L’héritage et le testament, des positions à clarifier - Par Bilal TALIDI

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L’héritage et l’égalité femmes-hommes, un débat clivant mais inévitable

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Investissement, rente et concurrence - Par Bilal TALIDI

Depuis des années que le débat est focalisé sur l’égalité en matière d’héritage. Aujourd’hui, des politiciens et des acteurs associatifs accordent leurs voix pour réclamer l’amendement de certains textes.

Dans leur mire l’héritage par Taâsib (qui concerne l’absence d’héritiers mâles directs), les droits dus à la femme au moment du divorce pour contribution à la fructification des biens de la famille (Kad wa Saâya), l’héritage des étrangers, le mariage des mineures, celui des Marocaines musulmanes à des non-musulmans, la garde de l’enfant, le divorce pour cause de préjudice, la filiation parentale, la pension alimentaire et le don de consolation (Moutaâ).

Il n’est pas aisé de circonscrire ici toutes les imbrications d’un débat pareil. Une chose est pourtant sûre : le mariage des mineures n’est pas subordonné à un texte légal, mais plutôt à une divergence d’appréciation sur ses impacts socioéconomiques, particulièrement dans des zones dites du Maroc profond, là où le mariage est considéré comme un levier de stabilité sociale. La religion n’étant pas un obstacle pour régler ce problème, la responsabilité en incombe donc au gouvernement qui doit agir sur les conditions socioéconomiques de telle sorte à garantir un avenir stable aux familles et faciliter, ce faisant, l’accès de la jeune fille à l’éducation au lieu d’être livrée à un mariage précoce censé aider la famille ou alléger ses souffrances.

Le débat s’articule ici sur deux questions fondamentales. La première se rapporte aux appels à l’égalité en matière d’héritage et à la suppression du procédé du Taâsib qui associe à des héritières féminines des héritiers de la fratrie latérale ou ascendante masculine et qui consiste, selon les cas, à les faire hériter de l’ensemble de la succession ou de ce qui en reste. La seconde a trait aux appels à faire bénéficier l’héritier par testament et d’en accroître la part au-delà du tiers de l’héritage légué, conformément au principe du droit du légateur à disposer de son bien.

S’agissant du premier cas de figure, deux avis s’opposent. Le premier considère que le texte coranique en la matière est irréfragable et ne saurait faire l’objet d’une quelconque révision du fait qu’il renferme une loi divine qu’on ne peut transgresser. Les tenants de cet avis s’appuient sur la déclaration du Roi Mohammed VI : «En qualité d’Amir Al-Mouminine, et comme Je l’ai affirmé en 2003 dans le Discours de présentation du Code devant le parlement, Je ne peux autoriser ce que Dieu a prohibé, ni interdire ce que le Très-Haut a autorisé, en particulier sur les points encadrés par des textes coraniques formels».    

Le deuxième avis soutient que ces textes s’adressent à un contexte historique spécifique où la mission principale de la femme était son foyer, alors que l’homme assumait entièrement la responsabilité de pourvoir aux besoins alimentaires. Aujourd’hui, les choses ayant beaucoup changé, la femme étant devenue une partenaire dans la pension alimentaire sinon le principal chef de ménage, rien n’empêche de recourir à l’exégèse, à fortiori lorsque celle-ci est encadrée par les finalités de la Charia et la prise en compte des intérêts des gens.

Force est donc de constater qu’il est difficile de trouver un terrain d’entente dans ce type de débat qui devient inextricable une fois biaisé par des prérequis idéologiques. Et pour cause, les tenants du premier avis considèrent que les adeptes de l’égalité en matière d’héritage, mus par l’alignement sur le référentiel international des droits de l’Homme, continueront d’œuvrer inlassablement pour faire valoir cet agenda, quitte à ne maintenir dans la Constitution qu’une seule référence ; celle des conventions internationales. Les partisans du second avis soutiennent que leurs détracteurs, emmurés invariablement dans leur thèse traditionaliste, s’appuient sur le caractère fondamentaliste de l’Etat (la légitimité religieuse) pour freiner tout processus de modernisation des lois, particulièrement celles en lien avec le Code de la famille.

Un débat serein et dépassionné requiert un effort de déconstruction des doléances formulées et un examen méticuleux de leurs tenants et aboutissants. Car, l’appel à l’égalité en matière d’héritage ne concerne pas uniquement la parité entre les enfants mâles et femelles, mais implique une refonte intégrale du régime successoral qui puisse réaliser l’égalité entre l’époux et l’épouse, le père et la mère, le grand-père et la grand-mère, le frère et la sœur, le droit à l’héritage de la tante et de l’oncle paternels et d’autres ayants-droit. Autant dire que réclamer la révision radicale du régime actuel de l’héritage suppose la présentation d’un modèle alternatif tout aussi cohérent et ficelé de manière arithmétique où chaque hériter prend sa part en fonction d’un mode calcul par un dénominateur commun.

Personnellement, je ne connais aucun partisan de cette option réclamant une égalité totale dans l’héritage qui aille au-delà de la parité fils-filles. On aurait tant aimé voir un modèle «moderniste» en matière d’héritage qui soit soumis à l’appréciation des oulémas et des penseurs pour évaluer comment ce modèle tient compte des intérêts des héritiers et comment il parvient à réaliser la justice et l’égalité entre eux.

En même temps, pas un seul partisan de ce courant ne s’est approprié un modèle puisé dans les expériences modernistes du fait que ces modèles eux-mêmes ne s’appuient guère sur l’égalité et la justice, mais plutôt sur le principe du legs testamentaire ou de la liberté de l’individu à disposer de sa fortune comme il l’entend, à l’instar de ce qui se fait aux Etats Unis d’Amérique, quitte à en priver certains héritiers légitimes.

Si pour ceux qui s’attachent à la tradition islamique la question est tranchée clairement par texte coranique, il n’en est pas de même pour les partisans de la refonte du régime de l’héritage. Ils sont appelés à se prononcer aussi clairement et sans détour sur le droit successoral musulman pour dire s’il réalise des degrés élevés de justice et ne lui manque que la parité fils-filles, ou si ce modèle, qui correspond à une période historique et à un système social ayant fait leur temps, devrait laisser place à un nouveau régime d’héritage basé sur l’égalité totale. Si c’est le cas, il faudrait impérativement présenter un nouveau modèle au débat public.

Concernant la question relative au testament, on se retrouve en présence d’attitudes contradictoires. Ainsi les partisans de l’égalité en héritage changent subitement de camp pour un autre principe qui n’a rien d’égalitaire : au nom de la liberté de l’individu à disposer de sa fortune, ils réclament de lever toutes les restrictions qui encadrent l’acte testamentaire de telle sorte à ce que le légateur puisse céder à un héritier une partie de sa fortune, pouvant aller au-delà du tiers.

On ne s’attardera pas sur les contradictions de cette approche des principes régissant l’héritage et le testament, tant elles renvoient, selon les postures, tantôt à l’égalité tantôt à la liberté. Mais on s’attachera plutôt à discuter le principe de la liberté dans l’acte testamentaire en tant qu’engagement qui émane du légateur de son vivant et ne devient exécutif qu’après sa mort.

Ceux qui réclament ce genre de demandes se prévalent du droit de l’individu à partager sa fortune par un acte de testament comme il l’entend. Sauf que cet engagement qui n’est exécuté qu’après le décès du légateur n’est pas antinomique avec la liberté dont il peut disposer de son vivant. En effet, qu’est-ce qui l’empêcherait de céder à ses enfants ce que bon lui semble ? Et qu’est-ce qui l’oblige à attendre la levée des restrictions sur le testament pour céder à l’héritier ce qu’il lui aurait cédé de son vivant sans testament ? C’est en conséquence une quête sans objet qui témoigne d’une confusion intellectuelle chez ses porteurs. 

On pourrait objecter que l’aversion du légateur à exercer sa liberté s’explique par l’amour de la propriété et la peur de la céder et qu’une fois ce mobile disparu (avec le décès) il serait arbitraire de le priver du droit d’exercer cette liberté. Or, le testament suppose deux cas de figures. Le premier, lors de la rédaction du testament, le légateur étant toujours en vie est libre de son acte. Le second, lors de l’exécution du testament, le légateur, étant décédé, est naturellement privé de toute liberté. D’où l’impératif de limiter la liberté lors de l’exécution de l’acte testamentaire, selon la volonté du législateur et non pas selon le bon vouloir de l’individu déjà mort.

Il va sans dire que ces réclamations sont motivées par le souci d’interdire l’accès des «étrangers» à l’héritage d’un défunt qui aurait laissé derrière lui une épouse et des filles et pas d’héritier mâle. Elles s’opposent à l’intrusion d’un oncle ou d’un frère dans le droit à une part dans l’héritage d’un homme qui a des héritières (une épouse et des filles).

Logiquement, on est en présence de deux options, sans plus. Soit on s’appuie sur la liberté de l’individu à partager sa fortune entre ses héritiers et d’exercer cette liberté de son vivant, au lieu de recourir à un engagement qui restera sans force d’exécution jusqu’à sa mort. Soit on s’appuie sur le principe de la justice et dans ce cas on devrait présenter un modèle intégral de l’héritage, qui soit en mesure de réaliser la justice totale, au lieu de proposer un amendement partiel d’un régime successoral qui porte en lui-même sa philosophie et sa téléologie.

 

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