Rien d’intelligent dans tout ça - Par Naïm Kamal

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Jusque dans son sommeil, il a commencé à se demander si elle n’explorait pas ses rêves et ses cauchemars. Ses remarques lui plaisaient bien au début, le faisaient rire par la suite, genre ‘’aujourd’hui tu es plus performant qu’hier’’, ou à l’inverse moins…

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Par Naïm Kamal

Finalement il s’est résolu à s’en séparer. Ce n’est pas qu’il ne l’appréciait plus, mais sa façon de l’avoir tout le temps sur le dos l’agaçait au plus haut point. Pourtant, au début, ils avaient une relation fusionnelle. Il la consultait souvent et était soucieux de savoir ce qu’elle pensait. Mais allez savoir comment, il a commencé à avoir bien plus que l’impression qu’elle l’épiait en permanence, guettant ses gestes et mouvements. Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. 

Jusque dans son sommeil, il a commencé à se demander si elle n’explorait pas ses rêves et ses cauchemars. Ses remarques qui lui plaisaient bien au début, le faisaient rire par la suite, genre ‘’aujourd’hui tu es plus performant qu’hier’’, ou à l’inverse moins, ne l’amusaient plus du tout. Il avait beau lui dire de se mêler un peu de ce qui la regarde, elle restait sourde à ses humeurs. Tout juste, lui disait-elle régulièrement : ‘’lève –toi et marche pendant une minute, ça te fera du bien’’. 

Le mot de trop

Un soir qu’il assisatait à une veillée funéraire, alors qu’il prenait conscience qu’une forme de dépendance se développait chez lui, elle prononça le mot de trop, la phrase qui fit déborder sa colère. Alors qu’un groupe de Tolbas psalmodiait des versets du Saint Coran pour la paix de l’âme du défunt, elle ne trouva rien de mieux que de l’alerter : ‘’environnement trop bruyant !’’ 

Il savait qu’elle était étrangère à sa culture, mais là elle a touché au sacré.  C’est suite à cette réflexion qu’il a décidé de s’en défaire. A regret il est vrai, il la retira de sa main pour la ranger dans un tiroir. Et peu importe si c’est son fils qui la lui avait offerte. 

L’Apple Watch, comme les autres montres connectées – Samsung Galaxie, Huawei, Garmin Foreruner… -, n’est pas un luxe inutile. Nombre de pas, distance parcourue ; fréquence, récupération et variabilité cardiaques ; qualité du sommeil ; calories bûlées au repos et en exercice ; fréquence respiratoire et taux d’oxygène dans le sang etc, peuvent renseigner sur la forme, même si hypocondriaque s’abstenir. 

La montre connectée n’est encore que le prélude de l’Humain branché et/ou ‘’implanté’’. Les prémices et les implications de cet humain du futur proche, sont apparues avec l’Internet et les moteurs de recherche. La pandémie du Covid en a donné un avant-goût, quand il a fallu recourir aux cours en distanciel qui ont dévoilé les disparités entre un élève en milieu connecté et celui évoluant dans les déserts technologiques.

L’Homme Bionique

 Ce monde a commencé bien plus tôt, lorsque l’humanité a appris à se passer des pigeons voyageurs pour communiquer et transmettre des messages. Un long chemin qui est en train de prendre des formes de plus en plus angoissantes depuis que le ChatGPT, dernier cri connu du grand public dans le monde de l’Intelligence Artificielle (AI), a pris d’assaut le Web et les esprits. 

Le danger pour le devenir de l’humanité serait si grand que mêmes les artisans et apôtres du tout technologique n’hésitent pas à adopter des positions paradoxales, préjudiciables en milliards de dollars à leurs intérêts, réclamant une pause, sachant par ailleurs qu’inexorablement nous y allons sans qu’on ait à redire.

Dans 21 leçons pour le XXIème siècle, paru en 2018, le chercheur et historien israélien Yuval Noah Harari explore l’univers du Big Data et de l’AI et met en lumière les risques que fait courir l’Homme augmenté, bionique, en quête de l’immortalité. A moins d’un miracle, comme l’humanité en est parfois capable, c’est la société la plus inégalitaire de l’histoire qui se profile à l’horizon, la biotechnologie pouvant ‘’permettre de traduire l’inégalité économique en inégalité biologique’’.

Dans l’essor sans précédent des technologies de pointe, il n’y a pas en jeu que le contrôle de la pensée et des mouvements dans une société totalitaire, déjà pressenti en 1949 par le britannique Georges Orwell dans son ouvrage 1984 et son Big Brother ; ou révélé plus récemment, en 2019 dans Mémoires vives, par le lanceur d’alerte et ancien du renseignement américain, Edward Snowden, où il évoque en détail les écoutes effrayantes auxquelles se livrent les Etats Unis partout dans le monde. 

Le vrai danger

Il y a pire, selon Noah Harari : la réduction de la grande majorité de l’humanité à l’insignifiance et à l’inutilité sans autres interlocuteurs que des robots qui, pour avoir détecté dans votre ADN une potentielle maladie à venir bien plus tard dans la vie, vous refusera un crédit sans aucune possibilité de recours. 

Les bienfaits de l’AI sont énormes, mais ses dangers, pas tous connus, le sont tout autant. Noah Harari se montre malgré tout rassurant. Il n’y a pas de risque que les robots prennent un jour le contrôle des humains où qu’ils se lancent, comme on l’a vu dans des fictions, dans des mouvements de désobéissance civile. 

Et il n’y aurait aucune chance pour que l’homme initie l’ordinateur à la conscience qui est la capacité d’éprouver des sentiments et de produire des réactions inattendues. Harari a une jolie formulation pour cela : ‘’ De même que les avions peuvent voler plus vite que les oiseaux sans jamais acquérir de plumage, les ordinateurs peuvent résoudre les problèmes beaucoup mieux que les mammifères sans jamais acquérir de sentiments’’.

La conscience serait donc, et le resterait, l’apanage de l’homme. Il n’y aurait en conséquence aucune chance que l’AI l’égale un jour. Longtemps toutefois on a considéré qu’il en était ainsi pour le rire, alors qu’aujourd’hui on a tendance à croire, sans certitude, que des animaux aussi pourraient posséder cette particularité humaine. Mais ce dont on est sûrs, c’est que les chiens et autres dauphins ont une conscience d’eux-mêmes, ce qui ferait déjà d’un âne un être supérieur aux robots. Rassuré ? Humm, il n’en demeure pas moins, outre un bug qui déclencherait une guerre nucléaire, que l’AI que l’AI constitue un danger. Noah Harari le résume, en substance, ainsi : le vrai problème ce n’est pas l’intelligence artificielle, mais plutôt la bêtise et la cruauté des hommes qui la programment. Et l’usage que le plus grand des prédateurs peut en faire…

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