Politique
Accord agricole Maroc-UE : L’Espagne joue-t-elle avec le feu?
L’Espagne, qui se disait comprendre la position du Maroc dans ses relations avec l’UE, semble se faire de plus en plus au verdict de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) du 21 décembre. L’occasion de revenir sur les conséquences que pourrait devenir un risque de revirement.
En réponse à une question écrite d’un député de Podemos (extrême gauche), qui avait demandé des informations sur les actions entreprises par le gouvernement espagnol en rapport avec l’affaire du cargo norvégien Key Bay, le gouvernement espagnol a fait savoir que le tribunal compétent au niveau des îles Canaries a été informé des faits. “Il n’existe aucune limitation douanière à la libre circulation de ces produits dans le territoire de l’Union européenne et il n’était donc pas possible d’adopter une mesure conservatoire ou définitive en rapport avec le cargo ou sa cargaison”, a affirmé le gouvernement Rajoy dans sa réponse.
Pour rappel, le navire Key-Bay transportait de l’huile de poisson de Laâyoune vers le port de Fécamp. Il a suscité une grande polémique en Espagne, particulièrement au sein de la frange anti-marocaine de base, qui accuse le gouvernement de ne pas respecter l’arrêt de la CJUE.
Là où le bât blesse, c’est quand le gouvernement ibérique rappelle, dans la même réponse, que “l’arrêt de la CJUE datant du 21 décembre 2016 établit uniquement que les bénéfices commerciaux prévus dans les accords euro-méditerranéennes entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc ne sont pas applicables en rapport avec le territoire du Sahara occidental, étant donné que ce dernier ne fait pas partie du territoire du Royaume du Maroc, suivant l’interprétation de ces mêmes accords”, validant ainsi l’arrêt, mais surtout écrivant noir sur blanc que le “Sahara occidental (...) ne fait pas partie du territoire du Royaume du Maroc”.
Le Maroc est donc en droit de se poser les questions qui s’imposent. A-t-il affaire à la même Espagne, qui a signé avec le Maroc en même temps que la France, l’Allemagne et le Portugal, une déclaration pour la mise en place d’un cadre de commerce des énergies renouvelables ? Ce qui était à l’époque une réponse et un contournement “technique” de l’arrêt de la CJUE. Ou l’Espagne est-elle en train de jouer à l’équilibriste entre le Maroc et l’Algérie, attendant des jours meilleurs pour imposer son opinion ?
Vers une nouvelle crise diplomatique avec le Maroc ?
Suite à la publication du verdict de la CJUE, concernant l’exportation des produits agricoles provenant du Sahara Marocain, après avoir signé la déclaration citée plus haut, l’Espagne s’était montrée plutôt discrète. Dans une interview accordée à la radio Cero, le ministre des Affaires Étrangères espagnol avait refusé de répondre à une question concernant la marocanité des produits issue du Sahara. “Il y aura une réponse” à cette question “pour le moment nous n’avons pas cette réponse mais on l’aura”, avait-il déclaré alors.
Après cela, des signes de double discours ont fait leur apparition dans l’attitude de la diplomatie espagnole, notamment suite à la visite d’Alphonso Dastis à Alger, qui a préféré caresser ses interlocuteurs dans le sens du poil, sans se mouiller pour autant. Lors de cette visite il avait affiché son soutien à la procédure onusienne, rappelant au passage l’aide qu’apporte l’Espagne aux populations de Tindouf pour ne fâcher personne. Tout porte à croire, que l’Espagne jouait jusque là à l’équilibriste entre le Maroc et l’Algérie. Mais la réponse du gouvernement à l’interpellation écrite du député de Podemos, Jorge Luis Bail, représente tout autre chose. Pourtant l’Espagne est consciente qu’en Europe, quand les relations vont mal avec le Maroc, elle en est la première victime.
Dans un article publié dans le journal El Confidencial, Ignacio Cembrero, journaliste connu pour son anti-marocanisme affiché, affirme que l’Espagne est “le maillon le plus faible face à d’éventuelles représailles marocaines” en Europe. Il affirme cela pour trois raisons : l’immigration, la pêche et la sécurité.
Les régularisations massives qu’effectue le Maroc ainsi que le contrôle des flux migratoires, n’apportent pas grand chose au pays. C’est plus à l’Europe que cela sert, et en premier lieu l’Espagne, du fait de sa proximité géographique. Avec la crise économique actuelle dont souffre ce pays de la péninsule ibérique, elle ne pourrait pas supporter les coûts qu’engendre le contrôle des flux migratoires. Surtout avec les régulations européennes qui les rendent particulièrement coûteux. A ce sujet, Aziz Akhannouch avait posé la question lors d’une interview accordée à EFE, l’agence de presse nationale espagnole. “Pourquoi continuons-nous à faire les gendarmes ?” a-t-il déclaré avant d’ajouter que “le problème de la migration est très coûteux pour le Maroc, et l’Europe devrait apprécier cela à sa juste valeur”.
Concernant l’accord de pêche Maroc-UE, qu’évite d’évoquer la réponse du gouvernement, l’Espagne se verrait économiquement lésée si le Maroc en venait à ne pas reconduire l’accord, car elle en est le premier bénéficiaire.
La coopération sécuritaire, enfin. Si les choses s’envenimaient sérieusement, celle-ci en pâtirait. L’Espagne connaît l’horreur du terrorisme mieux que personne. Ce pays qui connait de grands problèmes en Catalogne, parfois violent dans le pays basque et son ETA, s’est aussi trouvé confronté au terrorisme international avec les attentats de Madrid, revendiqués par AQMI. Depuis la menace terroriste n’a cessé de grandir aussi bien de ce coté de la méditerranée que du coté espagnole. En témoigne la multiplication des arrestations de groupe terroriste au Maroc comme en Espagne. C’est dire à quel point la suspension de la coopération sécuritaire serait préjudiciable pour tous. Si le Maroc, à ce jour, n’a jamais voulu jouer cette carte, même quand ses relations sont au plus bas avec ces partenaires -rappelons le cas de la France, qui malgré des relations tendues, ne s’est pas vue privée d’informations stratégiques pour lutter contre le terrorisme-, cette posture ne serait pas toujours tenable. Car quand on parle du Sahara, on parle de l’intégrité territoriale du Royaume. Dans les relations internationales, menacer cette composante essentielle de l’identité d’une Nation, ne pardonne pas.
Avec la montée en puissance des critiques et des articles de presse à ce sujet, le gouvernement espagnol a publié aujourd'hui, à travers l'agence EFE, un communiqué attestant que l'Espagne n'a pas changé de position. Ainsi, le gouvernement entre dans la tradition des pays "amis" qui aiment maintenir l'ambiguité dans cette affaire en déclarant qu'il est pour une solution "politique juste, durable et mutuellement acceptable".
Document original de la réponse du gouvernement espagnol
Document original de la question envoyée par le député de Podemos