Les aphorismes de Nouhad : « Vieillir, c’est faire le tour de tous les ennuis ».

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La long?vit?, cette image imparfaite de l?immortalit?, est l?un des probl?mes qui pr?occupent le monde entier mais l?enjeu n?est plus de vivre longtemps, maintenant que l?esp?rance de vie a augment? mais plut?t de vivre en bonne sant?, tout en ?chappant aux limitations et aux humiliations du temps. Or, vieillir, c?est toucher la limite de son ?ge, c?est faire ses adieux ? la vie qui s??loigne, apr?s avoir subi ses ravages, c?est se pr?parer ? rendre l??me. Pourquoi alors, cette anxi?t? et ce mal-?tre face au troisi?me et quatri?me ?ge, comme on les appelle par euph?misme?? Pourquoi les ressentir comme des fardeaux et ne pas avoir le m?me comportement envers eux qu?envers l?enfance, ?ge de d?pendance ?galement?? Comment en faire une puissance amie?et les associer au bonheur, au lieu de les r?compenser d?ingratitude?

La tradition veut que la vieillesse, pr?figuration de la long?vit?, long acquis d?exp?rience et de r?flexion, soit signe de sagesse et de vertu. Les gourous, les chefs spirituels, les anciens, les cheikhs, qui sont tous des guides et des ma?tres, sont souvent des vieillards respectables, v?n?rables patriarches consult?s et suivis pour leur discernement, patience et enseignement.?Les pr?jug?s, vieillots et surann?s, continuent, pourtant, d??craser, plus que les ann?es, les vieux qui se sentent rouill?s et vid?s, ne recevant que de la piti? -quand ce n?est pas de la r?pulsion et du d?go?t- de la part de leurs familles, en particulier et de la soci?t?, en g?n?ral.?Regards, paroles et comportements se multiplient, apportant avec eux, les avanies et les humiliations ? l??gard de?cet ?ge dont la beaut? est la grandeur, l?indulgence et la maturit?.

S?il n?y a r?ellement pas d??ge biologique de la vieillesse, le regard social tra?ne ? suivre qui consid?re tous les ??non jeunes?? comme vieux, surtout que des signes de vieillesse tels les rides, les cheveux blancs et la calvitie (perte de cheveux), peuvent appara?tre d?s trente ans. Et les jugements, souvent p?joratifs, de se multiplier?: un vieillard cass?, impotent, grincheux, tomb? en enfance, un vieux qui radote, un vieux vert, un vieux birbe, un vieux d?bris?Dans nos t?tes, on ne peut dissocier la vieillesse de la d?ch?ance physique ou de la d?gradation morale qui peuvent (mais pas toujours) l?accompagner?: caducit?, d?cr?pitude, s?nescence, inutilit??Alors qu?on n?agit pas pareillement avec un enfant, serait-ce parce qu?on le consid?re comme un investissement dans l?avenir?tandis qu?on sait les vieux menac?s par la s?nilit? et la mort ? Dieu Seul Sait le secret de cet engouement pour les petits et de l?aversion pour les vieux.

Personne, cependant, n??chappe au r?ve de vivre mille ans comme No? -ou ? ce cauchemar, car vivre sans les siens serait un calvaire. Cic?ron r?digea son trait? sur la vieillesse ? l??ge de soixante ans?: le Cato Maior de Senectute mais elle est aujourd?hui situ?e ? soixante-dix-sept ans et les mots?senior ou personne ?g?e remplacent vieux et vieillards, qui sont d?plac?s ? des ?ges ult?rieurs de la vie. A partir de soixante-quinze ans, des signes de faiblesse physiques et des d?r?glements physiologiques (l?hom?ost?nose est le nom du vieillissement qui touche les syst?mes immunologique et h?matologique) tendent ? se d?velopper. Le quatri?me ?ge, lui, est r?serv? au moment de la d?pendance, que tout le monde redoute et qui effraie enfants, petits-enfants et arri?re-petits-enfants.

La g?rontologie (?tude de la vieillesse et du vieillissement) et la g?riatrie (la m?decine de la vieillesse) ne sont que des efforts visant ? pr?venir les alt?rations de l??ge par un mode de vie sain car notre connaissance de la vie et de la mort reste m?diocre et limit?e. A croire que nous parvenions ? percer les m?canismes du vieillissement, il y a fort ? parier qu?on puisse lui trouver des rem?des. Toutefois, la science ?tablit deux faits?: notre limite physiologique qui s??tend ? 120 ans et notre soumission ? une pr?d?termination g?n?tique, m?me s?il est impossible de d?terminer les parts respectives de la g?n?tique et de l?environnement, dans le d?roulement de notre existence.

Mourir vieux, ou plut?t vieillir jeune, est le th?me ?ternel sur lequel scientifiques et litt?raires se sont pench?s, le r?ve qui ne prend pas une ride et que tout le monde a caress?, notamment Dorian Gray, le personnage d?Oscar Wilde dans le livre ?ponyme mais on conna?t tous la fin tragique r?serv?e ? ce personnage, pour s??tre mesur? ? Dieu et L?avoir d?fi?, en concluant un pacte avec le diable. C?est un r?ve qui n?est m?me pas permis car, contre nature, l?essentiel pour l?esp?ce humaine sur terre, ?tant de se perp?tuer et non de s??terniser.

Savoir vieillir, c?est savoir s?adapter aux conditions de son ?ge, c?est se supporter pour se faire supporter, car prendre un coup de vieux, ce n?est pas uniquement s?esseuler, se d?catir et d?cliner, c?est aussi et surtout se bonifier et d?velopper ses qualit?s avec le temps, c?est s?occuper et ?viter la routine, c?est faire tout ce qu?on n?a pas eu le temps de faire auparavant, c?est continuer d?agir et ne pas avoir le sentiment qu?il est trop tard car celui qui attend la mort, dilapide sa vie dans l?attente et dans la mort?qui jamais ne vieillit, elle.?Vieillir, c?est se r?signer ? quitter la f?te alors qu?elle bat encore son plein, c?est maintenir un ?tat d?esprit positif et ne rien regretter, la science le prouve, les personnes qui ont les plus longs t?lom?tres, sont celles qui font preuve d?optimisme et de bien-?tre psychique.

Les t?lom?tres, ces ??petits bouts?? d?ADN, situ?s ? l?extr?mit? des chromosomes et prot?geant ces derniers de la d?gradation progressive, et les cellules du vieillissement, constituent un marqueur de notre usure psychique. C?est le s?rum de v?rit? qui permet de savoir ce qu?on fait vraiment de sa vie car notre esp?rance de vie varie ?galement en fonction des ?v?nements de notre existence?et de nos r?actions face ? eux. Il existe des chocs ?motionnels, des lassitudes, des maladies et des tortures qui affaiblissent et vieillissent plus que les ans. Donc, dire qu?on est totalement responsable de son ?tat de sant? serait, ? la fois, juste et injuste, vu les d?terminants socio-?conomiques et familiaux qui p?sent sur chacun de nous. Il existe, cependant, une r?silience biologique et psychologique capable de r?parer les dommages subis dans la vie pass?e, sans le recours aux petits coups de pouce pharmaceutiques ou cliniques dont tout le monde ne dispose pas, d?ailleurs, et qui risquent d??tre inutiles, en l?absence de volont? de la personne ?g?e.

Le plus ?tonnant, c?est que m?me la longueur des t?lom?tres, qui peut ?tre un indice de la mort, puisque les personnes pr?sentant les t?lom?tres les plus courts, risquent de mourir dans les trois ann?es ? venir, n?est pas fiable, vu qu?ils ?voluent et varient au fil du temps. S?ils r?tr?cissent apr?s des traumatismes graves, ils s?allongent avec le changement du mode de notre vie?: le maintien d?une activit? physique, d?une activit? intellectuelle, d?une hygi?ne de vie (alimentation saine, meilleure qualit? de sommeil, le je?ne qui r?active notre m?moire biologique et renforce l?ADN?), et du partage pour g?rer l?exc?s que le monde actuel conna?t et aider ceux qui luttent pour survivre.

Autrement dit, il y a une diff?rence entre notre ?ge biologique et notre ?ge chronologique, dont nous sommes plus responsables du reste, et qui est principalement d?termin? par notre mani?re d??tre, de penser et d?agir.?Beaucoup l?ont compris, qui sont d?heureuses natures -ou des natures, tout court- comme les soufis, les ermites, les asc?tes, les yogis et les pratiquants de toute autre discipline visant ? lib?rer l??me de sa condition existentielle, dans l?union ? l?absolu, et o? la m?ditation prend la premi?re place. Rester zen malgr? tout, est l?apanage des viveurs ?galement. Dans ce cadre, rendons hommage aux ? jeunes mari?s?? de 102 ans (l?homme) et 93 ans (la femme), des Fran?ais fra?chement mari?s, qui nous prouvent que?le rapport ? l??ge est plus culturel, sociologique et psychologique que scientifique ou biologique.??En voil? des mariages vivifiants et surtout rajeunissants?!

A l??chelle mondiale, le business de la long?vit? se chiffre en milliards d?euros, un march? colossal et tr?s rentable, d?o? les d?rives des avanc?es scientifiques?: des m?dicaments contre la vieillesse, des manipulations provoquant des mutations particuli?res et ?puisant progressivement le syst?me immunitaire, une m?decine r?serv?e aux riches?En t?moigne la simple mesure des t?lom?tres qui co?te environ 1000 euros ou le prix minimal de 150 000 euros, que Robert Miller, un richissime Canadien, demande aux membres de sa fondation Alcor, afin de conserver leur cerveau ou leur corps ? une temp?rature de?190? C, dans l?id?e de les faire revivre quand la science aura suffisamment progress?.

Parall?lement ? la terreur du temps qui passe et ? l?horreur de la vieillesse qui l?accompagne, s?installent et se d?veloppent les tyrannies du jeunisme (culte des valeurs li?es ? la jeunesse comme la beaut?, la performance?) et de l??gisme (discrimination envers toute personne ?g?e)?; promouvoir la jouvence ?ternelle est l?une des obsessions de la soci?t? moderne, une soci?t? de consommation par excellence, aid?e en cela par le show-biz, l?industrie du beau et du superficiel, et symbolis?e par des stars, pour qui rester ??djeuns?? toute la vie est le premier souci, au d?triment de la pauvret?, des maladies et des guerres qui s?vissent partout.

Si la vieillesse nous importune ou nous effraie, c?est parce que, d?une part, elle refl?te la condition humaine dans toute sa fragilit??: la faiblesse apr?s la force, la d?pendance apr?s l?ind?pendance, la laideur apr?s la beaut?, et de l?autre, nous rappelle l?imminence de notre retour, sans avoir compris ni le pourquoi ni le comment de notre pi?tre existence, c?est peut-?tre l?, la cl? de la tristesse qui, jamais, ne lui fait d?faut et qui ?mane du refus d??tre vaincu par le temps, cet ennemi cauteleux et chafouin, qui ass?ne impitoyablement souffrances, tortures, bassesses, trahisons, haines, mis?res, solitudes, et dans le meilleur des cas, r?conforte avec quelques tra?tres plaisirs et apporte quelques jouissances ?ph?m?res, mais jamais de bonheur complet ni durable.

Vivre d?j?, c?est faire le tour de tous les ennuis mais vieillir, ? fortiori. Entre arthrite, arthrose, rhumatismes qui font perdre, de leur gr?ce, ? la d?marche et aux gestes, Alzheimer qui affecte la m?moire et met aux oubliettes, tension art?rielle, cholest?rol, diab?te, vices et vicissitudes?Vieillir n?est, certes, pas un pr?sent. Mais toutes ces tribulations et ces maladies in?luctables peuvent ?tre des viatiques et des d?tours salvateurs car?mourir jeune, c?est faire le retour, sans d?tour.?D?autant plus que?les injures du temps peuvent ?tre les meilleurs compliments de la vie, et ses ?loges, ses pires mensonges.

Etre reconnaissant ? la vieillesse, c?est savoir que derri?re chaque ride, chaque cheveu blanc, chaque doigt noueux, se cache une sagesse, une le?on de vie qui risque de s??teindre et de nous filer entre les doigts si son d?tenteur passe. Reconna?tre sa valeur ? la vieillesse et la r?habiliter, c?est l?accepter avec ses forces et ses faiblesses, c?est ?couter ses aveux et ses messages, et avec d?f?rence, recevoir ses confidences. L?Histoire nous montre que de tout temps, les soci?t?s ont eu du mal avec leurs vieux, de l?homicide aux maisons de retraite, rien n?est ?pargn? pour s?en d?barrasser alors qu?on sait pertinemment que sur terre, tout est vou? au vieillissement et ? l?obsolescence : individus, animaux, soci?t?s, institutions, organismes, doctrines, politiques?

Pour savoir vivre le troisi?me et quatri?me ?ge, il faut d?abord savoir vivre les ?ges pr?c?dents et respecter la vieillesse, ?quivaut ? respecter les autres ?ges. Donc,?pour vivre vieux, vivons mieux.?C?est souvent la peur de la mort qui fausse tout, c?est la croyance en sa proximit? -car on prend les vieux pour des agonisants et la vieillesse pour l?antichambre de la mort- alors qu?on peut ?tre plus proche de la mort, non mourant que mourant. Par cons?quent,?qui a v?cu son enfance et sa jeunesse, avec mod?ration et sans exc?s, vivra, tout identiquement et aussi calmement, sa vieillesse.

Cela nous rappelle l?un des ul?mas, que Dieu l?agr?e, ? qui on demanda un jour?:???comment se fait-il que vous soyez en si bonne sant? alors que vous ?tes aussi vieux???? et qui r?pondit sans h?siter?:?? nous avons bien pr?serv? notre sant?, dans notre jeunesse, pour Dieu. Dieu nous le rend bien en la pr?servant, pour nous, dans notre vieillesse?! ? En un mot, notre corps, notre esprit et toute notre vie, ne nous appartiennent pas comme on peut le croire, de prime abord, ce ne sont que des d?p?ts qu?il faut rendre le moment venu, car?la mort n?est qu?un d?lai, comme le dit si bien le Saint Coran?:???Al ajal??. Heureux, donc, qui peut conjuguer la force et la beaut? de la jeunesse ? la sagesse de la vieillesse, et rendre l??me (et la carcasse) comme il les a re?ues ? la naissance, sans alt?ration ni pr?judice?!?

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