Mohamed Aniba Al Hamri : Élégies de l’ombre et du miroir – Par Rédouane Taouil

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L'œuvre de Mohamed Aniba El Hamri se lit comme un long poème traversé d’hymnes aux ombres odorantes de la nuit et aux regrets, à l’encrier et à la bruine, aux nuages éplorés et à l’éclat des yeux.

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Ce poète, dont le recueil de baptême circulait largement lors de sa sortie parmi des lycéens précocement saisis par le désir de vivre en poésie, ne cesse de fréquenter depuis sa tendre adolescence ses pairs tutélaires. En témoigne avec éloquence son ouvrage consacré à des poètes ayant été condamnés à la mort par pendaison, la prison à vie, le meurtre ou l’empoisonnement.  Quand il a fini d’esquisser les destins de ces semeurs de rimes, l’auteur a sollicité un tortionnaire pour rédiger la préface. Celui-ci, bien qu’ayant donné immédiatement son accord, n’a plus donné signe de vie. Rencontré par hasard par l’ami des poètes cruellement disparus, il dit avoir respecté son engagement et mais, en vertu de son métier, il a condamné à mort son manuscrit et l’a intégralement détruit. L’auteur s’en est trouvé contraint d’offrir aux lecteurs un livre décapité.

Fidèle au recueil auquel il doit sa surprenante révélation, Aniba est resté un féal du poète du double rêve inaccessible, l’amour et le pouvoir politique, Ibnu Zaydûn, dont la nostalgie affleure dans ces vers :

« Captivante Cordoue, l’espoir de te revoir est-il encore autorisé ?

Et la soif qui altère mon cœur abîmé par la séparation sera-t-elle étanchée ? »

Cette adresse à sa double égérie, Wallada et sa ville natale, inspire au poète de l’ombre et du miroir des fragments qui reflètent le désespoir de l’amant qui vivait ballotté d’incarcération en exil :

« Je ne possède que des rimes

Je balbutie des poèmes

Quelle amertume !

Je fais ma circumambulation

Les murs de ma prison 

Sont une vaste étendue ».

Quand parut le premier recueil de Mohamed Aniba Al Hamri « Al houbbou mahzilatou el kouroun » (l’amour, comédie des siècles), le beau nom des lettres marocaines, Abdeljebbar Shimi, écrivit, avec la perspicacité qu’on lui connaît, qu’il annonce un vrai poète.

Cette figure discrète, dont l’écriture est nourrie des insignes odes arabes et du langage de la poésie moderne, a produit en effet une œuvre qui se lit comme un long poème traversé d’hymnes aux ombres odorantes de la nuit et aux regrets, à l’encrier et à la bruine, aux nuages éplorés et à l’éclat des yeux, aux vagues et aux larmes, à la détresse des crucifiés et à l’inconsolable espoir, à la complicité commensale et aux traces des lieux. Peuplés de tendresse et de limpidité, de méditations intimes et d’images chaleureuses, ces hymnes sont un hommage à une tristesse fatale et vitale qui n’est pas sans rappeler le hüzün que Pamuk saisit, en évoquant la vie nocturne d’Istanbul, « non comme maladie passagère ou comme une souffrance, mais comme quelque chose de sciemment choisi, qui considère la défaite et la pauvreté comme des conditions à honorer ».

Ombre 

A peine te voit-elle

Tu la vois à peine,

Elle n’est là

Que grâce à tes pas,

Tu te plies

Elle se plie,

Tu t’inclines

Elle s’incline,

Tu te tournes

Pour la contempler

Elle décline,

Tu t’orientes vers le miroir

Pour la regarder

Elle s’abrite dans les reflets,

Quand ton corps

Est sous le soleil

Elle s’évanouit,

Désormais

Sans ombre

Tu es.

Ramier

Dites à l’éperdu

Qu’embrase le roucoulement

De la colombe

Les pleurs se savourent

Comme palpitent les douleurs,

Quand l’amour point

Tous les humbles aimants

Sculptent leur tourment

Sur une toile

Où les arcs sont le diadème

Des cœurs,

L’éploré déverse sa tristesse

Sur le fleuve

De ses entrailles elle s’épand

Comme une Senteur.

Vagues

Cet après-midi

Les vagues sont étrangement

Inquiètes,

Leur silhouette

S’évanouit dans le sable,

Les eaux leur tissent

Un linceul de limon, 

Elles ont déserté la bleuté

Pour se suffire de débris,

Bien qu’incléments

Les rochers les accueillent

Avec une effusion de tendresse,

Elles baignent dans leurs saillies

Et se délassent.

Récipient

La coupe qui se désaltérait

Et ne cessait de perdre 

De sa teneur

Je la chéris

Depuis toujours,

Chaque fois qu’elle est dans mes mains

Elle s’aperçoit 

Que je tremble

Et craint de choir,

Je m’y abrite le soir

Quand l’ennui

Me dénude,

Telle est son attitude

Elle s’emplit et se désemplit

Déversant ses soucis

Indifférente au hasard

De mon frisson

Et s’est échappée

Par mégarde,

Elle s’est brisée

Je me suis aperçu

Que je n’avais dans mes mains

 Que ses tessons

Et des regrets. 

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