38% des Marocains pensent que les Marocaines méritent d’être battues

5437685854_d630fceaff_b-

1183
Partager :

La journée de la femme, une journée pour célébrer la femme, contempler les progrès acquis et reconnaître les nombreux combats encore à mener. Une étude fournit par l’ONU femmes, nous montre encore le long chemin à parcourir par la société marocaine, tiraillée entre le moderne et le traditionnel, dans la lutte pour l’égalité des sexes.

L’enquête Images sur « les masculinités et l’égalité des sexes » menée en 2016 dans la région Rabat-Salé-Kenitra s’inscrit dans le cadre du programme « Hommes et Femmes pour l’égalité des sexes » mis en œuvre par le Bureau régional d’ONU femmes pour les Etats Arabes. Elle adopte un questionnaire sur les attitudes et les pratiques des hommes ainsi que sur les opinions et les pratiques des femmes sur un large éventail de sujets liés à l’égalité des sexes.

2403 ménages ont été interviewés avec succès et parmi ces ménages, 1803 étaient dans les zones urbaines et 600 dans les zones rurales. 2/3 des hommes et des femmes interrogés sont dans un milieu urbain, le tiers restant réside dans un milieu rural. Cette étude nous fournit une photographie de la société sujette à des dynamiques contradictoires, mêlant stagnation, régression et progrès.

Le marocain : schizophrène ou hypocrite ?

On assiste à une vraie autonomisation de la femme, mais celle-ci n’est pas assumée ni par l’homme ni par la femme elle-même. Les pratiques sont de plus en plus libertaires mais elles ne sont pas encore totalement admises, cela témoigne d’un début de changement profond de mentalité mais aussi de l’extériorisation de certains concepts.

Dans une schizophrénie souvent attachée à une société en mutation, on retrouve des avis contradictoires, presque antinomiques : 80% des hommes interrogés acceptent que la femme travaille et que son salaire soit égal au sien, cela devrait signifier que l’homme au Maroc intériorise la condition de la femme en tant qu’être autonome et indépendant pourtant 75% des répondants masculins s’estiment responsables de la femme et ayant un « devoir de tutelle » à leurs égards. La majorité des hommes s’estiment « garants » de leurs conjointes, ce qui implique de sauvegarder le bien-être de sa compagne, mais, encore une fois dans cette dichotomie, 60% des hommes estiment que la femme « devrait tolérer la violence pour maintenir une famille unie » et 38% des hommes pensent qu’elles « méritent d’être battues ».

Le nucleus de la société marocaine s’est toujours axé sur la famille patriarcale (et religieuse). Aujourd’hui nous assistons à une refonte de ce modèle ancestrale et il en découle des avis et des comportements contradictoires. Tiraillés entre le séculaire et le moderne, les incohérences des avis masculins sont tel que certains chiffres peuvent prêter à sourire. 70% des hommes, en bon patriarche traditionnel, déclarent que la responsabilité la plus importante de la femme est de « s’occuper de la maison » et pourtant on peut lire quelques lignes plus bas que 61% déclarent, dans un élan spontanément libéral et libertaire, qu’il est important que la conjointe travaille après le mariage. Ces deux chiffres sont littéralement opposés et opposable pourtant cela montre bien la confusion (ou l’hypocrisie diront certains) de la gente masculine au Maroc.

La route est encore longue

Le modèle patriarcal se fissure. La masculinité au Maroc vit une crise, elle est brusquée et contrainte à l’évolution. Moins légitimes dans leurs rôles de pourvoyeurs de ressources, les hommes peuvent de moins en moins imposer leurs conditions. L’autonomisation de la femme est un processus qui est en train de modifier totalement les relations de genre et génère un changement du paradigme séculaire marocain (certains diront arabe), générant au passage, naturellement, des résistances (des deux sexes, il faut préciser).

Un chiffre aberrant : 20% des femmes estiment qu’elles méritent d’être battues (1/5 des femmes interrogées). L’égalité des sexes et le féminisme (ou l’humanisme comme aime l’appeler Aicha Ech-Chenna) est un combat âpre car il est contre le référentiel intégré et intériorisé par l’homme mais aussi par la femme. Le harcèlement sexuel a été une problématique récurrente en 2017 et encore aujourd’hui, la tornade des mouvements des réseaux sociaux #MeToo et #Balancetonporc a connu une telle intensité qu’elle a forcé un changement presque brutalement. Au prix de certaines carrières peut être injustement balayés, les intouchables, ont pu sentir le courroux des victimes autrefois condamnées au silence. Les fortes rafales ne semblent cependant pas avoir touché les côtes marocaines. Car pour pouvoir convaincre les hommes, il faudrait déjà que 78% des femmes marocaines n’attribuent plus la responsabilité du harcèlement aux femmes elles-mêmes, qui, « pour l’essentiel, auraient incité d’une façon ou d’une autre les hommes à commettre de tels actes ».

L’érosion du patriarcat au Maroc, peut signifier idéalement une évolution vers l’égalité des sexes. Certains disent qu’elle est inéluctable. Le monde mondialisé d’aujourd’hui nous y conduit, les routes reliant le monde se sont infiniment rétrécies, internet nous conduit à Hollywood presque instantanément. Le modèle occidental, paradant l’émancipation féminine, est en permanence présenté et confronté à la femme et à l’homme marocain. Un vrai risque pour le féminisme au Maroc, car pour que la symbiose s’opère le phénomène ne doit pas être exogène, sous peine de rejet. Si cette lutte est identifiée et greffée à un « envahissement du modèle occidental », la société marocaine se recroquevillera et risque de s’abriter sous son fidèle et confortable refuge, dont les extrémités obscures laissent rarement passer la lumière, la religion.

lire aussi