La technologie à la sauce marocaine au service du contrôle de la vie et moi – Par Mohamed Chraibi

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Tout commence par un SMS anodin libellé comme suit : votre lettre recommandée No EB575392746MA, est mise à votre disposition à l'agence Marrakech_CDT jusqu'au…

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Dans un non fiction (1) publié aux États-Unis récemment (Metropolitan Books New York) sous le titre : A day in the life of Abed Salama, l’auteur israélo-américain Nathan Thrall raconte, à travers l'histoire d'une famille (les Salama) vivant dans un village proche de Jérusalem, la tragédie israélo-palestinienne dans toute sa puissante complexité.  Mais mon intention en début de cette nouvelle année (que je vous souhaite belle et heureuse) n'est pas de revenir sur cette tragédie mais de vous raconter un jour dans la vie du citoyen marocain lambda dans sa relation complexe avec l’administration (la Idara) de son pays. 

Notre Abed Salama n'est ici autre que moi-même et tout ce qu'il subit est authentique et se déroule en un jour, non en Palestine occupée, mais dans la ville libertaire (voire libertine) de Marrakech. 

Tout commence par un SMS anodin libellé comme suit : votre lettre recommandée No EB575392746MA, est mise à votre disposition à l'agence Marrakech_CDT jusqu'au…Je remarque tout de suite un mot en excès (mise) et plusieurs en déficit : ceux qui devraient préciser l'adresse de l'agence _CDT. Je me fais aussi la remarque que la lettre en question ne pouvant être une carte de vœux provient, selon toute vraisemblance, de la puissante Idara.  Et là, je ne puis m'empêcher d'admirer la célérité de celle-ci, plutôt réputée pour son indécrottable conservatisme, dans l'adoption des dernières technologies de la communication.  Et sachant que la Idara consommée dans l'art de faire attendre ne saurait tolérer qu'on lui retourne la politesse, je me mets tout de suite en route vers cette destination inconnue que Google map, crois-je, finirait bien par trouver. 

J'introduis dans mon navigateur de bord ma destination souhaitée et j’essaie de suivre ses indications. Je dis bien j'essaie, car les instructions me sont données dans un anglais teinté d'un fort accent du Texas, de l'Arizona ou d'ailleurs sauf de Cambridge, n'ayant jamais su comment faire parler mon navigateur en Darija. Si bien que tant qu'il s'agit de tourner à droite ou à gauche j’y arrive sans peine mais dès qu'il me dit de prendre la route de l'Oued Issyl ou celle de la Ouaha de Moulay Brahim, je fais n'importe quoi. Ce qui déclenche d'impérieuses injonctions de faire demi-tour. Après une à deux heures de déambulations hasardeuses, je me retrouve devant un bureau de poste du quartier industriel de Sidi Ghanem, à plusieurs km de mon domicile en direction de Safi. Je me précipite vers le portier pour m'assurer que je suis bien à l'agence Marrakech-CDT. Après consultation de son chef, il m'annonce que ladite agence se trouve au Hay Hassani, c’est-à-dire à l’extrême opposé de la ville. 

Plutôt que de traverser celle-ci de part en part, ce qui risque de prendre près d’une heure, je demande à mon navigateur de bord s'il connaît un chemin plus court. Sa réponse indiquant clairement qu’il n'en a pas la moindre idée, je me rabats sur la méthode fort éprouvée de demander mon chemin à tous ceux (nombreux) qui croient savoir. 

Et là recommence le chemin de croix vécu l'heure précédente avec mon guide américain qui me mène, cette fois ci, dans une rue en cours de travaux où ma voiture tombe dans une excavation (non signalée bien entendu) de laquelle il m'est impossible de l’extraire. Heureusement, moins d'une heure plus tard ma voiture est hissée hors du trou où je l'ai précipitée grâce à l'intervention d'une dépanneuse. Grâce, soit enfin dûment rendue à la technologie, mon smartphone m'ayant instantanément communiqué une longue liste de dépanneurs avec leurs numéros de smartphones et la faculté miraculeuse de leur communiquer mes coordonnées GPS. 

Le dépanneur pousse la bonté jusqu'à me fournir les indications claires et précises pour arriver à l'agence Marrakech_CDT où je parviens à 13H après trois heures d'errance et un accident de parcours. Je vais enfin savoir ce que me veut la Idara. Erreur ! La missive est à retirer non pas au guichet, comme je le crois ingénument, mais au « dépôt » heureusement adjacent. Là, le portier m'annonce, avec un grand sourire, que le retrait se fait uniquement « peu avant 16H. » Je marque soigneusement l'endroit dans mon navigateur pour être capable d'y retourner et je rentre chez moi, épuisé. 

Mon déjeuner vite avalé, je retourne à l'agence MARRAKECH_CDT devenue familière à mon navigateur. Trop familière peut être, et la circulation plutôt fluide à cette heure aidant, j'y parviens à 15H30 et non « peu avant 16 H », ce qui me vaut une vingtaine de minutes d'attente. A 15:50 tapantes, la lettre, en fait un imprimé, m’est remise. Et voici son contenu : Dans le cadre du contrôle périodique effectué par la CNSS, nous vous informons qu'une procédure simplifiée a été mise en place pour contrôler la vie, en coordination avec les services de Poste Maroc, vous dispensant de toutes démarche administrative a cet égard.

          (1)  Genre littéraire américain apparenté au roman où le souci principal de l'auteur est l'exactitude des faits rapportés

 

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