Turquie : Sainte Sophie Musée ou mosquée, le chemin à l’envers de la Giralda de Séville

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Des visiteurs dans le Musée se Sainte-Sophie d'Istanbul, ancienne mosquée et ancienne basilique

Le plus haut tribunal administratif de Turquie a étudié jeudi une demande de reconversion en mosquée de l'ex-basilique Sainte-Sophie, une mesure que le président Recep Tayyip Erdogan appelle de ses vœux au risque de susciter des tensions avec plusieurs pays. Avant d’aller plus moin il faut bien rappeler que la Grande Mosquée de Séville, la Giralda, sœur jumelle de la Koutoubia de Marrakech et de la Tour Hassan de Rabat, édifiée par les Almohades au 12ème siècle a bien été convertie en église.

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La grande mosquée de Séville dont la conversion en église est achevée en 1558

Signe que l'affaire préoccupe à l'étranger, les Etats-Unis ont appelé mercredi la Turquie à ne pas toucher au statut de Sainte-Sophie.

Jeudi, le Conseil d'Etat turc s'est penché sur la requête formulée par plusieurs associations lors d'une brève audience et doit annoncer sa décision sous 15 jours, a rapporté l'agence de presse étatique Anadolu.

Œuvre architecturale majeure construite au VIe siècle par les Byzantins qui y couronnaient leurs empereurs, Sainte-Sophie est un site classé au patrimoine mondial de l'Unesco et l'une des principales attractions touristiques d'Istanbul.

Convertie en mosquée après la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453, elle a été transformée en musée en 1935 par le dirigeant de la jeune République turque, Mustafa Kemal, soucieux de "l'offrir à l'humanité".

Cependant, son statut fait régulièrement l'objet de polémiques : depuis 2005, des associations ont à plusieurs reprises saisi la justice pour réclamer un retour au statut de mosquée, sans succès jusqu'à présent.

Lors de l'audience jeudi, le procureur a demandé le rejet de la requête des associations, soutenant que la décision de modifier le statut de Sainte-Sophie "relève du Conseil des ministres et de la présidence", selon Anadolu.

M. Erdogan, un nostalgique de l'Empire ottoman qui cherche aujourd'hui à rallier l'électorat conservateur sur fond de crise économique due à la pandémie de nouveau coronavirus, s'est plusieurs fois dit pour une reconversion en mosquée.

L'an dernier, il avait qualifié la transformation de Sainte-Sophie en musée de "très grosse erreur".

"Puissant symbole" 

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Le dôme du Musée Sainte-Sophie d'Istanbul porte les traces de son islamisations

Depuis l'arrivée de M. Erdogan au pouvoir en 2003, les activités liées à l'islam se sont multipliées à l'intérieur de Sainte-Sophie, avec notamment des séances de lecture du Coran ou des prières collectives sur le parvis du monument.

Mahmut Karagöz, un cordonnier âgé de 55 ans, rêve de pouvoir un jour prier sous la coupole de Sainte-Sophie. 

"C'est un héritage de nos ancêtres ottomans. J'espère que nos prières seront entendues, il faut que cette nostalgie prenne fin", dit-il à l'AFP.

Pour Anthony Skinner, du cabinet de consultants Verisk Maplecroft, reconvertir Sainte-Sophie en mosquée permettrait à M. Erdogan de contenter sa base électorale, d'irriter Athènes, avec qui les rapports sont tendus, et de renouer avec le passé ottoman.

"Erdogan ne pouvait pas trouver un symbole aussi puissant que Sainte-Sophie pour atteindre tous ces buts à la fois", résume-t-il.

L'an dernier, le Conseil d'Etat avait déjà autorisé la reconversion en mosquée de la superbe église byzantine de la Chora à Istanbul, une décision perçue par certains comme un ballon d'essai avant Sainte-Sophie.

La décision du Conseil d'Etat "sera vraisemblablement politique (...), le résultat des délibérations au sein du gouvernement", estime Asli Aydintasbas, chercheuse à l'European Council on Foreign Relations.

Risques de tensions 

Pour Mme Aydintasbas, le gouvernement doit peser le pour et le contre, notamment à travers le prisme des relations avec la Grèce, l'Europe et l'administration américaine de Donald Trump pour qui "la religion est un sujet important".

Même si une reconversion de Sainte-Sophie en moquée ne devrait pas empêcher les touristes de toutes les croyances de s'y rendre --ils sont nombreux à visiter chaque jour la Mosquée bleue voisine--, modifier le statut d'un lieu aussi emblématique dans l'histoire du christianisme pourrait susciter des tensions.

"Nous exhortons les autorités turques à continuer de conserver Sainte-Sophie comme musée, en tant qu'illustration de leur engagement à respecter les traditions cultuelles et la riche histoire qui ont façonné la République turque, et à assurer qu'elle demeure ouverte à tous", a déclaré mercredi le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo.

Le sort de Sainte-Sophie préoccupe aussi tout particulièrement la Grèce voisine, qui surveille de près le devenir du patrimoine byzantin en Turquie. 

En Turquie aussi, d'ailleurs, nombreux sont ceux qui s'opposent à une telle décision.

"Des millions de touristes le visitent chaque année", souligne Sena Yildiz, une étudiante en économie. "C'est un lieu important pour les musulmans, mais aussi pour les chrétiens et pour tous ceux qui aiment l'Histoire".

Quatre choses à savoir sur Sainte-Sophie

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Voici quatre choses à savoir sur ce monument classé au patrimoine mondial de l'humanité de l'Unesco dont l'utilisation fait régulièrement l'objet de controverses. 

Une histoire mouvementée 

Le majestueux ouvrage a été construit au VIe siècle sous l'empereur byzantin Justinien. Sainte-Sophie est aujourd'hui considérée comme l'un des héritages les plus importants de l'époque byzantine.

Après la prise de Constantinople par les Ottomans en 1453, la basilique a été convertie en mosquée. 

Mais après l'effondrement de l'Empire au sortir de la Première Guerre mondiale, le président de la jeune République turque Mustafa Kemal décide, en 1935, d'en faire un musée.

Sous les Ottomans

En 1453, immédiatement après la prise de Constantinople par les Ottomans, la basilique fut convertie en mosquée, conservant le même nom, Ayasofya, fut ainsi épargnée sur ordre de Mehmed II. À cette époque, le bâtiment était très délabré : plusieurs de ses portes ne tenaient plus. Cet état de la basilique a été décrit par plusieurs visiteurs occidentaux, comme le gentilhomme cordouan Pedro Tafur et le Florentin Cristoforo Buondelmonti. Le sultan Mehmed II ordonna le nettoyage immédiat de l'église et sa conversion. Le sultan suivant, Bajazet II, fit ériger un nouveau minaret, en remplacement de celui construit par son père. Au xvie siècle, le sultan Soliman le Magnifique (1520-1566) rapporta deux chandeliers colossaux de sa conquête de la Hongrie. Ils furent placés de chaque côté du mihrab. Mais au cours du règne de Sélim II (1566-1577), le bâtiment commença à montrer des signes de fatigue et dut être stabilisé par l'ajout de contreforts externes massifs. Ces travaux d'envergure furent accomplis par le grand architecte ottoman Sinan, qui construisit les deux autres grands minarets de l'extrémité ouest du bâtiment, la loge originale du sultan et le mausolée de Sélim II, au sud-est, en 1577. Les mausolées de Mourad III et Mehmed III furent construits à ses côtés dans les années 1600.

D'autres additions ont été réalisées. La mieux connue des restaurations de Sainte-Sophie fut celle menée entre 1847 et 1849 par le sultan Abdülmecid, accomplie par plus de 800 ouvriers. Les travaux portèrent sur la consolidation de la coupole et des voûtes, le redressement des colonnes et la révision de la décoration intérieure et extérieure. Les mosaïques de la galerie furent nettoyées. Les anciens lustres furent remplacés par de nouvelles suspensions plus facilement accessibles. Un minbar (chaire)a été ajouté  et les huit panneaux circulaires de 7,5 mètres de diamètre furent accrochés aux quatre piliers centraux, inscrits des noms d'Allah, du prophète Mahomet et des quatre premiers califes Abu Bakr, Omar, Uthman et Ali, ainsi que de ceux des deux petits-enfants de Mahomet : Hassan et Hussein, par le calligraphe Kazasker İzzed Effendi. En 1850 une nouvelle galerie du sultan dans le style néo-byzantin, reliée au pavillon royal situé derrière la mosquée. À l'extérieur du bâtiment furent érigés un nouveau bâtiment pour le gardien du temps et un nouveau medrese. Les minarets furent modifiés de manière à égaliser leurs hauteurs respectives. La restauration achevée, la mosquée fut rouverte dans de fastueuses cérémonies, le 13 juillet 1849.

Quel est son statut actuel ? 

Aujourd'hui, Sainte-Sophie est toujours un musée qui est visité par des millions de touristes chaque année.

L'an dernier, c'était même l'attraction touristique la plus visitée de Turquie, avec 3,8 millions de personnes.

Néanmoins, Sainte-Sophie a été le théâtre de plusieurs activités liées à l'islam ces dernières années. 

En 2018, le président islamo-conservateur Recep Tayyip Erdogan y a par exemple lu un verset du Coran.

Pourquoi maintenant ? 

La décision attendue jeudi est l'aboutissement d'un long processus judiciaire.

En 2018, la Cour constitutionnelle a rejeté la requête d'une association turque qui demandait la réouverture de Sainte-Sophie au culte musulman.

Mais le débat actuel intervient dans un contexte où M. Erdogan cherche par tous les moyens à rallier sa base conservatrice, dont une partie l'a boudé lors d'élections municipales remportées l'an dernier par l'opposition à Istanbul et Ankara.

Le principal parti d'opposition, le CHP (social-démocrate), accuse le président turc d'instrumentaliser Sainte-Sophie pour faire oublier la mauvaise situation économique actuelle.

"Erdogan semble réagir à la baisse de sa popularité électorale qui est vraisemblablement due aux difficultés économiques" provoquées par la pandémie, souligne Tugba Tanyeri Erdemir, chercheuse à l'Université de Pittsburgh.

 Quid des visiteurs ? 

En cas de reconversion, les touristes pourront toujours pénétrer dans l'enceinte de Sainte-Sophie. La Mosquée bleue voisine reçoit ainsi de nombreux visiteurs chaque jour.

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