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Aphorismes de Nouhad : On n’est jamais sage qu’avec de sages douleurs. (2e partie)
Assumer sa souffrance, c?est ?tre responsable de ses effets, et de l?usage qui en est fait.
La souffrance qui pousse ? l?asc?se, qui pousse ? la transsubstantiation de l??me, ne serait-elle pas plut?t ? associer au soufre, comme principe actif de l?alchimie, celui qui agit, f?conde ou tue, et qui manifeste la Volont? c?leste ??Pour?Ibn ?Arab?, lui-m?me appel? soufre rouge car, hors pair, (Kibr?t ahmar) en arabe, le soufre d?signe (al-Amr), l?action divine, et non pas l?ordre. Or, ? mon sens, l?action du verbe ??je?souffre??, qui contient,?comme par co?ncidence, la totalit? du mot?soufre, ne saurait ?tre consid?r?e, ? l?exemple de toutes les actions, terrestres ou c?lestes, en dehors de l?Action divine.
On a peine ? le croire -ou tout simplement ? croire, c'est-?-dire, ? avoir ou ? garder la foi- quand on se tord de douleur. Or, la souffrance accomplit, ?nergiquement et patiemment, de grandes ?uvres car?ce qui fait le supplice d?un moment, peut faire la gloire d?un autre et vice versa.
En fait,?la gloire est une victoire que seule l?adversit? -indistinguible de la souffrance- peut d?cerner.?Certains douteurs, ou m?me la doxa, diraient que douiller ou morfler, ne pourraient en aucun cas ?tre synonymes de bien.?D?o? la multitude des adjectifs qui caract?risent la douleur?et qui sont utilis?s p?jorativement : douleur sourde, atroce, irradiante, lancinante, t?r?brante, d?chirante?alors que?la souffrance, oserais-je dire, est neutre, malgr? son mal, c?est l??tre humain qui choisit d?en faire quelque chose de nocif, d?inoffensif ou d?anodin ou quelque chose de b?nin, d?efficace et d?actif.?En un mot, c?est lui qui en d?clenche la nuisance, l?innocuit? ou l?utilit?.
En effet, selon le symbolisme alchimique des mystiques musulmans, l??me qui se trouve fig?e dans une duret? st?rile, doit ?tre liqu?fi?e, puis congel?e, op?rations suivies par la fusion et la cristallisation. Les forces de l??me sont compar?es aux forces de la nature?: chaleur, froid, humidit?, s?cheresse. Dans le?soufisme, qui partage avec?souffrance, (souf), laine en arabe, mot dont il est d?ailleurs issu, le soufre d?signe l?acte spirituel.?Aussi, la souffrance serait-elle un soufflet de forge, qui en attiserait le feu et en acc?l?rerait le processus, afin d??ter des diverses transformations, les imperfections.?
Ce qui fait que?tout changement, c'est-?-dire?tout nouvel ?quilibre, est amorc? par un d?s?quilibre, souffrance qui atteint son paroxysme avec le deuil, qui se produit lorsque la personne prend conscience que le statut quo n?est plus possible.?Ce proc?d? comparable ? la ?d? cristallisation?, en chimie, ?limine les impuret?s insolubles, avant d?entamer la reprise de l??quilibre, la recristallisation, avec ses diff?rentes transitions et adaptations?: sublimation, condensation solide ou fusion et solidification.
Une phase ne peut, toutefois, ?tre franchie avec succ?s, que si la phase pr?c?dente est accept?e, et pleinement assum?e.?Assumer sa souffrance, c?est se sentir responsable, sinon des causes de sa douleur, de ses effets, et de l?usage qui en est fait. En effet, assumer sa souffrance, qui est un fait, c?est se d?passer, pour en ?tre d?fait?; la rejeter, par contre, c?est demeurer l??gal de soi-m?me et stagner, voire r?gresser, au risque de ne jamais ?tre satisfait.
La r?sistance ? la souffrance est donc tout ? fait normale et compr?hensible, vu l??quilibre qu?elle rompt, le malaise et l?inconfort qui l?accompagnent, et le d?sagr?ment ou la douleur qui en r?sultent. Toujours est-il que?le rythme de la souffrance est celui de la vie m?me, m?me si les deux ne sont jamais vides de sens car, jamais inertes ou immobiles, inefficaces ou inutiles.
Les deux ?mettent en effet, et sans cesse, ? des fr?quences et ? des intervalles diff?rents, des signaux ? d?tecter, des paris ? relever et des prix ? d?crocher, afin d?effectuer les pr?parations qui s?imposent pour le grand voyage qui ne laisse aucun doute, pour le d?part imminent qui ne laisse pas beaucoup de temps, d?o? l?intensit?, la continuit? et l?universalit? de la douleur.
Car?il para?t qu?on souffre de tout?: de souffrir et de ne pas souffrir, tellement la souffrance, quand elle n?est pas recherch?e, ou de ce fait m?me, est fatale, donc g?n?rale. La douleur, in?vitable, serait comparable ? une petite mort?; on aurait autant de douleurs qu?il faudrait, pour rendre l??me et ressusciter, afin d??chapper ? la grande mort, intraitable, quant ? elle.?Notre nature n??tant pas propre ? subir de grandes transformations, sans grandes douleurs, c?est l?alchimie de la souffrance qui en extrait le soufre?et?c?est la somme des douleurs diff?rentes, petites et grandes, qui, faisant l?esprit de notre devenir, nous guide et nous conduit ? sa rencontre.
D?o??la hi?rarchie, ascendante ou descendante, des douleurs qui a un rapport ?troit avec la formation et l?affirmation de l?individu, la lib?ration progressive de l??nergie susceptible d?op?rer des transmutations et d?affranchir des servitudes de l??tre, ainsi que des influx ext?rieurs nocifs, en vue d?inscrire dans la voie de l?individuation, de la sublimation et de la spiritualisation, ou de toutes les int?grer dans une nouvelle existence. Apr?s chaque douleur, s?impose une renaissance et une tr?ve, assurances n?cessaires contre tout manquement, manque ou exc?s, de l?autre ou de soi, jusqu?? l?acquisition de la perfection -ou de l?imperfection, pour les incorrigibles et les incurables- garantissant l?acc?s ? l?au-del? et ouvrant l?existence ? l??ternit?.
La douleur ne saurait ?tre dissociable de la vie?: d?s le d?but de l?existence, un b?b? y est confront?,?il n?est jamais d?accouchement sans souffrance?; c?est un symbole ? g?n?raliser ? plus large ?chelle, aucun changement consid?rable ne peut s?op?rer dans la vie, sans gestation ni engendrement, les deux n?cessitant une grande souffrance, tol?r?e et diminu?e, toutefois, par l?acceptation et la certitude -voire la qu?te et la b?n?diction- de son r?sultat.
Qu?est-ce qui nous ferait rechercher l?accouchement, malgr? sa difficult?, si ce n??tait la conviction qu?on en avait et le d?sir, qui est en soi une souffrance d?gust?e, de l?enfantement et de la parturition??Il y va de m?me de toutes les autres souffrances de la vie.?Une fois la blessure pans?e, sa souffrance pass?e, ses raisons expliqu?es, ses frais sont oubli?s, son ?uvre recommand?e, et l?exp?rience, vite recommenc?e.
La souffrance, cette ma?eutique n?cessaire ? la cr?ation et ? la procr?ation, serait un signal de la maternit? et de la f?condit?, en cas d?acceptation, ou au contraire, un sympt?me de l?avortement ou de la st?rilit?, en cas de non acceptation.?Je dis bien ?non acceptation? -et non ?refus?- parce qu?on ne peut nullement d?cliner ou refuser une souffrance, quand elle est l?, on ne peut que l?accepter, moralement, m?me si elle est impos?e, ou choisir, sciemment et contin?ment, voire aveugl?ment, de doubler sa souffrance.
La douleur est le signal existentiel de la continuit? biologique, physique et morale, elle nous prouve ? chaque instant notre d?pendance du changement et de la souffrance qui l?engendre. Elle prouve ?galement qu?on n??chappe ni ? ses actes, ni ? ceux d?autrui. A chaque personne, ? chaque p?riode de la vie, ? chaque croyance, correspond un ?v?nement, un d?tour, une souffrance, mesure humaine n?cessaire, sp?ciale et exclusive, pour d?limiter l??tendue de l?exp?rience et en creuser la profondeur.
S?il est certain que la douleur est le propre de tous, toutes races, toutes classes, toutes conditions, toutes confessions, toutes croyances et toutes ob?diences confondues, il serait peut-?tre loisible d?avancer qu?elle n?est pas aussi folle ni aussi aveugle qu?on le croit?;t?moigner de la teneur et de la profondeur de sa douleur, peut ?tre la meilleure part de sa sagesse, celle de choisir d?en oublier l?horreur, et de n?en garder que la s?r?nit? et la douceur, celle du pardon et de la r?conciliation avec soi.
Une douleur avec laquelle on est r?concili?, cesse d??tre une douleur pour devenir une alli?e, une force, un heur.?En revanche, celle ? laquelle on n?a pas pardonn?, demeure ind?niablement douleur, en engendrant ind?finiment d?autres heurts, nous rappelant, infatigablement, les souffrances pass?es et celles, ? venir, nous serinant, intarissablement, des ?motions cuisantes et des souvenirs lancinants.
Mod?rer ses joies peut ?tre un bon moyen de mod?rer ses douleurs.?Equilibrer sa joie et sa souffrance, ce n?est ni trop aimer la premi?re ni trop ha?r la seconde, les deux ?tant les constituants, puisque se compensant, d?un monde ?quilibr?. Or,?on passe sa vie ? d?sirer des douleurs?puisque tout ce qu?on d?sire est susceptible d??tre douloureux ou de le devenir. Plut?t aimer les siennes, les pr?sentes, les famili?res, comme elles sont et les porter avec dignit?, que de d?sirer d?autres douleurs, futures ?trang?res, qui seront peut-?tre plus cruelles et plus affligeantes.
Penser la douleur devrait commencer par tourner en d?rision, ce que nous d?sirions.Car?le d?sir est une souffrance savour?e, exquise, tandis que la souffrance est un d?sir non savour?, et partant, intol?rable, d?sir conscient ou inconscient de changer d??tat, de l?accouchement jusqu?? l?agonie, d?sir n?cessaire et incontournable de passer ? l??tat suivant, de la vie jusqu?? la mort.
Pour qu?une douleur ne soit pas perdue, il faudrait qu?elle soit au service de l?autre et de soi, et c?est la patience, qui accompagne chaque douleur, grande ou petite, qui en fait vraiment la petitesse ou la grandeur.?Dans certaines existences, et cela fait partie des ?nigmes de la vie, une douleur est accompagn?e de mille douceurs, et dans d?autres, une douceur est accompagn?e de mille douleurs. C?est le temps et l??nergie exigibles par chacune, afin d?effectuer les transformations n?cessaires au devenir de chacun.
Panser sa douleur, c?est la penser et la repenser, sans douleur, c?est la soigner, sagement, notamment avec la lecture et l??criture, ces deux grands volets de la r?flexion et de la m?ditation, et?la rapi?cer, en cas d?usures et de grandes d?chirures, avec des aphorismes et des moralit?s, ? l?instar de?Shakespeare, qui n?aurait pas manqu?, ? cette occasion, de prescrire?de :???Raccommoder sa douleur avec des proverbes??.
La sagesse de la douleur se r?v?le, en outre, par la noblesse des propos qu?elle utilise et ceux qu?elle refuse, par la patience qu?elle infuse et l?amour qu?elle diffuse. Penser sa douleur, pour ne pas la d?penser, c?est compenser par la patience, le vide, l?insatisfaction ou l?horreur qu?elle laisse apr?s son d?part.
En fin, disons qu?entre souffrances fortuites qu?on croit gratuites, et souffrances qu?on croit imm?rit?es car, non justifi?es et mal support?es, s??tend l?exub?rance ou le silence, voire la science, de la souffrance.?Cela?pose, en l?occurrence, le probl?me?de la faute et de la punition, comme souffrances impos?es?car?il y a toujours derri?re quelqu?un qui souffre, quelqu?un qui souffle, volontairement ou involontairement, et peut-?tre impun?ment, sur sa souffrance, pour l?exacerber et l??tendre, au lieu de l??teindre.
Mais?la peine, cette affliction ou correction m?rement r?fl?chie, ferait-elle partie des souffrances justes et m?rit?es???Le ch?timent, comme r?action d?fensive, suite ? des dommages subis, serait-il l?attitude saine ? adopter, en dehors de toute revanche, amertume ou vengeance?? assouvir ? Au lieu de r?parer?et de gu?rir, cette p?nitence ne remuerait-elle pas plut?t le couteau dans la plaie, en menant au point de non retour et en conduisant ? l?irr?parable?
Une soci?t? faillible, est-elle vraiment apte ? imposer une expiation, juste et impartiale?? Et quel est cet ?tre vraiment ?quitable et infaillible, pour ?tre apte ? lui imposer une peine parfaite, pour toutes les peines imparfaites qu?elle impose?? Ne se tire-t-elle pas une balle dans le pied en se condamnant ? une double peine???Est-elle pr?te ? payer, au prix fort, la douloureuse, l?addition de toutes ces peines ?