L’appel des 68* : Ne votez pas pour Ibn Taymiyya, votez pour la démocratie!

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68 citoyennes et citoyens de différents horizons ont lancé un appel analysant et expliquant pourquoi il ne faut pas voter pour les islamistes qu’ils ont regroupé sous le générique Ibn Taymiyya. Au delà des tensions qui agitent la campagne, ils invitent les Marocains à un examen serein des enjeux et des priorités du Maroc d’aujourd’hui

Les signataires de cet appel viennent des milieux de la culture, de l’art, de la pensée, de la société civile et du monde de l’entreprise. Qu’ils soient engagés ou non dans un parti politique, ils affirment qu’ils ne sont animés dans cette démarche, par aucune motivation partisane, si ce n’est le service de l’intérêt général du pays. Au-delà de la forte tension et des passions qui agitent la campagne électorale des législatives du 7 octobre 2016, les signataires proposent à l'opinion publique un examen des enjeux et des priorités du Maroc d'aujourd’hui. De prime abord, ils avouent ne pas ignorer les dysfonctionnements de la classe politique considérée globalement, mais estiment que leur responsabilité est d’attirer l’attention de l’opinion et des électeurs sur le danger particulier que représente une reconduction du Parti de la Justice et du Développement (PJD) à la tête du prochain gouvernement. Voici leurs raisons :

« 1- Le premier enjeux est le risque de “sortir de l’histoire“. Jusqu’à la fin du 16ème siècle, les grands foyers de civilisation dans le monde marchaient du même pas. Pour des raisons aussi bien endogènes qu’exogènes à cette civilisation, le retard relatif enregistré par l'espace arabo-islamo-berbère s'est ensuite fortement accentué. L’on constate aujourd’hui une accélération du progrès des pays avancés et émergents, mais une stagnation, voire une régression, de nos pays qui risquent de sortir de l’histoire de l'humanité.

2- Il faut aller résolument et irréversiblement vers la modernité et parachever la construction de l’Etat moderne. La première des priorités est de réduire ce retard, d’aller vers la modernité. Pour nous, la modernité ne signifie pas une course au confort matériel, une société de consommation intensive ou une occidentalisation des comportements. Elle a un sens beaucoup plus subtil et profond. La modernité signifie pour une société humaine l'obligation de se mettre en phase avec son temps et de s'adapter à ses exigences, de relever ses défis, de saisir ses opportunités et d'écarter ses menaces. Et cela sur tous les plans: politique, économique, social, culturel, moral, des libertés, de l'Etat de droit, de la production du droit, de la transmission des valeurs … La modernité signifie une vraie démocratie, c'est-à-dire strictement conforme aux meilleurs standards internationaux, et aussi une dynamique devant aboutir progressivement à la mise en œuvre d’une démocratie parlementaire, telle que stipulée dans la Constitution. Il n'y a point de modernité sans une reconnaissance des droits des individus, quelles que soient leurs origines, leurs croyances religieuses ou leurs orientations personnelles, et sans une protection des minorités. Il n'y a point de modernité sans une émancipation totale des femmes et une parfaite égalité des droits avec les hommes dans toutes les dimensions de la vie sociale: famille, nationalité, héritage, accès aux responsabilités, droits économiques, etc.

3 - L’idéologie du PJD est régulièrement réaffirmée par le secrétaire général de ce parti, qui proclamait lui-même tout récemment son attachement à la pensée d'Ibn Taymiyya*, théologien radical du 13ème siècle connu pour son interprétation violente et sa vision belliqueuse de l’Islam. Cette idéologie est fondamentalement contraire aux valeurs de la démocratie. Plus grave encore, elle est une menace contre la prospérité et l'épanouissement des citoyens, une entrave au progrès du Maroc et un obstacle à sa marche vers la modernité sur les plans politique, économique, social et culturel.

4 - Au cours des quinze dernières années, le Maroc a vécu quatre événements majeurs:

  • L’émergence de la notion de citoyenneté;
  • La réforme du code de la famille;
  • Le travail d'investigation, de réparation et de justice transitionnelle élaboré par l'Instance Equité & Réconciliation (L'IER);
  • L'adoption et la promulgation de la Constitution de juillet 2011, dont le préambule apporte des avancées majeures pour les citoyens marocains.

5 - La Moudawana est le fondement du code civil marocain. Elle est une sorte de constitution pour la famille et l'individu. Elle est la base d’une marche vers l’égalité des genres, au sein de la famille comme au sein de la société. Elle est, certes, perfectible, mais toute imparfaite qu'elle est, elle n’est toujours pas acceptée et demeure même combattue par les composantes du PJD. Ce constat n'est pas une vue de l'esprit et le comportement hostile des dirigeants de ce parti à l'égard des femmes, des épouses, des mères, des filles, des sœurs ..., est perceptible à travers leurs actes, leurs comportements, leurs attitudes et leurs déclarations.

6 - Le champ religieux est constitutionnellement placé sous l'autorité morale et sous la supervision du Roi, Amir Al Mouminine, qui professe une approche modérée de l'Islam. En démocratie, seuls deux systèmes peuvent fonctionner dans l'harmonie et la stabilité sociales: un monopole exercé par le Chef religieux ou la laïcité. Le Maroc étant dans le premier cas de figure, il y a manifestement une antinomie avec l’existence d’un parti politique qui tire sa légitimité du référentiel religieux. Si l’on tolère qu'un parti politique continue de se prévaloir du référentiel religieux, on acceptera in fine la libre concurrence entre partis sur le champ religieux et donc les surenchères dangereuses et les dérives extrémistes. Inutile de rappeler le danger mortel que cela produit dans d'autres zones de la planète. L’unité religieuse des Marocains musulmans et l'uniformité de la pratique du culte musulman sont un acquis précieux pour le Maroc. Cette richesse nationale est aujourd'hui menacée. Avec le Roi, dont le rôle est parfaitement défini depuis des siècles et consacré par la force de la Constitution, la religion est un facteur d’unité. Avec un parti politique, elle devient un facteur de division. L’Islam est source d’unité et de solidarité entre tous les Marocains. L'exposer aux manipulations d'une formation politique, reviendrait à en faire un objet de compétition et donc une source de division. Par ailleurs, le recours à la religion dans le champ politique est une forme de concurrence déloyale exercée à l'encontre des formations politiques qui n'investissent pas, à juste titre, ce terrain. Le PJD n’hésite pas, quant à lui, à prendre appui sur des réseaux d’écoles coraniques et d’associations caritatives, dont la mission est ainsi dévoyée.

7 - La modernité signifie avant tout l’autonomie du droit, sa suprématie par rapport à toute autre source de légitimité. Cela suppose que l’élaboration du droit se fasse selon les termes de notre époque, suivant les contraintes de notre temps, et non pas en s’inspirant d’un référentiel traditionnaliste, amplifié par une lecture passéiste et essentialisée des textes religieux. Les seuls pays qui avancent à marche forcée vers la prospérité sont ceux où le droit s’est émancipé du passé et de la tradition. Pour prendre un seul exemple, il suffit de rappeler les vicissitudes de l’élaboration du projet de code pénal, qui n’a été ni adopté, ni même discuté en assemblée parlementaire. Le contenu très contestable de ce projet et les nombreux articles liberticides qu'il contient, montrent bien que le PJD bute sur un obstacle majeur lié au schisme qui existe entre son idéologie, d'une part, et les marqueurs du siècle dans lequel nous vivons, d'autre part. Ce parti ultraconservateur et rétrograde n’arrive ni à reconnaître l’individu dans ses droits, ni à percevoir la femme comme une citoyenne émancipée à part entière.

8 - Disons-le clairement: durant ces cinq dernières années, les démocrates et la société civile moderniste ont apporté leur grande contribution pour juguler les appétits hégémoniques de l’islamisme politique. Sans leur intervention, nous aurions subi plus fortement le projet de société chagrin et rétrograde prôné par le PJD:

  • une télévision entièrement en arabe classique réfractaire à l'amazigh et aux langues vivantes,
  • l’ordre moral dans les festivals,
  • des têtes formatées et mises sous tutelle, -des épouses soumises à toutes les violences et privées du moindre dispositif de protection,
  • la parité hommes/femmes et le pluralisme culturel et linguistique relégués aux calendes grecques,
  • un enseignement sans langues étrangères,
  • une interprétation conservatrice et orientée de la Constitution,
  • une mise en œuvre au rabais des libertés individuelles et collectives constitutionnelles et des attaques contre les institutions et les instances de protection des droits et libertés.

Pour toutes ces raisons, les signataires du présent document appellent leurs concitoyens à participer massivement au scrutin du 7 octobre prochain en accordant leur suffrage à la formation politique de leur choix, mais ils les appellent en même temps avec la même ardeur à ne pas voter en faveur du PJD. Ce parti doit être cohérent avec le jeu démocratique qu'il affirme avoir intégré et de ce fait devenir un parti politique respectueux des principes universels de la démocratie, qui n'est pas seulement un mécanisme de sélection des élus mais d'abord un système de gouvernance, de citoyenneté, d'égalité, de respect des individus en dehors du sexe, de la confession, du genre ou de la religion. »

Nota: Le 26 juillet 2016, à Agadir et s’adressant à la jeunesse de son parti, Benkirane a cité IbnTaymiyya en ces termes: “Vous ne connaissez pas notre culture. Vous ne nous faites pas peur ni avec la prison ni avec la mort… Ibn Taymiyya… Ibn Taymiyya nous a appris à dire: mon paradis est dans ma poitrine, je l’emmène avec moi partout où je vais… ma mort est un martyr. Nous n’allons pas réfuter les savants de la Oumma. Nous nous réclamons d’Ibn Taymiyya…“ Voir vidéo 

*LISTES DES PREMIERS SIGNATAIRES: 1. Salah El Ouadie: poète, 2. Mohamed Benmoussa: économiste, 3. Aziz Boucetta: journaliste, éditeur, 4. Fatna Sarehane: professeur de droit, 5. Houria Tazi Sadeq: avocate, 6. Meryam Demnati: professeure chercheure en didactique de la langue amazighe, 7. Kamal Hachkar: cinéaste, 8. Ahmed Ghayet: acteur associatif et culturel, auteur, 9. Fettah Bennani: président de Bayt Al Hikma, 10. Aïcha Sakhri: journaliste, 11. Yannick Assor: administrateur de société, actrice associative, 12. Jaâfar Heykel: médecin, 13. Mouna Yacoubi: entrepreneur, 14. Mohamed Abdi: militant franco-marocain, 15. Ahmed Assid: philosophe, 16. Amal Al Atrache: comédienne, 17. Fatima Ezzahra El Jaouhari, comédienne 18. Fanny Mergui, psychologue 19. Lamia Berrada, Ecrivain 20. Soumaya Naâmane Guessous: sociologue, 21. Siham Benchekroun: médecin, écrivain, 22. Driss Jaydane: philosophe, 23. Bouthaina Azami, écrivain 24. Lahcen Zinoun, réalisateur, chorégraphe 25. Moulim Laâroussi: philosophe, 26. Saïd Lakhal: Ecrivain, chercheur en islam politique, 27. Ali Sedjari: professeur de droit, titulaire d'une chaire UNESCO, 28. Mehdi Alioua: docteur en sociologie (PHD) 29. Nabil Ayouch: producteur et réalisateur de cinéma, 30. Mahi Binebine: artiste peintre et romancier, 31. Faouzi Bensaidi: réalisateur, 32. Amine Kabbaj: architecte et président de la Biennale de Marrakech, 33. Najia Mehadji: artiste peintre, 34. Amine Akesbi: DJ producteur, 35. Ida Alaoui: muséologue et manager de projets culturels, 36. Hachem Tyal: psychiatre et militant associatif, 37. Fouad Bellamine: artiste peintre, 38. Hicham Lahlou: designer, 39. Kenza benjelloun: artiste visuelle, 40. Fouzia Assouli: activiste droits humains des femmes, 41. Nora Smèris: universitaire, 42. Abdesslam Boutayeb: président du Centre de la Mémoire commune, 43. Khadija Rouggany: militante des droits des femmes, 44. Nour-eddine Saoudi: Enseignant-chercheur- Acteur associatif, 45. Latefa Aharrare: artiste, 46. Fatna Afid : militante écologiste et syndicaliste, 47. Abdelfattah Ezzine : professeur chercheur, acteur de la société civile, 48. Mohamed El Bakkali : acteur associatif – sociologue, 49. Mohammed Lahbib Benchikh: avocat et acteur associatif, 50. Lahcen Sabir: blogueur et activiste de la société civile, 51. Hakima Himmich: acteur de la société civile, 52. Saloua Moujahed: enseignante, 53. Mouhamed Elboukri: écrivain, 54. Jamila Sayouri: avocate et militante de droits de l'Homme, 55. Amina Saibari : poétesse, 56. Khadija Dinia, rédactrice en chef, 57. Zakia Tahiri : Cineaste 58. Hafid El Awad : architecte 59. Saad Hassani : artiste peintre 60. Abdelhay Laraki : realisateur 61. Mouna Hassani : galeriste 62. Leila Benani : paysagiste 63. Sabah Chraibi: professeur

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