Le Maroc et la guerre en Ukraine : le choix rationnel – Par Abderrahim Hafidi

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A l’instar de beaucoup de pays arabo-musulmans, le Royaume s’est gardé de trancher en choisissant «son camps » par sa non-participation au vote onusien, qui a très majoritairement condamné sans nuances la Russie.Et il a eu raison !

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Le Maroc et la guerre en Ukraine :le choix rationnel

Le monde de l’après Covid semble se dérober sous nos pieds , qu’une secousse sismique vient nous rappeler brutalement que nous tournons une page de l’histoire. celle que l’Europe, par deux fois , avait affligé au reste du monde à cause de ses déchirements non colmatés et ses guerres jamais terminées .

« La guerre est de retour en Europe », nous explique-t-on doctement.
La guerre donc ... Bref, le réel !

Ce retour du refoulé est à vrai dire un tournant qui advient dans la guerre qu’impose la Russie à son voisin Ukrainien, avec le bombardement de la plus grande centrale Zaporijjia d’Europe, dont les effets toxiques pourraient être dix fois plus que Tchernobyl ! Et le siège de Kiev sur le point de se rendre.

L’incroyable performance de Poutine

Ce que 70 ans de guerre froide et de « Paix chaude », qui n’ont pas réussi à faire, endiguer la «courtoise haine » entre les puissances Européennes, qui ont empêché d’unifier L’Europe, le maître du Kremlin, Vladimir Poutine est en train de donner l’impression de réussir l’incroyable « performance » : celle de souder tous les morceaux de l’Europe, pourtant abîmée par la guerre des Balkans ( qui, la première , avait sonné le glas au rêve des bâtisseurs de l’Europe post seconde guerre mondiale et leur fameux  « Plus jamais ça !!! » ) , suivie de l’arrivée massive des réfugiés extra européens qui hantent encore les détours et les Carrefours des pays européens ne Sachant plus à quel saint se vouer ….et, last but not least - la Pandémie de la Covid-19 qui a «co-vidé » Le Monde et asséché ses (re)resources !

Aussi, n’ayons pas peur des « maux » : nous sommes bel et bien rentrés dans un tunnel planétaire sans issus de secour, avec une vraie plongée en apnée dans un désordre dont nul ne saurait dire quand et par où sera la sortie !

Notre monde semble, sous nos yeux, probablement rentrer dans une ère qui met fin à « la prophétie », toute erronée qu’elle fut, et qui annonçait à l’aune des années 90, la fin des idéologies, le triomphe par chaos du capitalisme «sans cœur ni miséricorde » (Vargas Losa) et le début d’un supposé conflit Civilisationnel entre un monde occidental arrogant et un monde musulman « sûr de lui » mais suffoquant !

Ainsi, les deux intellectuels américains néo-conservateurs Francis Fukuyama et Samuel Huntington célébraient, Urbi et Orbi, la sortie de l’histoire issue de la seconde guerre mondiale, et l’éclosion d’une autre !

Les monstres de Gramsci …

Mais suffit-il de désirer la fin de l’Histoire pour que cette dernière vous obéisse et vous épargne en allant voir ailleurs si elle s’y trouve?

Et patatras ! Poutine vient de « gâcher » ce « rêve » et nous oblige du coup à repenser le futur sans le secours du passé, un futur si anxiogène et moins endogène !
Cette nouvelle donne confirme un autre « songe » - plus juste celui là - que prononça iu certain Antonio Gramsci (1891-1937), du fond de son cachot Mussolinien :
« Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres »!

Cependant, Cette guerre repose, à visage découvert, une question cruciale qui ramènent à la surface, les « secrets » d’une promesse , non tenue par l’Occident, qui a été faite à Gorbatchev : Les Occidentaux auraient, en effet, donné des assurances à Gorbatchev que l’Alliance atlantique n’élargirait pas ses frontières à l’Est .

Cette question agite les esprits, tant à l’Est qu’à l’Ouest, depuis vingt ans. Elle a connu un nouveau rebond aujourd’hui quand Poutine décida d’envahir l’Ukraine. Par cet acte, le Maître du Kremlin dénonce - à sa façon - « l’Arrière-pensée » hégémonique du Pacte euro-américain ( l’OTAN) et sa propension de plus en plus affichée à Intégrer l’Ukraine dans « le club des 27 » de l’Union Européenne et de se rapprocher de la ligne «Maginot », celle d’une frontière commune avec la Russie , avec le risque de voir pointer vers Moscou les Missiles nucléaires de l’Occident.

Mais Cette guerre a surtout dévoilé, toute honte bue, la sempiternelle «indignation sélective », celle qui n’admet dans le logiciel humanitaire Européen que des réfugiés ….White and catholic !!!

Subitement, la générosité déborde, les frontières s’ouvrent et les gymnases de l’Hexagone se mettent en ordre de marche pour accueillir des réfugiés …..white and Catholics Ukrainiens ! Les Afghans et autres Syriens repasseront !

Les appels à la mobilisation mondiale contre l’invasion Russe, arrimés à une guerre d’information à sens unique qui consacre l’hégémonie d’un discours compatissant (que les civils Ukrainiens méritent largement !) et accusatoire ne doivent pas nous empêcher de penser l’intérêt géostratégique du reste du monde à s’aligner sur les desiderata occidentaux !

Ni la Chine, ni l’Inde, ni le Brésil ne semblent succomber à « l’exégèse » de la crise Ukrainienne telle que nous la suggère la Raison politique européenne. Et la Chine n’a pas tardé à sortir du bois pour «rassurer le voisin russe de son amitié » (sic!) et de sa disponibilité à jouer les conciliabules pour mettre fin à la guerre le moment venu ! Et l’Empire du milieu vient de venir à la rescousse de l’économie russe en lui accordant l’usage du réseau bancaire « UnionPay », le plus grand réseau bancaire au monde, après que les réseaux Master Card et Visa aient retiré la Russie de leur réseau !

Une position opportune

Et le Maroc dans tout cela ? Le Royaume s’est gardé de trancher en choisissant «son camps » par sa non-participation au vote onusien qui a très majoritairement condamné sans nuances la Russie.

Et il a eu raison ! Car, comme dit le dicton « chacun voit midi à sa porte ». Celle du Maroc est grande ouverte sur le monde mais vigilante sur ses propres intérêts vitaux.
En effet, depuis la récupération de ses provinces sahariennes, aucun pays de l’Europe continentale n’a daigné reconnaître la légitimité de cette récupération. Tout au plus, certaines chancelleries avaient signifié à mots couverts une «discrète sympathie » à l’égard du Maroc sans jamais franchir le Rubicon d’un soutien public ! Seuls les Américains ont brisé le tabou, mettant les Européens (Allemands et Français en tête) dans l’embarras ! .

L’épisode de la crise qui a secoué les relations entre le Maroc et l’Espagne a levé l’équivoque sur les limites de la «discrète sympathie » européenne et sa vocation à une gestion « pavlovienne » de la géopolitique : soutenir quoiqu’il qu’il arrive la partie européenne en conflit.

Ainsi, le Maroc doit évaluer ses positions à l’aune de ses intérêts vitaux. Sa position géopolitique comme porte d’entrée de l’Europe, sa profondeur stratégique vers l’Afrique, et sa vocation à être un vecteur d’équilibre et de modération, son voisinage immédiat qui parasite sa tranquillité et qui s’agite comme un diable pour inciter la Russie à faire contrepoids à la reconnaissance américaine de la souveraineté pleine et entière sur ses province du sud, sans résultats pour l’instant, expliquent la prudence diplomatique du Royaume à ne pas s’aliéner l’ogre russe réputé pour avoir une mémoire de dauphin, tout en se plaçant du côté du droit et de la légalité internationale. La position du Maroc apparaît ainsi marquée d’une sagesse diplomatique qui n’insulte pas l’avenir.

Le monde qui sortira de cette secousse sismique et qui ébranle l’Europe aura des impacts sur la stabilité de l’Europe et du reste de la planète. Les alliances du passé semblent d’ores et déjà caduques, en perspective d’un futur « aggiornamento » continental dont seuls l’Europe et ses passifs non résolus en porteront la responsabilité historique.

Oui Milles fois oui, le Maroc a raison dans son choix, faisant sienne cette mise en garde du Général de Gaule : ne pas prétendre résoudre une équation compliquée avec des idées Simples !

Abderrahim Hafidi
Politologue et islamologue
Paris