Mahmoud Darwich (1942-2008) : Les sublimes cadences de de la langue et de la terre – Par Rédouane Taouil

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Mahmoud Darwich a vu le jour à Al Birwa près de Saint-Jean D’Acre. Ce village, englouti par la nuit rugueuse, est resté d’autant plus sien qu’il a été rayé de la carte.

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Plus haut que quiconque, l’immense poète, disparu il y a treize ans, propose une esthétique qui scelle une profonde intimité entre la poésie et la résidence sur l’étroite terre, entre des cantiques épiques et l’existence.

 

Par une nuit à Londres, le poète palestinien, Mou’in Bsissou, pose l’écriteau « Prière de ne déranger » sur la porte et ferme sa chambre d’hôtel en laissant la clé dans la serrure. Cœur de pierre, la mort vient le ravir à son exil de brume et laisse la prière comme une stèle. Impavide et fidèle à sa danse dans les entrailles des poètes, l’hôte inexorable donne à Darwich l’ultime étreinte dans un hôpital au Texas  en dépit de la supplique qu’il lui adresse dans « Murale » lors de son épreuve de maladie :

 

O mort, attends, ô mort

Que je retrouve ma clarté d’esprit au printemps,

Ma santé,

Et tu seras le noble chasseur

Qui ne tue pas le faon près de la source.

….

Et O mort, attends et assieds-toi.

Prends la coupe de vin et ne marchande pas

 Avec moi.

Car tes semblables ne marchandent avec personne.

 

Emblématique de l’art de Darwich dans sa maturité, « Murale » est une double méditation sur la mort et la poésie traversée, à l’image d’autres recueils, par le souffle des « Psaumes », du « Cantique des Cantiques » et des odes préislamiques ou des fragrances soufis. Le poète y commerce, à cœur ouvert, avec la mort comme Baudelaire avec la douleur en évoquant les méandres de son moi, ses débats intérieurs et ses songes à venir. Les rimes croisées, le jeu des assonances et des césures, le retour des syllabes autant que les mots embrassés et les coupures font de « Murale » un poignant hymne au métier des vers.

 

Mahmoud Darwich a vu le jour à Al Birwa près de Saint-Jean D’Acre. Ce village, englouti par la nuit rugueuse, est resté d’autant plus sien qu’il a été rayé de la carte.

 

Souvenir impérissable, Rédouane Taouil avec Mahmoud Darwich

 

De cette tourmente de l’histoire, l’expression poétique de Darwich extrait une mémoire indélébile de l’eau du puits, des mûriers et figuiers, de sauge et de la cardamome, de l’âtre maternel et du cheval du père, des chardonnerets et des pierres captives du temps. De blessure à lit d’étranger, d’espoir pareil à une aube toujours renaissante de ses cendres à blessure, le poète chemine, l’absence au cœur, dans les plis sinueux de l’exil. La terre de Palestine nourrit un sentiment du lieu, aigu et multiple.  Au fil des recueils, l’écriture de Darwich se déploie dans un mouvement d’autoréflexions et de quêtes permanentes de nouvelles combinaisons jusqu’au dernier poème, « Le joueur de dés » où le poète pointe, comme en écho à Mallarmé, le poids du hasard :

 

Le poème est coup de dés

Sur l’étoffe de l’obscurité

Il rayonne ou ne rayonne pas

Et les paroles tombent

Comme les plumes sur le sable.

 

Engagée à cœur éperdu dans la langue, la poésie de Darwich, célébrations, déplorations ou adorations, se ressource dans le fleuron de poésie arabe et dans le verbe des livres saints, pour dire, par-delà les contingences, la présence à l’étroit au monde. Terre de résidence et d’existence, la langue est un collier de métaphores étoilées :

De ma langue, je suis né

Je suis ma langue, moi

 Voici ma langue

Je suis ma langue

Je suis ce que les mots ont dit

Je suis ce que j’ai dit aux mots.

 

L’harmonie des alliances de mots et de sons, la cadence des mouvements rythmiques comme la richesse des motifs thématiques autant que la splendeur les images la parent d’une beauté à l’égale de celle des chefs d’œuvre de la poésie universelle. Autant que la terre, Darwich chante la langue. Ou plutôt la langue est sa terre. Rainer Maria Rilke, autre haute voix lyrique, n’a-t-il pas clamé : Le « chant est existence » (Gesang ist Dasein) ?

Mahmoud Darwich, « Murale », Actes Sud, 2003.

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* Pour les textes culturels, l’auteur, qui a bien d’autres titres, préfère signer "ancien des écoles primaire et secondaire publiques du Maroc pour marquer sa dette pour ce que fut l’école marocaine et se démarquer des « experts ».

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