Algérie : Corruption et immobilisme sur fond de purge politique

5437685854_d630fceaff_b-

Devant la persistance de la corruption, les poursuivis payent plus pour leur appartenance à un clan que pour leurs indélicatesses avec les deniers publics.

1
Partager :

Alger - Endémique, la corruption a été érigée en Algérie depuis quelques décennies en un instrument de pouvoir. Pendant le long règne de feu Bouteflika, la prédation s’est même élevée en système de gouvernement, participant à ancrer chez l’opinion publique l’idée que la seule chose que le président défunt a, peut-être, réussi à démocratiser, c’est bien la corruption.

Phénomène économique autant que politique, la corruption a fait florès dans ce pays à la faveur d’un mode de gestion centralisée de l’économie et d’un système politique clientéliste.

Dès lors, les procès engagés contre les caciques du régime depuis 2019, après le départ forcé de Bouteflika et l’engagement d’une opération, en trompe l’œil, de mains propres s’apparente plus à une sorte de poudre de perlimpinpin qu’à une action en profondeur pour extirper ce mal à la racine.

Manifestement, ces procès qui ont touché ministres, hauts responsables de l’Etat, généraux de l’armée, préfets ou premiers responsables des grandes entreprises publiques ont révélé l’étendu de ce phénomène qui a gangrené le système politique et abouti à l’asservissement de la population, condamnée le plus souvent à payer les pots cassés d’institutions peu transparentes et en total dysfonctionnement.

Aujourd’hui, la question qui taraude les esprits consiste à savoir si le rejet politique affirmé d’un système de corruption généralisé allait conduire à son endiguement ? Peu probable.

Les Algériens sceptiques

Selon les analystes, le blocage politique actuel que vit l’Algérie, qui n’est que la reproduction du système de Bouteflika, pousse au scepticisme et laisse entrevoir la survivance de la corruption sous d’autres formes dans un pays où la corruption est devenue la règle.

Le feuilleton des grands procès diligentés contre la corruption depuis avril 2019 est en train de laisser les Algériens dubitatifs. Cette parodie, organisée pour juger hauts fonctionnaires, premiers responsables de grandes entreprises publiques et hauts cadres de l’administration, est censée se poursuivre indéfiniment à l’effet de détourner l’attention de l’opinion publique, de contenir sa colère et d’émousser le désespoir qui gagne une jeunesse désabusée et en mal de repères.

Pour cela, le pouvoir préfère manœuvrer, tenir en haleine les Algériens en distillant des informations pour les caresser dans le sens du poil, non pour apporter des réponses.

Dans tous les cas de figure, les chiffres avancés sur l'ampleur de cette corruption et de détournement de deniers publics sont hallucinants.

Les détournements auraient ainsi fait perdre au trésor public la rondelette somme de 70 milliards de dollars. On avance également qu’au moins 5% des recettes des exportations des hydrocarbures disparaissent en pots de vin, ce qui représente une enveloppe de quelque 2 milliards d’euros, cela compte non tenu des sommes colossales détournées dans le cadre de marchés publics ou de grands travaux d’infrastructures.

Aujourd’hui, pour jeter la poudre aux yeux, les autorités algériennes ont choisi de jouer la carte du poker menteur, en cherchant à faire croire que le renforcement de l’arsenal juridique de lutte contre la corruption est l’antidote à ce mal, daignant oublier que le vers est bien dans le fruit et qu’il est impossible de lutter contre ce phénomène au moment même où le système qui l’a généré, n’a pas changé.

Une purge plutôt qu’une lutte contre la corruption

Dans le système instauré par Bouteflika et qui n'a pas changé depuis, l'allégeance l'emporte sur l'intégrité et la compétence.

L’accession d'Abdelmadjid Tebboune à la présidence, d'après un nombre d'observateurs, n’a pas changé la donne. On s’est évertué à soigner les formes, non à changer le système.

Pour cette raison, les spécialistes les plus avertis soutiennent que la liste des personnalités objet de poursuites devant les différentes juridictions cache mal une purge imposée par l’armée qu’une réelle volonté de conduire un véritable changement.

Pour le président de l'Association algérienne de lutte contre la corruption (AACC), ce qui se passe n’est que la face visible de l'iceberg.

Pour lui, la phrase "Enrichissez-vous et laissez-nous nous enrichir" résume bien la doctrine en vigueur sous Bouteflika qui a tendance à perdurer.

Les richesses colossales amassées par certaines figures du régime, les détournements de fonds, la prédation des entreprises publiques, en sont le témoignage le plus édifiant de ce système corruption. Aujourd’hui, une bonne partie des figures politiques et acteurs économiques qui gravitaient autour des Bouteflika font l'objet de poursuites judiciaires depuis au moins deux ans.

Alors que certains sont en prison en attente de leurs procès ou sous contrôle judiciaire, d'autres sont en fuite, à l'image de l'ancien ministre de l'Industrie et des Mines, Abdesselam Bouchouareb.

Ceux qui n’ont pas réussi à fuire, sont en train de croupir dans les geôles. Tel est le cas des anciens Premiers ministres Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, déjà emprisonnés, et qui viennent d’être condamnés à des peines d'emprisonnement pour "blanchiment d'argent", "dilapidation" de fonds, "abus de fonction" et "conclusion de contrats en violation de la réglementation des marchés publics". Ils payent plus pour leur appartenance à un clan que pour leurs indélicatesses avec les deniers publics.

C'est le cas également, de l’ex-ministre des ressources en eau, Hocine Necib qui après être placé sous mandat de dépôt en juillet dernier a été écroué le 26 septembre 2021.

Il en est de même de Mohamed Loukal, incarcéré et poursuivi pour "abus de pouvoir" et d’"octroi d’indus privilèges au cours de son mandat de directeur de la Banque extérieure d’Algérie de 2001 à 2016".

L’ancien DG d’Air Algérie, Bekhouche Allache risque, quant à lui, la lourde peine de 6 ans de prison pour affaire de corruption et une amende de 2 millions de Dinars algériens.

La traque engagée contre les responsables en fuite risque d’être difficile, longue, incertaine voire infructueuse.

D’une manière générale, au-delà des visées réelles de cette opération "mains propres" menée sans grande conviction, c’est l’immobilisme politique qui interloque le plus les Algériens.

Cette situation rend impossible la démocratisation du pays et partant l’endiguement du phénomène de corruption sachant que la corruption, loin d’être un phénomène économique, est aussi un phénomène qui renseigne fort sur le type de gouvernance politique du pays.

Sur ce chapitre, l’Algérie reste loin du compte, puisqu’en plus de l’absence de transparence à tous les niveaux, le pays souffre d’un déficit chronique en matière de conduite de réformes.

 

lire aussi