Mahi Binebine, le bonheur du confinement

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Par Jalila AJAJA (MAP) avec Quid

Paris - Le confinement est globalement vécu comme une véritable souffrance en raison des nombreuses restrictions qu’il impose. Pour Mahi Binebine, il est synonyme de liberté et de créativité. Le confinement, lui il le voit comme une «bénédiction».

En exil chez lui à Marrakech depuis bientôt trois mois, Mahi Binebine, qui vient d’obtenir le Prix Méditerranée de littérature 2020, prend le confinement pour « une véritable bénédiction du ciel ».

Dans la vie normale, Mahi Binebine a l’agenda bien rempli, un peu trop, qu’il en perd les priorités. Avec ce temps suspendu, imposé par ce quelque chose d’invisible qui a chamboulé la vie de milliards de personnes à travers la planète, il a eu enfin l’opportunité de poser pied à terre, lui qui passe la moitié du temps à courir les avions. Il a pu aussi dresser ses priorités, profiter de sa petite famille et terminer, au-delà du délai imparti, un nouveau roman qu’il présentera dans une quinzaine à son éditeur.

«J’ai une vie assez chargée, en dehors du fait que je passe la moitié du temps de mon temps en voyage. Ce confinement a été pour moi une bénédiction du ciel. Je viens de finir mon nouveau roman, j’ai bien travaillé. Je suis content d’avoir été enfermé pendant trois mois. J’ai réglé tout ce qui n’avait pas été réglé depuis longtemps », confie à la MAP, Mahi Binebine.

« Cela m’arrive très rarement d’être en avance. En général, je suis toujours en retard. L’éditeur râle toujours. Et là, pour la première fois, je suis à jour», confesse-t-il, quasi certain que son nouveau roman sortira dans quelques mois.

Mais le confinement n’a pas été uniquement une aubaine scripturale pour l’artiste. Du temps, il lui en restait pour se livrer tendrement à ses deux autres amours : la peinture et la sculpture.

S’il dit que le confinement a été pour lui une bénédiction ce n’est pas pour rien. Ça faisait plusieurs années que Mahi Binebine n’a pas eu ses trois filles avec lui en même temps et ça faisait autant qu’elles ne l’ont pas eu presque pour elles toutes seules.

« On a pu enfin se rencontrer, se retrouver. Une de mes filles habite à Los Angeles, une autre à Milan et la toute dernière se prépare à partir cette année. » Il laisse deviner le reste.

C’est définitif. L’artiste peintre-sculpteur-écrivain vit le confinement comme une résilience qui peine à dissimuler une ombre de résignation qui fait bon cœur.

 « Vous savez, les écrivains sont confinés à vie. Ils vivent en ermites, si j’ose dire. Ils sont toujours enfermés car tout se passe à l’intérieur d’eux même. Le confinement ne change pas grand-chose pour les écrivains. » S’il le dit. 

Et comme un bonheur n’arrive jamais seul, le confinement a été porteur d’une bonne nouvelle. Mahi Binebine est désormais lauréat du Prix Méditerranée de littérature 2020, pour son dernier roman "Rue du pardon". Ce Prix, qui lui sera remis le 3 octobre prochain au cours d’une cérémonie à Perpignan est considéré comme une référence dans le monde de l'édition en France et en Méditerranée.

Roman vif, sensuel, chaleureux et pétri d’humanité, « Rue du pardon », paru l’an dernier aux éditions Stock, est une ode au féminisme des Marocaines, à travers le portrait de Hayat, enfant mal-aimée d’un quartier pauvre de Marrakech, qui découvre les chemins de la liberté par la danse et le chant des "chikhats", ces femmes souvent victimes de préjugés.

« C’est un livre que j’ai fait avec beaucoup d’amour et je suis très content qu’il ait eu cette reconnaissance internationale. On est déjà à sa traduction, et le livre va avoir une autre vie avec ce prix », se laisse dire Mahi Binebine plein d’espoir.

Fier et heureux de l’être, Mahi Binebine ne boude pas son plaisir. Les distinctions c’est une forme de pérennisation de toute œuvre artistique. « Les livres ont maintenant une durée de vie de trois mois dans les librairies et sans une reconnaissance de la société des Lettres, ils n’ont aucune chance de survivre », laisse tomber l’auteur, percevant sans doute derrière ce prix d’autres possibles consécrations.  

Retour sur terre. « Au Maroc ? Ça bouge quand même». La situation culturelle au Royaume avant et après le coronavirus, ne laisse pas Mahi Binebine indifférent : « Il y a de plus en plus de galeries. Il y a une effervescence. Moi, je peux parler de la peinture parce que je connais ce monde. Il y a un véritable vivier d’artistes exceptionnel dans le pays, qui ont d’ailleurs beaucoup souffert à cause du Covid-19. Les galeries étaient fermées. Mais bon, il va falloir se reprendre. Là on touche à la fin et donc il faudrait retrousser les manches et remonter au front !! ».

Cet outil de vie après la vie, Mahi Binebine y croit. Comme épanouissement personnel et comme alternative : « Le rayonnement ne viendra pas forcément du politique. Le rayonnement viendra plus certainement de l’artiste.  C’est ce qui reste d’une société après, qui supporte le temps et son usure. C’est ce qu’on regarde, un monument, une œuvre, un lieu de mémoire… C’est la richesse d’un pays dont il faudrait s’occuper, davantage. L’art, les arts, les artistes, ce sont l’oxygène de la société qu’il faut entretenir pour qu’elle continue de respirer ».