûre, assure  M. Marzini, l'affrontement est désormais frontal -les Etats-Unis ont d'ailleurs appelé tous leurs ressortissants à quitter immédiatement l'Irak.

"L'Iran ne peut plus utiliser ses lieutenants en Irak comme une couverture pour menacer et attaquer les intérêts américains sans risquer des représailles conventionnelles", affirme-t-il.

Depuis des années, Bagdad met en garde contre la possibilité que ses deux grands alliés ne se servent de son sol comme d'un champ de bataille où régler leurs comptes, dans un contexte de plus en plus tendu autour du dossier nucléaire iranien.

Et, aujourd'hui, explique M. Haddad , "les meilleures cartes de l'Iran sont en Irak": "si l'Iran a besoin de répondre et de marquer le coup, ce qui est à redouter, ce ne sera pas seulement avec des roquettes contre des ambassades mais avec ce qui pourrait prendre la forme d'un conflit majeur en Irak", avance-t-il.

Vendredi, avant même que le jour se lève sur Bagdad, un ex-chef des Gardiens de la révolution a donné le ton, appelant à la "vengeance" contre les Etats-Unis.

Puis le guide suprême a joint sa voix contre les "criminels qui ont empli leurs mains du sang" du général et des "autres martyrs".

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