L’acte d’Ecriture: un acte éminemment historique

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L’Histoire nous apprend aussi que le scribe devait toutefois se tenir à la bonne distance de deux choses : la folle et douce fantaisie de l’imagination ; de toute critique à propos du Dîn wa Dawla

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Du Scribe au service des Pharaons, au Blogueur « façon numérique » derrière son ordinateur, l’acte d’Ecriture demeure un acte éminemment historique, dans le sens où il ne se contente pas de prolonger l’acte d’Imaginer et de fantasmer lequel est censé être libre de toute chaîne, mais qu’il est sollicité pour coopérer à la construction d’un Récit, d’une Scénographie, autour de soi, de son identité, de sa perception de l’univers, de la Nation, de la communauté …

Dans le contexte arabo-musulman, l’acte d’Ecriture hérite évidemment de tout cela, dans une recherche d’équilibre entre deux écritures : celle de la langue classique, la langue du Coran, une langue sacralisée et érigée comme moyen de renforcer le système politique et ses institutions ; et de l’autre coté, une langue issue de dialectes populaires et que l’on utilise dans la satire, les arts populaires, la comédie, la fiction, la chanson…

Mais il reflète aussi d’une certaine manière la façon dont les Etats arabes se sont créés et imaginés et donnés à imaginaire à l’Autre. 

Gérard Khoury dit que les Etats arabes se sont construits sur la base de «  structures d’empires », qu’ils se sont calqués sur des modèles d’empires, empire Sassanide ou empire Byzantin, ou Romain, ou Egyptien, …

Et Moustapha Sofian ajoute : « Quand on me dit : « mais c’est un Etat fondé sur le Coran! », [jeréponds] c’est faux parce qu’il n’y a rien dans le Coran là-dessus -– et là je ne fais que reprendre les thèses de beaucoup d’autres écrivains — …cela démontre que l’Etat islamique n’a aucune assise ni dans le Coran, ni dans le Hadith ».

Ce serait donc dans des « Structure d’empire » que le scribe a été sollicité pour coopérer à la construction du Récit ou d’une Scénographie dont il fabriquera la « colle » qui fera tenir l’édifice dans son ensemble. D’ailleurs, sous l’empire Almohade par exemple, le scribe en tant que serviteur de l’Etat avait acquis une technicité, un style et une grande maitrise de la langue arabe, il incarnait cet état de noblesse impérial dont le Maroc a hérité. Pareil pour le scribe des temps pharaoniques lorsque le scribe en tant que serviteur de l’Etat incarnait l’aspect impérial dont l’Egypte a hérité…Plusieurs autres Etats aussi, ont hérité de cela.

L’Histoire nous apprend aussi que le scribe devait toutefois se tenir à la bonne distance de deux choses: la folle et douce fantaisie de l’imagination; de toute critique à propos du Dîn wa Dawla( Politique et Religieux), qu’il devait veiller à ne pas séparer, et tant qu’il faisait cela proprement, tout allait bien et le monde arabe bénéficiait de son propre Récit, un récit fier, glorieux, imagé et victorieux, auquel hélas, le 19ème siècle vint mettre fin. Une nouvelle galère commença pour l’acte d’Ecriture qui se retrouva dans l’urgence d’accompagner le nouveau cadre institutionnel de l’Etat-Nation. Epurer, personnaliser en fantasmant davantage ses textes, prendre des distances du Scribe façon Empire mais aussi du Bateleur façon populaire, en fait réapprendre à construire un nouveau récit qui emprunte plus à l’argument, à la raison, au logos, ces grands fondements de la modernité. 

Mostapha Sofian dit à ce propos : « De même que les scribes des temps pharaoniques étaient des serviteurs de l’Etat, de même aujourd’hui (dans le monde arabe) on peut dire, de facto, que la plupart des écrivains sont des serviteurs de l’Etat. Jusqu’à aujourd’hui, l’écrivain reste séparé du peuple. Il n’est pas lu. Ce qui fait que dans toute notre histoire, on ne peut pas trouver le nom d’un seul écrivain qui aurait tenu le rôle qu’un Victor Hugo a joué en France, sans parler de Shakespeare, etc. Dans notre histoire, nos écrivains n’ont jamais eu voix au chapitre, ce qui est quand même étonnant, puisque c’est séparer le peuple de tout le travail de la pensée. On va dire que ce n’est pas sa fonction, au peuple, de penser. Mais quand même, cette séparation est catastrophique ».

La tâche s’avéra difficile et ni le Scribe ni le Blogueur moderne, ne sont arrivés à faire émerger un Récit digne de ce nom sur le monde arabe contemporain. S’inspirer de sa propre évolution socio-politique et socio-religieuse relève du déni et du défi. 

Pourtant, est-il nécessaire de rappeler que si le récit de l’Occident sur l’Occident est arrivé à maturité jusqu’à dominer aujourd'hui le monde entier, c’est qu’il a su s’appuyer sur ce que le philosophe appelle «une religion laïque de nature scientifico-industrielle et économique », qui est directement puisée dans les entrailles monothéiste, Abrahamique, chrétienne…C’est « Dans le silence des monastères, dans la pénombre des manufactures et derrière les fumées des usines que la religion laïque industrielle s’est développée jusqu’à sa victoire, aujourd’hui, à l’heure du triomphe de l’Entreprise et du Management universel » écrit Pierre Musso.

En bref, pour qu’il puisse jouer son plein rôle et cesser de n’être que le reflet de l’échec politique, de l’humiliation dans le monde arabe et musulman, l’acte d’Ecriture doit se penser (également) comme un acte, où, la grande Histoire s’invite et se combine avec l’ imagination et le fantasme du Scribe  et du blogueur, chacun reflétant un univers à part.