Violences sexuelles: l’heure de vérité pour le cinéma français

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L'actrice française Judith Godreche qui a eu une relation avec Benoît Jacquot lorsqu'elle était adolescente, a déposé une plainte pour viol sur mineur contre le réalisateur, selon son avocat, le 7 février 2024. (Photo LOU BENOIST / AFP)

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Le cinéma français crèvera-t-il l'abcès? Les regards se tournent vendredi vers l'Olympia, à Paris, où se tient la 49e soirée des César, sur fond de libération de la parole autour des violences sexuelles dans le 7e art.

Beaucoup attendent des mots de Judith Godrèche, devenue figure de proue du #MeToo français après avoir porté plainte contre les réalisateurs Benoît Jacquot et Jacques Doillon pour des violences sexuelles et physiques pendant son adolescence, que ces derniers nient.

"Que j'aille aux César ou pas, on s'en fiche bien", a coupé l'actrice, à deux jours de la cérémonie, appelant plutôt à "entendre" les victimes. "Notre milieu souffre en silence. Nos jeunes filles souffrent en silence. Et une fois de plus, une fois encore, le gouvernement se tait, les politiques se taisent, et les acteurs, les réalisateurs se taisent".

Pour briser ce "silence", la CGT prendra la parole sur le tapis rouge avant la cérémonie, prévue à 20H45. Elle a aussi donné rendez-vous à 19H00 devant la salle de spectacle, pour un rassemblement auquel participera sa secrétaire générale Sophie Binet. Le collectif 50/50, en pointe dans ces luttes, y sera également.

Dans la salle aussi, la question a des chances d'éclipser la course aux prix entre le favori "Anatomie d'une chute" et ses concurrents, comme l'hommage à l'actrice Micheline Presle, doyenne du cinéma français, décédée mercredi à 101 ans.

Car, de la mise en examen pour viols et agressions sexuelles de Gérard Depardieu aux accusations portées par Judith Godrèche, suivies par d'autres comédiennes, les violences sexuelles hantent plus que jamais le cinéma français.

Jeudi, Isild Le Besco a, à son tour, annoncé qu'elle "envisage" de porter plainte contre Jacques Doillon et Benoît Jacquot, dénonçant une "emprise destructrice" et des "violences". Et l'acteur Aurélien Wiik a lancé sur Instagram le hashtag #MeTooGarçons.

M. Doillon, lui, entend déposer une plainte pour "diffamation" contre Mme Godrèche.

Spectre de Polanski 

La multiplication de ces accusations nourrit le soupçon que, parmi les cinéastes, acteurs et autres professionnels du 7e art qui prendront place à l'Olympia, certains ont fermé les yeux sur ce type de faits.

Les mots de la présidente de la cérémonie, l'actrice Valérie Lemercier, seront scrutés. Et la brochette de stars qui se succèderont pour animer la soirée, de Dany Boon à Jean-Pascal Zadi en passant par Juliette Binoche, Benoît Magimel ou Bérénice Béjo, sont attendus au tournant.

Censés représenter le cinéma dans sa diversité, les César ont évolué depuis la cataclysmique édition 2020 où Roman Polanski, accusé de viol, avait reçu le prix du meilleur réalisateur pour "J'accuse", provoquant le départ de l'actrice Adèle Haenel.

L'institution a été renouvelée. Une règle de "non-mise en lumière" des mis en cause par la justice "pour des faits de violence" a été instituée (pas d'invitation aux événements liés aux César, pas de remise de statuette sur scène, ni de discours pour les lauréats).

Une réalisatrice sacrée? 

A priori, aucun des nommés n'est visé par des accusations. L'acteur Samuel Theis ("Anatomie d'une chute") fait l'objet d'une enquête après la plainte pour viol portée par un technicien alors qu'il tournait un film l'été dernier, mais il n'en fait pas partie.

"Anatomie d'une chute", Palme d'Or à Cannes et nommé cinq fois aux Oscars (le 10 mars au soir à Los Angeles, dans la nuit du 11 en France), a récolté 11 nominations. Le trophée du meilleur film pourrait se jouer entre lui et "Le règne animal", film fantastique de Thomas Cailley (12 nominations).

A 45 ans, sa réalisatrice Justine Triet pourrait marquer l'histoire des César en devenant la deuxième femme à remporter le prix de la meilleure réalisation, un quart de siècle après Tonie Marshall ("Vénus Beauté (institut)" en 2000). Deux autres réalisatrices (sur cinq nommés) sont en lice: Catherine Breillat ("L'été dernier") et Jeanne Herry ("Je verrai toujours vos visages").

Côté interprètes, parmi les favoris, l'actrice allemande Sandra Hüller ("Anatomie d'une chute"), Hafsia Herzi ("Le ravissement"), Romain Duris ("Le règne animal") ou la révélation de l'année Raphaël Quenard, à la fois en lice comme meilleur espoir (pour "Chien de la casse") et comme meilleur acteur (pour "Yannick").

Des César d'honneur doivent être remis à l'actrice et réalisatrice Agnès Jaoui qui a raconté publiquement avoir été victime de violences sexuelles dans son enfance, et au cinéaste américano-britannique Christopher Nolan ("Oppenheimer"). (AFP)

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