Un match polysémique – Par Seyf Remouz

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Hakimi et Mbappé, deux amis et deux enfants de la migration, ils ont en commun l’attachement à la famille

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Le fabulant destin de de Zineb El Rhazoui

L’état de grâce, voilà ce qu’on vit au Maroc. Dans un pays où les conjonctures et la gouvernance sont fortement liées à la pluviométrie, il y a comme une heureuse coïncidence entre le ruissellement des averses et la marche triomphale des Lions de l’Atlas provoquant ainsi une indicible et contagieuse émotion. 

Et si la pluie, don du ciel, donne aux Marocains le sourire, les footballeurs marocains les auront, jusqu’à là, initiés à l’euphorie et la ferveur. Dans un feuilleton d’extase prompt à donner le tournis à tout un peuple, l’équipe de Walid Regragui a, en cinq épisodes, Injecté dans l’épiderme national des doses de fierté, successives et jouissives, avant que ne soit atteint le carré d’or du football mondial.  

Le Maroc est en demi-finale contre les détenteurs du titre, la France. Pour inattendue qu’elle soit, l’affiche de ce soir est tonitruante. Aubaine sportive pour l’équipe marocaine, cette configuration singulière s’avère comme l’un des pires scénarios pour les bleus.  Doublement championne du monde, la France a tout à perdre contrairement aux Marocains qui, aux yeux du monde, ont déjà largement gagné. Insatiables, les Lions, qui n’ont jamais autant mérité ce sobriquet, peuvent être très dangereux. Surtout qu’ils auront le sentiment de jouer à domicile poussé par ce douzième joueur qu’est le peuple marocain. Ils ont, par ailleurs, entre les crampons les espoirs d’une grande partie de la planète qui, par un transfert d’estime et d’affection, leur assigne le rôle de représentant et du monde arabe, et du monde musulman, et de l’Afrique et même d’une partie de l’Asie. 

Dans le match de ce soir, il y a l’exploit sportif. Mais il y a aussi des tests explosifs. Cette rencontre est un match schizo. Un match polysémique qui charrie des questions sociales et identitaires, aussi bien dans les pays européens qu’au Maroc.

            -Évacuons d’emblée la polémique sur les incidents qui ont accueilli la victoire marocaine sur les Belges et les incidents, dans certaines villes françaises, suite au quart de final contre le Portugal.  Les spécialistes des violences urbaines savent que les voyous ont pris comme habitude d’utiliser les liesses populaires mais aussi les manifestations (Gilets jaunes, estudiantines…) comme des chevaux de Troie pour s’adonner à la prédation ou aux affrontements avec les forces de l’ordre. Cela dure depuis vingt-cinq ans. L’immense majorité des immigrés de France sont pris en étau entre cette racaille sans foi ni loi et l’exploitation faite de ces troubles par la canaille intellectuelle, médiatique et politique, tout autant sans foi ni loi. Ils ont comme chef de file des Éric Zemmour, Alain Finkielkraut, Elizabeth Levy, William Goldanel, Pascal Praud, la fachosphère…rejoints par Michel Onfray qui a eu l’outrecuidance d’interpeler le Roi du Maroc.

            -La rencontre avec l’Espagne en huitièmes de finale était, aussi et à sa manière, un match schizo avec de puissants ressorts historiques. La presse espagnole accueillera le match en qualifiant les Lions d’équipe de l’ONU isolant ainsi 14 joueurs issus de l’émigration marocaine et précisant que leurs lieux de naissance sont extra-marocains. L’Espagne, compte un peu plus de 700000 individus d’origine marocaine. En France, ils sont près 1700000. Depuis samedi, une partie de l’élite française particulièrement la plus réactionnaire illustrée par les noms ci-dessus, instruit insidieusement le procès de l’absence de loyauté et celui de la double allégeance. Les mêmes pyromanes, déguisés en pompiers, se passent, depuis quelques jours et sous le manteau, une vidéo du Roi Hassan II, datant de 1993, où dans un entretien avec Anne Sinclair, celui-ci donne son avis, sorti de son contexte, sur les questions d’immigration et sur l’impossible intégration des musulmans.

            -Quand dans la planète foot, les stars exhibent leurs femmes, généralement des top-model, les joueurs de l’équipe marocaine célèbrent leur mères, ce pivot invisible de la famille. Ces mamans, celle de Boufal, de Hakimi ou de Ziyech, sont des femmes ordinaires, usées par la vie d’antan quand elles faisaient le ménage pour élever leurs enfants. Elles sont natures. Elles sont bios. Elles portent toutes un fichu sur la tête que d’aucuns qualifieront de foulard islamique. N’en déplaise à ceux qui parlent, en France tout particulièrement, de la démission des parents, ces mamans sont un puissant symbole de ce qu’est encore le sens de la famille chez les Marocains.

             -Pour les spécialistes des questions migratoires, 2022 restera, au Maroc, l’année de deux séismes : le premier, c’est le discours 20 août de SM le Roi Mohammed VI où il demande sur le dossier des Marocains du monde un impérieux et nécessaire aggiornamento. A cela s’ajoute l’épopée de l’équipe nationale avec tous ces enfants de l’immigration marocaine qui mettent leurs talents et leurs abnégations au service des couleur du pays. Mine de rien ces deux évènements, l’un politique l’autre sportif, se rejoignent. A titre d’exemple, le Maroc a dépensé, depuis 30 ans, des milliards dans l’apprentissage de l’arabe aux enfants d’immigrés, dans le cadre de l’ELCO. Hakimi ou Ziyech ne parlent pas cette langue. Seraient-ils moins marocains pour autant. L’équipe nationale nous enseigne qu’en matière d’accompagnement de la Communauté marocaine à l’étranger, nous avons l’obligation de changer de paradigme.

              -Il y a enfin le phénomène Walid. Tout a été dit sur cet enfant de Corbeil-Essonnes. Mayonnaise, non pas d’une salade russe, mais marocaine, il a su insuffler de l’énergie dans un collectif gagnant. Il nous prodigue cependant une autre leçon. A l’avenir, le sélectionneur, le coach doit être un marocain.

A part ça, il y a fort à parier qu’on va gagner ce soir.

 

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