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Bientôt son centenaire, mais ce vendredi fera 23 ans déjà que cet amoureux d’Asilah nous a quittés – Par Hatim Betioui
Léopold Sedar Senghor (au centre) avec à sa gauche Mohamed Benaissa, président et fondateur du Festival culturel International d’Asilah et L’historien et écrivain marocain Abdellah Laroui
Ce vendredi, marquera le 23e anniversaire du décès de Léopold Sédar Senghor, poète et premier président du Sénégal indépendant, survenu le 20 décembre 2001. En octobre 2026, nous célébrerons le centenaire de sa naissance. Senghor, chrétien, est entré dans l’histoire par la grande porte lorsqu’il a renoncé volontairement au pouvoir, désignant le musulman Abdou Diouf comme son successeur. Il s’y est également distingué par son dévouement à la culture, son œuvre poétique empreinte d’humanisme lui valant d’être décrit comme un "président au cœur de poète".
La voix de l’Afrique
En tant qu’homme d’État, Senghor a fait entendre la voix de l’Afrique, élevant haut le cri de l’identité noire sur la scène politique mondiale et gagnant le respect pour la négritude. Avec Aimé Césaire, poète originaire de la Martinique, il a joué un rôle central dans l’inscription de la poésie africaine sur la carte littéraire mondiale. Il est vrai, en langue française.
Senghor fut également un pionnier dans le rapprochement entre le monde arabe et l’Afrique. Vers la fin des années 1950 et le début des années 1960, il a pris conscience que l’Afrique subsaharienne ne pouvait être dissociée de l’Afrique du Nord. Il identifiait la langue comme un facteur clé et fut ainsi le premier à introduire l’arabe dans les programmes éducatifs au Sénégal, reliant ainsi le passé au futur, dans un pays où la majorité des habitants sont musulmans, et où l’islam est profondément enraciné dans la langue par le Coran et les hadiths. Cette démarche a constitué la première pierre d’un rapprochement avec le monde arabe.
Senghor répondait toujours favorablement aux initiatives visant à bâtir des ponts entre l’Afrique arabe et non arabe. Il était même pressenti pour présider le premier sommet afro-arabe prévu au Caire en 1976, annulé en raison de certaines problématiques politiques régionales.
La contribution géniale de l’Afrique à la civilisation
Senghor entretenait des relations étroites non seulement avec des intellectuels arabes, mais aussi avec des dirigeants arabes, parmi lesquels le roi Hassan II, le roi Fahd d’Arabie saoudite et le roi Hussein de Jordanie. Il vouait également une affection particulière à Asilah, petite ville marocaine connue pour son festival culturel international, lancé en 1978.
Mohamed Benaïssa, ancien ministre marocain de la Culture et des Affaires étrangères, et secrétaire général du Forum arabo-africain, que Senghor présidait avec le prince Hassan ben Talal, raconte : « Lorsque Senghor est venu pour la première fois à Asilah, en 1983, comme tout homme de son âge, il avait ses habitudes et son assistant militaire veillait à ce qu’il prenne du repos et une sieste à une heure précise. Senghor disait : "La sieste est la contribution géniale de l’Afrique à la civilisation". Il croyait qu’un homme devait diviser sa journée pour nourrir son imagination. »
Cependant, lors d’un séjour à Asilah, au cours d’une discussion animée sur les relations arabo-africaines, il déclara : « Pour la première fois, je vais rompre avec mes habitudes, boire une tasse de café et renoncer à ma sieste, car ce sujet ne tolère ni sommeil ni repos. »
Senghor appréciait particulièrement de parcourir à pied les ruelles de la médina d’Asilah, qu’il considérait comme une ville piétonne. Il aimait répéter : « Ne me traitez pas comme un vieillard. Asilah me rajeunit, car je marche dans ses rues et ses ruelles comme un enfant. » Il plaisantait souvent avec Mohamed Benaïssa, lui confiant que « la blancheur des murs de la ville me rappelle la noblesse de ma négritude. »
Senghor, l’Africain humaniste
Lors de la 13e édition du festival culturel international d’Asilah, organisée entre le 15 juillet et le 18 août 1990, Senghor a été honoré à travers un colloque intitulé "Senghor : l’Africain humaniste". Ce fut un été marqué par l’empreinte africaine, et cet hommage constituait une reconnaissance unique de la part d’une ville arabe et islamique à un poète qui avait tant donné à l’Afrique.
Asilah, par chance, fut le premier lieu africain arabe à célébrer ce grand homme, exprimant gratitude et reconnaissance pour son rôle et sa présence aux forums arabo-africains, contribuant ainsi au rayonnement culturel de la ville.
Cette année-là, Senghor refusa plusieurs invitations, même celle du président français François Mitterrand, qui souhaitait le nommer au Conseil supérieur de la francophonie. Il justifiait ses refus par des raisons médicales, précisant cependant : « Le seul événement auquel je tiens à participer cette année est mon hommage à Asilah. »
Lors de la séance inaugurale du colloque, des messages de rois et présidents furent lus, notamment ceux du roi Hassan II, du président sénégalais Abdou Diouf, du président ivoirien Félix Houphouët-Boigny, du président Mitterrand, et du prince Hassan de Jordanie. Federico Mayor, directeur général de l’UNESCO, prononça également un discours.
Une place portant le nom de Senghor fut inaugurée à cette occasion, en présence du prince Moulay Rachid, frère du roi Mohammed VI. La municipalité d’Asilah lui remit le certificat de citoyen d’honneur.
Le colloque se termina dans une ambiance simple et humaine, avec des lectures de ses poèmes, notamment une œuvre envoyée par Aimé Césaire, son compagnon de lutte et de création. Le poète quitta la ville entouré d’enfants, d’hommes et de femmes d’Asilah, qui l’avaient célébré avec un amour sincère et une profonde simplicité, valeurs chères à Senghor.