Réunion tripartite de Tunis : absence de la géostratégie et forte présence de la manœuvres et du circonstancielles – Par Hatim Bettioui

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Le président algérien Abdelmadjid Tebboune (G) slors de son accueil par le président tunisien Kais Saied (D) à l'aéroport international de Tunis-Carthage, le 22 avril 2024, avant leur mini-sommet maghrébin avec le président du conseil présidentiel libyen. (Photo par FETHI BELAID / AFP)

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La conclusion qu'un observateur pourrait tirer du premier sommet consultatif qui s'est tenu lundi à Tunis, impliquant trois pays maghrébins, l'Algérie, la Tunisie et la Libye, est l'absence de stratégie géopolitique et la présence de manœuvres et politiques circonstancielles qui ne voient pas au-delà de l’instant.

Actuellement, la principale préoccupation de l'Algérie est de nuire et d'épuiser son voisin occidental (le Maroc), en tentant de trouver une place pour son protégé, le "Front Polisario" séparatiste, dans les structures politiques régionales et internationales, malgré le serrage du nœud diplomatique marocain autour d'elle.

Une diplomatie dans l’angoisse

L'agenda diplomatique algérien ne contient plus selon toutes les vraisemblances rien d'autre que des provocations contre le Maroc et des atteintes à son intégrité territoriale. Les autres plaidoyers algériens concernant certaines questions régionales ne sont qu'un exercice de consommation interne.

La générosité algérienne ne tarit pas quand il s'agit de son objectif clé depuis 1975, celui d’encercler le Maroc et de l'isoler de son extension africaine, et de le préoccuper en permanence, afin de le maintenir en retrait du développement. Sans comprendre que la sorcellerie a fini par se retourner nettement contre le sorcier.

Ne sachant plus à quel saint se vouer, l'Algérie a décidé subitement de tailler dans le Maghreb un bloc tripartite après avoir découvert qu'elle était isolée, régionalement réduite, surtout après s'être elle-même amputée de son flanc occidental le 24 août 2021 en rompant les relations diplomatiques avec Rabat et en fermant son espace aérien aux avions marocains.

Les relations de l'Algérie avec ses voisins dans la région du Sahel et du Sahara, notamment avec le Mali et le Niger, se sont dégradées, tandis que Rabat a cherché à s'ouvrir et à se rapprocher des nouveaux régimes au Mali, au Burkina Faso, au Gabon et au Niger. L'Algérie regarde suspicieuse l'initiative atlantique marocaine qui permettrait aux pays du Sahel africain (Mali, Niger, Burkina Faso et Tchad) d'accéder directement à l'océan Atlantique et d'y entrer pour commercialiser leurs produits et réaliser un développement global pour leurs citoyens. Elle est également inquiète de l'avancement du projet de pipeline gazier (Nigeria-Maroc) et de son exécution imminente sur le terrain.

L'hostilité envers le Maroc en est à devenir une doxa et un réflexe qui n'épargnent ni le football, ni le handball, ni le zellige, ni le caftan, ni le couscous marocains et la liste est longue.

Kafka dans le désert

L’affirmation du président algérien, Abdelmadjid Tebboune, en marge du septième sommet du gaz en Algérie entre le 29 février et le 2 mars dernier, sur un regroupement d’un bloc tripartite ne visant aucune partie, la porte restant ouverte à tous les pays de la région, message confirmé d’ailleurs par la réunion de Tunis à Nouakchott et à Rabat, n’en reste pas moins une clause de style qui cache mal la véritable intention d’Alger.

La plus grande plaisanterie du communiqué final de la réunion de Tunis est l'appel à l’unification des positions et à l’intensification des consultations pour soutenir les bases de la sécurité, de la stabilité et du développement dans la région. De quelle sécurité et stabilité peut-on, en effet, parler quand l'Algérie finance depuis le milieu des années 1970 des milices armées qui résident sur son territoire pour provoquer le Maroc et déstabiliser sa stabilité ? Sans même reculer devant la création de la maquette d’un Etat mirage à l'intérieur de son territoire pour devenir le premier pays au monde composé de deux républiques. Kafka n’aurait pu trouver mieux pour faire plus kafkaïen. 

Le communiqué final de la réunion de Tunis a également appelé à l'ouverture à toute volonté politique sincère et loyale partageant les mêmes priorités constructives. Que signifie une volonté politique sincère ? Démolir au bulldozer l'unité territoriale du Maroc et épuiser ce pays que l'Algérie aimerait voir effacé de la carte ?

L’éblouissement, le communiqué final l’atteint lorsqu’il appelle au maintien de la souveraineté de la décision et au respect mutuel, ainsi qu’au rejet de l'ingérence dans les affaires intérieures des États, sachant que l'Algérie ne cesse de nuire quotidiennement à la souveraineté du Maroc sur son territoire en se basant sur le fallacieux "droit à l'autodétermination". Le dernier acte dans ce contexte a été entendu lorsque des journalistes algériens sur les écrans de leur télévision ont dit que ‘’la position ferme des autorités contre le port par les joueurs de l'équipe Renaissance de Berkane marocaine d'un maillot avec une carte du Maroc, est une ligne rouge relevant de la souveraineté algérienne. Sans même se rendre compte qu’ils révélaient ainsi un non-dit enfoui dans l'inconscient collectif : le désir algérien profond de s'approprier le Sahara marocain par l'intermédiaire de milices séparatistes résidant pour accéder à l’Atlantique.

La sécurité, souci majeur de la Tunisie

La Tunisie a, elle, d'autres préoccupations immédiates. Le président Kais Saied cherche à l’extérieur une planche de salut à sa situation intérieure pour couvrir l'état de stagnation et l'impasse que connaît le pays. Le souci majeur, à côté de la crise économique, reste le problème sécuritaire pour le président Saied. La réunion de Tunis représente pour lui une occasion de s’assurer la coopération de l'Algérie et de la Libye pour la protection des frontières tunisiennes, et pour empêcher les grands flux de migrants venant de diverses parties de l'Afrique.

Le sommet de Tunis pouvait être l'occasion pour son président de signifier aux Européens, notamment à l'Italie, que la Tunisie ne négocie pas seule, notamment sur la question des flux migratoires et de leurs implications sécuritaires, étant donné qu'elle fait partie d'un bloc maghrébin. Cependant, il oublie qu'il dépend d'un bloc maghrébin boiteux et extrêmement fragile. Il oublie aussi que son pays a été contraint de s'engager dans des alignements régionaux qui a tourné le dos la traditionnelle neutralité sur le conflit du Sahara, sachant que le Maroc, tenant compte de la précarité que lui procure son emplacement géographique, n’a jamais cherché à l’impliquer plus dans le conflit du Sahara.

Quand Bouteflika a signé le fin de l’UMA

Depuis sa création le 17 février 1989, le bloc maghrébin à cinq a été chancelant en raison précisément de ce conflit, de création algérienne par excellence, jusqu'à ce que ce bloc entre en état de mort clinique en 2005 après l'échec de la tenue du sommet de Tripoli suite à une déclaration du président algérien Abdelaziz Bouteflika la veille du sommet, dans laquelle il a déclaré à l’intention des séparatistes du Polisario : "Nous ne vous oublierons pas au sommet de Tripoli". Ce qui a été justement interprété comme l'intention de Bouteflika de soulever la question du Sahara lors du sommet alors qu'il avait été convenu que ce sujet ne serait pas à l'ordre du jour.

Ainsi, le sommet de Tripoli a échoué et le Maghreb arabe est entré dans un labyrinthe d’où il n’est pas encore sorti. Le ministre marocain des Affaires étrangères de l'époque, Mohamed Benaissa, raconte que le leader libyen défunt, le colonel Mouammar Kadhafi, a considéré que Bouteflika l'avait poignardé dans le dos, voyant dans son action une rancune cachée et une jalousie pour empêcher la tenue de ce sommet à Tripoli.

En fait, Bouteflika s’était vu reprocher et a été réprimandé par la hiérarchie de l'armée algérienne, pour avoir permis la tenue d'un sommet maghrébin à Tripoli, le transfert de la présidence de l'Union de l'Algérie à la Libye, et son accord pour y assister. Face à cela, Bouteflika n'a trouvé d'autre moyen de sortir de cette impasse que de faire cette déclaration et de donner le coup de grâce à l'Union maghrébine.

Le brasier libyen

La Libye reste dans une situation peu enviable. Le moindre bon sens amènerait à constater qu’elle ne peut être acteur dans aucun bloc régional tant qu'elle ne s’est pas débarrassée de l'état de division qui la ronge. Cette situation qu’illustre bien la démission de l'envoyé spécial du Secrétaire général des Nations Unies, Abdullah Bathily, de sa mission, connue d'avance comme impossible.

Il y a une croyance à Tripoli que toute future réunion tripartite consultative devrait se concentrer uniquement sur le traitement des problèmes et défis de sécurité communs aux frontières, d'autant plus que le gouvernement de l'Est libyen a refusé de créer une nouvelle entité politique qui exclurait l'un des pays formant l'espace maghrébin, affirmant son attachement à l'Union maghrébine dans sa forme à cinq, et rejetant toute initiative de division.

À la suite de cela, le président du Conseil présidentiel libyen, Mohamed Younes Menfi, a rapidement envoyé un émissaire au Maroc porteur d'un message écrit au Roi Mohammed VI, le lendemain de la réunion de Tunis, affirmant la nécessité de renforcer l'Union du Maghreb arabe afin de réaliser les aspirations des peuples de la région à davantage de stabilité et de prospérité, et soulignant également le rôle actif que joue le Maroc en faveur de l'intégration maghrébine.

La Libye, avec toutes ses composantes en conflit, n'oublie pas le rôle du Maroc dans le rapprochement des points de vue entre les parties de sa crise, un rôle couronné par la conclusion de l'accord de Skhirat en 2015, suivi par deux accords à Bouznika et Tanger.

En conséquence, la Libye considère la première réunion consultative de Tunis comme une réunion purement sécuritaire, et non dirigée contre aucun autre pays maghrébin. De plus, l'incertitude quant à l'issue du dialogue politique en son sein fait qu'il n'est pas dans son intérêt de provoquer aucune partie maghrébine, y compris l'Algérie et la Tunisie.

Tripoli n'oublie pas comment Rabat a travaillé avec enthousiasme pour rapprocher les différents belligérants libyens, en ouvrant le dialogue entre eux, en fournissant un environnement sain pour cela, et en pariant sur le fait que la solution ne peut être que libyenne et politique, et que les difficultés ne peuvent être surmontées que par un dialogue calme, privilégiant les intérêts libyens.

La dispersion de Saba

Beaucoup diront que toute dynamique d'unité, totale ou partielle, doit être accueillie avec bienveillance, mais ils oublient que les coalitions fondées sur des réactions circonstancielles ne produisent pas de résultats brillants, et sont comme un arbre sec qui ne donne pas de fruits, comme le dit le proverbe "Ils se sont dispersés, les mains de Saba", traduction littérale de l’expression arabe qui  fait référence à un épisode biblique et coranique concernant le peuple de Saba qui, selon la tradition, a été puni par Dieu par la dispersion en raison de son ingratitude malgré les bénédictions reçues..

L'Algérie ne cesse de ‘’faire de son mieux’’ pour diviser le corps inerte de l'Union du Maghreb arabe, croyant que la fragmentation l'Union la réveillera de son long sommeil, alors qu'elle sait mieux que quiconque parmi les autres composantes de l'Union du Maghreb où réside le mal et où se trouve son remède.

Quitte à faire dans la répétition, la question centrale reste qu’un bloc tripartite épuisé par des complications internes et externes ne peut réaliser ce que le bloc maghrébin à cinq n'a pas pu faire ? Comme il est certain qu'il peut n'y a avoir de Maghreb arabe sans le Maroc et l'Algérie, car ce dernier ne peut exister sans ces deux pays clés en Afrique du Nord, considérés comme le pilier principal de toute structure fédérative dans la région.

D’après Annahr al-arabi, traduit et adapté par Quid

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