Chutzpah – Par Mohamed Chraibi

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Le jeune soldat Azaria qui, le 24/3/ 2016, avait achevé́ à bout portant un adolescent palestinien de 16 ans gisant à terre après avoir été blessé par un autre soldat. Ce qui lui valut HUIT MOIS de prison, au bout desquels il fut accueilli, à sa sortie de prison, par une large banderole proclamant : « Elor notre héros ».

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La précédente chronique (L’apprentissage du mépris instrument de la banalisation du mal) consacrée au livre de Sylvain Cypel (l’Etat d’Israël contre les Juifs) a exposé les pratiques employées par l’armée d’Israël pour déshumaniser le Palestinien au regard des jeunes recrues  et comment les colons sont incités par la société civile et religieusement conditionnés par leurs rabbins afin  que soldats et colons persécutent et tuent les Palestiniens, dans une impunité quasi totale, en toute bonne conscience voire dans le sentiment du devoir accompli.

Le plus alarmant de ce que nous apprend S. Cypel dans son livre est que la violence commise sur les Palestiniens par les institutions de l’Etat et les colons, jouit de l’appui actif de la population israélienne dans sa grande majorité. Selon S. Cypel, cette culture de la violence assumée qui s’étale au grand jour serait le résultat d’un changement profond de la société intervenu depuis le retour du Likoud de Netanyahu au pouvoir en 2000. 

Ces scènes de la vie courante

Sylvain Cypel son livre et sa thématique par la description de scènes de la vie courante en Palestine occupée. Il en est de même encore ici. Voici ce qu’il écrit : 

« Au printemps 2017, la réalisatrice israélienne Anat Even diffusait un documentaire sur Manshiyah, un quartier de la ville de Jaffa. Une scène y montre un urbaniste de la municipalité expliquant à un groupe d'étudiants l'histoire du lieu. II en vient à évoquer les Juifs, souvent d'origine marocaine, des immigrés installés là dans les années 1950 et qui, à la charnière des années 60-61, furent expulsés de leurs résidences pour faire place à un complexe commercial. Le professeur qui accompagne les étudiants demande alors à l'urbaniste pourquoi il ne rappelle pas qu'auparavant le même quartier avait été habité par des Palestiniens, expulsés de force en 1948. L'urbaniste rétorque qu'il ne voit pas pourquoi il devrait en parler. Parce que ce sont des faits historiques note le professeur. Réponse de l'urbaniste, rigolard : Fuck history (j'emmerde l’histoire).  

Lire aussi :  L’apprentissage du mépris instrument de la banalisation du mal - Par Mhamed Chraibi

L'anecdote peut servir de métaphore a ce qui constitue sans doute le plus important changement intervenu dans la société israélienne depuis 50 ans ». Le déni de l’expulsion de 700 000 palestiniens à la veille de et après la création d’Israël en 1948 longtemps entretenu, de Ben Gourion à Netanyahu, a été abandonné (Israël désormais emmerde l'Histoire), et remplacé par le regret qu’elle ne fût pas totale puisqu’une minorité de Palestiniens (guère plus de 5%) y a échappé du fait que ceux qui ont perpétré cet acte « avaient conscience qu'il était moralement indéfendable. D'où̀ son déni. C'est cette barrière qui s'est effondrée après 50 ans d’occupation ». 

Une autre raison d’assumer l'expulsion originelle est de chercher à légitimer celle qui est envisagée aujourd'hui sereinement. « Pour une grande part de la population c'est même LA solution…Plus d'Arabes, plus de problème palestinien ». En Israël, la culpabilité ou la honte ont disparu (1). Non seulement le crime est assumé, il est revendiqué. Un exemple en est fourni par l'affaire du jeune soldat Azaria qui, le 24/3/ 2016, avait achevé́ à bout portant un adolescent palestinien de 16 ans gisant à terre après avoir été blessé par un autre soldat. Ce qui lui valut HUIT MOIS de prison (2), au bout desquels il fut accueilli, à sa sortie de prison, par une large banderole proclamant : « Elor notre héros ». Et déclara n’avoir aucun remords, qu'il avait fait ce qu'on attendait de lui et le referait.

Du haut du plongeoir

Ce type de comportement observable quotidiennement dans les enclaves de Cisjordanie administrés par Israël qui consiste à dire et à faire, au vu et su de tous, des choses naguère répréhensibles, a donné naissance à l’expression désormais populaire en Israël : « Uriner dans la piscine du haut du plongeoir » (3). Israël est encouragé dans ce sens par le constat qu’«Israël peut obtenir beaucoup plus qu’auparavant et pour un coût politique dérisoire», selon Hagar El-Ad : transfert de l’ambassade des Etats Unis d’Amérique à Jérusalem, reconnaissance des colonies illégales, accords d’Abraham, abrogation de l’accord sur le nucléaire avec l’Iran…. « Quant aux Européens, par couardise ou impotence, ils laissent faire. L’Europe, combien de divisions? »(4).

Dans les milieux plus cultivés que ceux des dirigeants Israéliens et ceux qui les soutiennent, cette arrogance se nomme Chutzpah. Ce terme, il y longtemps passé de l’Hébreu à l’Anglais, avec probablement comme passeurs les intellectuels juifs américains critiques d’Israël, ne semble pas avoir trouvé sa voie vers le Français. Et ce n’est probablement pas un hasard si je tombe sur ce mot pour la première fois sous la plume d'un écrivain francophone qui a été longtemps correspondant du journal « Le Monde" à New York.  Ce qui pourrait donner matière à interrogation (nous nous abstiendrons ici…. pour le moment). Mais nul doute que la politique palestinienne d’Israël finira par frayer à ce terme son petit chemin dans la « langue de Molière". 

Ne sautez pas sur vos smartphones à la recherche de Chutzpah, vous ne trouverez pas mieux que S. Cypel : « C’est l’histoire d’un avocat qui défend un homme qui a tué père et mère et pour lequel il demande l’indulgence du jury au motif qu’il était orphelin » 

(1) Hagar El-Ad directeur de B’Tselem (ONG israélienne. C'est le centre israélien d'information pour les droits de l'homme dans les territoires occupés)

(2) Autant que la jeune Ahmed Tamimi pour avoir giflé un soldat israélien 

(3) acte qui se commet normalement sans être vu.

(4) allusion à la réponse attribuée à Staline à qui on demandait d’avoir du respect pour le Saint père : le pape combien de divisions?