Dans les bois ancestraux d'Ifrane - Par Seddik Maaninou

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Hassan II, pour estampiller le soutien saoudien contre la marée noire du sceau de la fraternité, a décidé de ne pas l'intégrer au budget de l'État, mais de le consacrer à la réalisation d'un rêve qu'il caressait : construire une université à Ifrane.

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Le Marché de la lecture – Par Seddik Maâninou

Ayant informé des amis que je partais à Ifrane pour participer à un cours universitaire à Al Akhawayn sur la chanson nationale, ils m'ont envoyé des photos de la ville sous la neige. Je me suis vêtu en conséquence pour me protéger du froid et d’un potentiel rhume. Pour comprendre en arrivant que j’ai été victime d’un canular, le thermomètre affichant ce jour-là pas moins de trente degrés Celsius. 

En entrant dans l'Université Al Akhawayn, de nombreux souvenirs m'ont assailli. Ils m’ont renvoyé à l’annonce de sa fondation, les visites que j’effectuais à l'un de mes enfants, qui y a poursuivi une partie de ses études, et bien d’autres faits dont la ville, située sur les hauteurs des montagnes de Moyen Atlas, a été le théâtre au milieu de ses forêts ancestrales où l’on peut croiser des arbres, comme le Maroc, plusieurs fois centenaires. 

Le défunt Roi Hassan II avait l’habitude d’y séjourner longtemps, et chaque fois qu'il s’y établissait, les spéculations et les rumeurs sur un remaniement ministériel, allaient bon train. Ce qui ne déplaisait pas aux gens, autant parce qu’ils aspiraient toujours au changement que parce que ces séjours plongeaient ministres et conseillers dans le tourment et pour certains dans l'insomnie, inquiets de se voir frapper d’une disgrâce ou de perdre leurs portefeuilles. 

Le maestro 

Dans un amphithéâtre bondé, Nouamane Lahlou se tenait en chef d’orchestre, expliquant à un dense auditoire d'étudiants les courants musicaux, évoquait leurs paroliers et leurs poètes. Il avait à cœur d’apprendre ou de rappeler à la nouvelle génération qu'elle appartient à un pays aux racines civilisationnelles profondes, pas seulement par son université Al Quaraouiyine, ses savants, ainsi que par ses martyrs, ses saints ou ses traditions, mais aussi par une riche histoire qui a façonné l'homme marocain et produit ce qui le distingue et fait sa particularité marocaine. Dans l’ancrage des valeurs qu’il recèle, la culture a joué un rôle fondamental qui fait du patrimoine immatériel du Maroc un capital perpétuellement fructueux et fécond à connaitre et à préserver.

La marée noire 

Le Maroc avait souffert dans les années quatre-vingt-dix des conséquences du naufrage d'un navire chargé d’hydrocarbures qui menaçaient le littoral marocain. Cette catastrophe a montré la capacité du Maroc à faire face à cette menace venant de la mer. En réponse à son appel, plusieurs pays ont envoyé des experts, des barrages flottants et du matériel pour contenir la marée noire. Le Roi Fahd Ibn Abdulaziz d’Arabie Saoudite a envoyé un chèque de cinq milliards de dh pour soutenir les efforts du Maroc. 

L’épreuve passée, il s'est avéré que le chèque était toujours à la Banque du Maroc. Hassan II, pour estampiller le soutien saoudien du sceau de la fraternité, a décidé de ne pas l'intégrer au budget de l'État, mais de le consacrer à la réalisation d'un rêve qu'il caressait : construire une université à Ifrane. Ainsi fut fondée l'Université Al Akhawayn (les deux frères) Hassan II et Fahd bin Abdulaziz.

L’histoire par et dans la chanson 

À l'Université Al Akhawayn, qui compte quatre mille étudiant(e)s, l'enseignement se fait en anglais, pour qu’elle serve, selon le vœu de Hassan II, de fenêtre sur le monde anglo-saxon, à travers sa langue qui est celle de la finance, des affaires et de la recherche scientifique... C'est pourquoi Nouamane s'adressa à l'audience en anglais, la langue d’enseignement de cette université, nichée au cœur de la forêt de l'Atlas, avec une architecture spécifique adaptée aux particularités climatiques de la région. J'ai dit aux étudiants, dans un anglais hésitant, "Je ne parle pas la langue de vos études, donc je vais vous parler en arabe simplifié". J'ai expliqué que la chanson nationale était liée au mouvement national pendant la colonisation, et que ses paroles, chantées par les nationalistes il y a cent ans, appelaient à l'indépendance et à la dignité, ce qui perturbait les autorités du protectorat qui tentaient vainement d’interdire les chants exaltant le sentiment national. Les chanter était pour les patriotes marocains un défi, une source d’énergie qui inspirait l’unité et l’espoir dans la lutte pour l’obtention de l'indépendance.

Une chorale improvisée

Après avoir présenté plusieurs exemples, je suis passé aux chansons qui ont accompagné l'exil et le retour de Mohammed V. J'ai rappelé, récitant des vers et des mélodies, certaines chansons qui restent profondément ancrés dans la mémoire collective. J'ai abordé les années soixante-dix, parlé de la vague Nass El Ghiwane et de Jil Jilala, et me suis longuement attardé sur le désir de Hassan II de mettre en mots l'hymne national. Après un concours ouverts à tous les créateurs, il a approuvé la poésie de Moulay Ali Skalli que tous connaissent aujourd’hui.

Puis, j'ai évoqué la Marche Verte qui a permis la récupération des territoires marocains du sud, et expliqué les circonstances et les anecdotes des chansons qu'elle a inspirées. J’ai terminé en demandant aux étudiants d’improviser une chorale reprenant les chants de l’épopée.

 

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