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En Cisjordanie aussi, être militant des droits humains et craindre pour sa vie
Une fillette participe à une manifestation à Gaza en hommage au militant palestinien des droits humains Nizar Banat, le 29 juin 2021, quelques jours après qu'il a été tué par les forces de sécurité palestiniennes à Al Khalil, en Cisjordanie occupée
Issa Amro a passé une sombre semaine. Brièvement détenu le 22 juin par les forces palestiniennes, l'influent militant des droits humains apprenait moins de 48 heures plus tard la mort de son "ami" Nizar Banat aux mains de l'Autorité palestinienne dont il était aussi un détracteur.
Issa Amro partageait bien des points communs avec Nizar Banat, dont la mort a provoqué une vague de colère en Cisjordanie occupée contre l'Autorité palestinienne (AP), cadenassée par le président Mahmoud Abbas, 86 ans, dont le mandat devait se terminer en 2009.
Tous les deux sont originaires de Al-Khalil (Hébron), ville poudrière du sud de la Cisjordanie où vivent environ 1.000 colons juifs sous haute protection militaire israélienne parmi plus de 200.000 Palestiniens. Les deux hommes partageaient le même engagement pour la liberté d'expression, et ne comptaient plus les arrestations jugées arbitraires.
Sur leurs réseaux sociaux, ils racontaient ce que peu osent dire tout haut : les interpellations mais aussi la "corruption" au sein de l'AP, et plus largement les violations des droits humains par les forces palestiniennes.
Lors de sa dernière détention de plusieurs heures le 22 juin, après une publication sur Facebook critiquant les arrestations "politiques", Issa Amro "a pensé à (son) ami Nizar".
"Quand ils m'ont arrêté sur des accusations infondées, je me suis dit qu'ils étaient déterminés à se débarrasser de nous", explique à l'AFP le militant, libéré en l'absence de charges.
Mais dans le cas de Nizar Banat, sa famille accuse les forces de sécurité de l'avoir battu et "assassiné".
"Je ne pense pas qu'ils prévoyaient de le tuer, je pense qu'ils ont utilisé la violence pour le faire taire", estime Issa Amro.
Sollicitée par l'AFP à la mort du militant, la police palestinienne n'a pas souhaité commenter. L'AP a promis une enquête "transparente et professionnelle".
"Peur"
Le militant palestinien des droits de l'Homme Issa Amro dans le marché de Al Khalil, en Cisjordanie occupée, le 27 juin 2021
Dans un rapport de 2018, l'ONG Human Rights Watch (HRW) s'alarmait déjà des "arrestations arbitraires" menées par l'AP et estimait que "la pratique systématique de torture pourrait relever d'un crime contre l'humanité".
Issa Amro dit avoir été lui-même "torturé" en 2017 lors de sa détention d'une semaine, enfermé dans une pièce minuscule où il a été frappé, empêché de voir ses avocats, menacé de voir sa "tête coupée".
Aujourd'hui encore, "l'environnement n'est pas sûr pour moi", dit ce défenseur des droits humains de 41 ans, que tout le monde salue sur son passage dans la vieille ville d’al Khalil: "J'ai peur d'être tué, mais je n'arrêterai pas".
"Mahmoud Abbas est (à la tête) d'une dictature", accuse-t-il, ajoutant devoir "parler des prisonniers politiques de l'Autorité palestinienne, des personnalités publiques qui sont corrompues et qui oppressent leur propre peuple".
Quelque 84% des Palestiniens estiment que l'AP est corrompue, selon une enquête publiée à la mi-juin par un institut de sondage à Ramallah.
Les dirigeants palestiniens ont peur "parce que ma voix porte à l'étranger, alors qu'ils veulent être la seule voix du peuple palestinien", considère M. Amro.
Issa Amro est notamment soutenu par Amnesty International, qui n'a eu de cesse ces dernières années de condamner le "harcèlement" dont il fait l'objet de la part des autorités palestiniennes mais aussi israéliennes.
"Contre les colonies"
Car la vie d'Issa Amro ne se résume pas à dénoncer les agissements de l'AP, qui exerce des pouvoirs limités sur environ 40% de la Cisjordanie, territoire palestinien occupé depuis 1967 par l'Etat hébreu.
Son engagement est né dans les années 2000 contre la colonisation israélienne -illégale au regard du droit international- à Al Khalil, où il a créé l'ONG "La jeunesse contre les colonies".
Il a été arrêté à des dizaines de reprises, "parfois au rythme de deux fois par semaine, parfois deux fois par jour", avant d'être relâché, dit-il.
En février 2021, il a été condamné à trois mois de prison avec sursis et 3.500 shekels d'amende (900 euros) par un tribunal militaire israélien pour "avoir organisé et participé à des manifestations pacifiques", avance-t-il, des charges "motivées par des intérêts purement politiques", selon Amnesty.
D'après la justice israélienne, ces manifestations étaient "illégales".
Autorité palestinienne et Israël, "j'ai peur des deux". "Mais je considère l'Autorité palestinienne comme un sous-traitant d'Israël", la première ne pouvant agir sans coordination avec le second, juge-t-il. Une situation qui fait le bonheur du gouvernement de Tel Aviv.