Bipolarité et champ politique marocain

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*Ecrivain, Enseignant de litt?rature dramatique, Ahmed Massaia a longtemps dirig? l?Institut sup?rieur d?art dramatique et d?animation culturelle

Au Maroc, on aime bien cr?er la pol?mique ? partir de l?anecdotique. Les menus fretins nous pr?occupent beaucoup plus que le d?bat de fond. Ils font ainsi ?cran aux vrais probl?mes dans lesquels se d?bat notre soci?t??: l??ducation, la sant?, la culture, et ? travers tout cela la gestion locale dont les vrais responsables sont les ?lus du peuple. Certes, ?des hommes et des femmes de bonne conscience s?y ?vertuent. Ils ne sont pas l?gion mais, on le voit bien de temps ? autre, des hommes et des femmes politiques ?mergent et tentent de nous donner de l?espoir ? nos horizons de pens?e. Nabila Mounib pour le Front de gauche, Secr?taire G?n?rale du Parti Socialiste Unifi? (PSU). Ilyas El Omari pour le PAM (Parti Authenticit? et Modernit?) et bien entendu le bouillant patron du PJD (Parti Justice et D?veloppement) Abdelilah Benkirane pour ne citer que ces figures qui font l?actualit? et qui se d?marquent un peu par leur verve et leur franc-parler, mais aussi par la fra?cheur ?de propos. Ils nous ?loignent ainsi de cette morosit? qui d?teint depuis longtemps sur le champ politique marocain.

Ilyas El Omari vient d??tre pl?biscit? secr?taire g?n?ral du PAM. Cette ?lection ? la t?te d?un parti, qui d?route plus d?un ? cause de l?irr?sistible ascension de celui que l?on a tax? de tous les noms sauf de l?essentiel, suscite beaucoup d?interrogations. La r?ussite d?un homme ou d?une femme ne d?pend pas toujours de sa position sociale ni de son origine ou d?une quelconque qualification familiale ou ethnique, m?me si parfois elles sont au c?ur de la r?ussite sociale autant que politique ou ?conomique. L?homme qui ?pr?side aujourd?hui aux destin?es de l?une des r?gions les plus pris?es ?et les plus riches du pays, la r?gion Tanger-T?touan-Al Hoceima, ?et qui, ? pr?sent, vient d??tre nomm? ? l?unanimit? secr?taire g?n?ral de l?un des partis les plus influents dans le paysage politique marocain, le plus controvers? aussi, qui lorgne vers le pouvoir et l?aura sans aucun doute dans un avenir tr?s proche, d?range plus d?un, pour ne pas dire fascine et rebute ? la fois.

Militant gauchiste dans sa jeunesse, Ilyas El Omari a su tr?s rapidement devenir, par son franc-parler, sa verve et son intelligence et, quelque part ses ambitions d?mesur?es, son sens de l?opportunisme aussi, une figure m?diatique importante. D?abord par ses connaissances au sein du s?rail et du monde culturel et politique. Ensuite, en farouche opposant du parti des islamistes, le PJD , il a su s?engouffrer dans la br?che historique qui lui fut offerte par le nouveau r?gime qui eut d?s le d?but le souci de r?gler un contentieux lourd avec le pass? et de r?int?grer la r?gion du Rif dans la sph?re ?conomico-sociale du pays. Tanger est devenue la plateforme ?conomique des rifains et Ilyas el Omari ne cache pas sa volont? de donner plus de voix ? une r?gion longtemps ostracis?e par le r?gime de Hassan II et r?habilit?e par Le Roi Mohammed VI.

Sans revenir ? la gen?se de la cr?ation de ce parti, nous sommes en mesure de dire aujourd?hui qu?il faudrait d?sormais compter avec lui et envisager qu?il jouera sans doute les premiers r?les dans l??chiquier politique marocain. L?histoire des parcours atypiques d?hommes et de femmes politiques ? travers le monde est tr?s ?logieuse ? ce sujet.

Au sein de son parti, l?homme ne va pas mettre sa langue dans sa poche et attendre que le ciel s?ouvr?t ? ses desseins. Il est le plus offensif quand il s?agit de critiquer son parti. Il se chargea de contrecarrer toutes les offensives des autres partis - et ils ?taient nombreux ? sa cr?ation - ayant tendance ? critiquer sa tonitruante arriv?e au sein du champ politique marocain, parce que parachut? en haut lieu. En f?d?rant les partis de l?opposition qu?il sent de plus en plus affaiblis, il s?attaque au mastodonte de la politique et devient la b?te noire du parti de la lampe. Et comme seul r?sultat, il est pl?biscit? et ?propuls? au plus haut sommet de l?appareil du parti en en devenant le secr?taire g?n?ral, une fois que le parti a prouv? son aura au sein de la soci?t? marocaine.

L?ascension du PAM dans le paysage politique marocain est une donn?e tout ? fait singuli?re dans le paysage politique marocain. Le pouvoir a su jouer avec beaucoup de finesse et d?intelligence pour tenter d?amener le pays vers un bipolarisme politique pour se mettre au diapason des pays modernes et asseoir une v?ritable d?mocratie dans la gestion du pays. C?est un travail de longue haleine qui laisserait pantois m?me les analystes les plus avertis. Et Ilyas El Omari en sera ? n?en plus douter la cheville ouvri?re. Maintenant qu?il est l?, ce trublion de la politique, qui d?range plus d?un, est en mesure de participer ? la r?alisation de ce bipolarisme politique que le r?gime attend avec beaucoup d?impatience. D?abord, il est pour l?instant le seul qui tient la drag?e haute ? l?autre grand parti, aux affaires aujourd?hui, le PJD, l?ennemi jur? de ce trublion de la politique qui entend leur tenir t?te et les chasser des affaires du pays.

Nous aspirons bien entendu au clivage gauche/droite qui doit se constituer et rendre le paysage politique marocain plus lisible, sans asp?rit?s. Ce clivage entre deux p?les ne veut sans doute rien dire dans un pays o? les cartes sont brouill?es, o? les convictions politiques changent comme les changements de temps au mois d?avril, les id?ologies ?tant rarement circonscrites et p?rennes. La gauche pure et dure a depuis longtemps vendu son ?me. Il n?en reste que quelques r?sidus qui s?agitent encore et la droite est compos?e d?un ramassis de tendances aussi ?clectiques que l?est la sph?re partisane de notre pays. Cependant, en admettant que cette bipolarit? ? l?occidentale si?rait ? notre pays, nous aurons un clivage droite/gauche qui m?nerait au pouvoir une droite d?ob?dience religieuse et nationaliste et une gauche lib?rale et moderniste. Et c?est l? o? r?side cette singularit? propre au Maroc o? la gauche est une droite des plus lib?rales et que la droite est un patchwork de tendances, des plus r?actionnaires au plus progressistes.

Une gauche lib?rale?:

Cette appellation est presque un oxymoron. Cependant, on voit bien que m?me dans les pays occidentaux o? les fronti?res sont claires, la gauche est de plus en plus situ?e au centre droit pour ne pas dire carr?ment ? droite. Elle peine ? se d?barrasser d?une mondialisation anthropophage et du pouvoir immense, d?mesur?, de la finance. Dans notre pays, le Parti Authenticit? et Modernit? (le PAM) en est aujourd?hui la figure embl?matique. Il joue des coudes et glane de plus en plus des si?ges dans l?h?micycle marocain. Ainsi fortifi? et pl?biscit?, il pourrait alors s?agr?ger ? loisir, dans un premier temps, quelques partis navigant dans sa sph?re soit ethnique soit id?ologique ou tout simplement par opportunisme politique. Il y a d?abord le RNI (Le Parti des Ind?pendants) dont la cr?ation ressemble ? s?y confondre avec celle du PAM. N?ayant plus la puissance et la l?gitimit? d?antan, il pourrait se diluer dans le PAM. La Haraka (Mouvement populaire) semble le parti le plus proche du PAM ? cause de son implantation dans les r?gions amazighes et campagnardes. Les deux partis ont en commun la langue amazighe qu?ils d?fendent bec et ongles, une position facilit?e et encourag?e par la constitution.

Ce n?est pas le cas, bien entendu, des autres petits partis de la gauche traditionnelle dont quelques uns d?fendent la langue arabe et se taisent pratiquement sur la question amazighe. L?alliance tactique avec le PAM ne tardera pas ? voler en ?clats dans un avenir proche. Ces partis ont tendance ? dispara?tre ou, au mieux, p?ricliter et faire de temps ? autre du bruit pour affirmer leur existence. L?USFP bat de l?aile. M?me les sympathisants les plus convaincus l?affirment ces derniers temps alors que cela n?avait jamais ?t? le cas au cours de l?histoire r?cente du pays. L?USFP a toujours ressembl? au Ph?nix, il renaissait toujours de ses cendres. Ce n?est plus le cas aujourd?hui. Les donn?es ont chang?. Quant au PPS, l?ex-parti communiste, il refuse d?sormais de regarder dans le r?troviseur et marche avec parcimonie en donnant la main ? qui veut l?aider ? exister et ne saurait constituer qu?un faire-valoir pour les partis les plus puissants du moment, en l?occurrence le PAM quand les urnes le m?neront ? la gestion des affaires.

Aujourd?hui, le PAM, avec ? sa t?te Ilyas El Omari, entend jouer les premiers r?les et il y met les moyens avec une orchestration sans pr?c?dent. Le parti vient de cr?er un holding de presse important pour faire entendre sa voix et celle du pouvoir qui l?accompagne dans sa consolidation au sein de la soci?t? marocaine. Ilyas El Omari commence d?j? ? faire le show ? l?am?ricaine, s?affichant ici et l? avec beaucoup de fracas.

Les figures embl?matiques du parti se retirent tactiquement pour laisser la place aux nouvelles figures du parti, la plupart issus de la gauche. Fouad Ali El Himma est Conseiller de Sa Majest?. Mustapha Bakkouri est pr?sident de la r?gion Casablanca-Settat et dirige l?une des soci?t?s les plus innovantes du pays. Hakim Benchemass est pr?sident de la Chambre des Conseillers. Plusieurs noms ont ?merg? et occupent d?sormais les premi?res places, notamment ? la t?te de plusieurs r?gions du Maroc?: Ilyas El Omari pr?sident de la r?gion Tanger-T?touan-Al Hoceima, Ahmed Akhchich?ne celui de la r?gion Marrakech- Safi, Brahim Moujahid celui de Beni-Mellal-Kh?nifra, Abdenbi Bioui, celui de l?Oriental. Si nous y ajoutons ceux qui pr?sident aux r?gions F?s- Mekn?s (Mohammed Lanser) , ?de Souss Massa (Brahim Hafidi ) et de Guelmim Oued Addahab (Abderrahim Ben Bou??da) tous les trois du Mouvement Populaire, nous voyons bien qu?un bonne partie du Maroc est entre les mains de ce bloc constitu? essentiellement du PAM et du MP, des partis qui ?voluent dans la sph?re des potentats du commerce et de la finance.

Une droite nationaliste

Le PJD est d?sormais un parti bien ancr? dans la soci?t? marocaine. Il tire sa l?gitimit? d?un processus mondial o? l?islamisme a d?teint sur pratiquement tout le monde musulman et tente avec beaucoup de fracas d?infiltrer id?ologiquement l?Occident. Son chef de file et patron charismatique est un fin ?quilibriste, tr?s habile qui a su mettre le r?gime comme paravent contre toutes les attaques de ses adversaires pour affronter les vrais probl?mes de la soci?t? avec un populisme qui plait ? une bonne partie de la soci?t?, tous les laiss?s-pour-compte et les indigents, et ils sont nombreux au Maroc m?me si le Roi, ?dans une ?course ? la montre, s??vertue ? combler ce d?ficit ?norme qui handicape encore notre soci?t?. Les adh?rents du PJD sont convaincus de l?imminence d?une r?volution islamique ? l??chelle mondiale qui a depuis longtemps entam? la mise ? l?index autant du capitalisme que du socialisme, deux id?ologies agr?g?s aujourd?hui par un autre ph?nom?ne encore plus vicieux et anthropophage?: la mondialisation.

Le PJD ?pourrait f?d?rer autour de lui des partis dont l?histoire a montr? combien ils sont rest?s attach?s ? leur id?ologie de d?part, ? savoir le nationalisme et l?appartenance ? la sph?re arabo-musulmane. Et dans ce sens, un parti dont le leitmotiv depuis l?accession du pays ? l?ind?pendance est justement cette orientation, le parti de l?Istiqlal, se coltinerait bien avec le PJD, m?me si l?actuel secr?taire de ce parti est quelque peu fantasque, volatile et changeant.

Il y a des affinit?s historiques et id?ologiques entre ces deux partis conservateurs qui occupent une place de choix au niveau de la repr?sentativit? parlementaire. Si le PAM et le RNI occupent les r?gions cit?es plus haut, le reste des r?gions sont occup?es par ces deux partis?: Rabat-Sal?-K?nitra par Abdessamad Sekkal et Dara?-Tafilalt par Lahbib Choubani, tous deux du PJD, d?un c?t?, ?et La?youne-Saqia El Hamra par Sidi Hamdi Ould Errachid et Dakhla-Oued Eddahab par Ynja Khattat du Parti de l?Istiqlal, de l?autre. Ces deux partis ?tant li?s id?ologiquement par leur attachement ? la langue arabe et aux valeurs traditionnelles et religieuses du pays. Il va sans dire que d?autres partis qui s?apparentent ? cette id?ologie pourraient renforcer ce bloc si les circonstances politiques et les priorit?s de l?Etat l?exigent. Pour l?instant, en tous les cas, ils ont encore les faveurs du pouvoir ?tant donn? les ?v?nements g?ostrat?giques en jeu dans le monde arabe.

Une troisi?me voie

Il reste dans ce patchwork de partis politiques qui vont bient?t s?affronter aux l?gislatives, un certain nombre de partis d?ob?dience gauchiste ou se d?clarant comme tels. La gauche traditionnelle a perdu de sa cr?dibilit? et de son aura. Elle n?a d?autre alternative que de rejoindre les nouveaux partis n?s des d?combres de cette gauche jadis bouleversante de vitalit? et d?audace. Frapp?e de discr?dit depuis l?instauration du gouvernement d?alternance dirig? par l?USFP, plusieurs petits partis sont n?s, dont le Parti Socialiste Unifi?, dirig? par Nabila Mounib, une femme de poigne, qui refusent le compromis et restent encore fid?les aux id?aux de la gauche. Ils agr?gent autour d?eux des associations progressistes et des droits-de-l?hommistes dont la voix est de temps en temps ?touff?e par le pouvoir mais qui n?anmoins apportent un peu de fra?cheur l? o? il n?y a h?las que ti?deur et opportunisme.

Ces partis de gauche r?unis pourraient constituer une force de proposition, ?tre un contrepoids important dans l??chiquier politique marocain. Ils pourraient constituer un bloc capable de participer ? cette bipolarit? tant souhait?e au sein de notre soci?t?, s?ils arrivent ? surmonter leurs dissensions et faire ?merger des figures charismatiques de la politique. Le Maroc regorge de progressistes et d?intellectuels de gauche pour peu qu?ils trouvent un espace sain pour s?exprimer.

Un Maroc enfin bipolaire??

La tendance est ? l??mergence de nouvelles alliances et de grands p?les politiques. Ils sont d?j? en ?uvre par l??lection/attribution des pr?sidents des r?gions ? travers le Maroc. La bipolarit? tant souhait?e par le r?gime est entrain de se mettre en place avec parcimonie et avec beaucoup de professionnalisme. Un climat de d?mocratisation de la politique marocaine est en cours, par doses hom?opathiques certes, pour ne pas br?ler les ?tapes et instiller le sens du devoir et de la citoyennet? au sein de la soci?t?, mais il souffle un air de volont? de la part du r?gime qui n??chappe ? personne parce qu?elle est in?vitable et n?cessaire.

L?essentiel est qu?un d?bat d?id?es, sain et constructif. puisse se mettre en place dans notre soci?t? afin de donner confiance aux g?n?rations montantes dans la pratique politique. La d?mocratie passe par l??: que de grands blocs de partis puissent d?battre et proposer des mod?les de gestion o? le citoyen peut choisir son mode de vie et avoir le sentiment de participer r?ellement ? la construction et au d?veloppement de son pays. Nous avons la chance d?avoir un Etat fort, un r?gime ??makhz?nien?? certes, mais un r?gime qui nous prot?ge de cette n?buleuse extr?miste qui gangr?ne la majorit? des pays dans le monde, qui a su nous faire ?viter ? maintes reprises des bouleversements qui, que Dieu nous en garde, auraient entra?n? notre cher pays dans l?anarchie la plus totale. Les partis politiques devraient en ?tre conscients et participer activement ? la moralisation de la vie politique.

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