Actu
L'ascension discrète de Damon Galgut, Booker Prize, dans une littérature africaine au sommet
Damon Galgut chez lui au Cap le 24 novembre 2021
Au milieu des objets d'art et des vieilles machines à écrire, l'exemplaire relié à la main de "The Promise", de l'auteur sud-africain Damon Galgut, vainqueur le mois dernier du prestigieux Booker Prize, est négligemment posé sur une table dans son salon du Cap.
Chaque année, les finalistes du prix du "meilleur roman écrit en anglais" remis à Londres reçoivent, niché dans une élégante boîte doublée de tissu, un exemplaire unique de leur livre.
Déjà deux fois finaliste, l'écrivain en chaussettes et ample pantalon qui se tient au milieu du fouillis de la pièce baignée de lumière, avait déjà deux autres exemplaires reliés d’œuvres précédentes, sur ses étagères pleines à craquer.
Le désordre studieux qui règne autour de lui est autant dû à un processus créatif débordant, qu'au grand nettoyage de printemps que l'auteur de 58 ans a récemment entrepris. Difficile de ne pas voir dans cet enchevêtrement d'objets, une correspondance avec l'entrelacement des multiples personnages de "The Promise", qui met en scène un mari en deuil, un sans-abri, un prêtre ou encore un meurtrier.
Le résultat est un récit gracieux qui réussit le tour de force de rendre des personnages profondément antipathiques finalement étonnamment humains.
Le roman est centré autour de quatre enterrements dans une famille sud-africaine blanche, les Swart, à quatre époques différentes. Et des proches qui doivent tenir une promesse, évoquée dès le titre.
Au début, la matriarche. Mourante, elle fait promettre à son mari de donner un lopin de terre à la femme noire qui s'est occupée d'elle pendant sa longue maladie.
"La famille est peu à peu réduite au dernier survivant", explique à l'APF Damon Galgut. "On suit l'évolution des personnages mais aussi celle du pays en lame de fond".
"Amor noir"
Le succès et les critiques élogieuses pourraient intimider le lecteur devant un livre désormais dressé au rang d'œuvre littéraire incontournable.
Mais la satire allège les pages d'un humour certes sombre. La fille qui essaie tant bien que mal de faire respecter la fameuse promesse s'appelle Amor. Le nom de famille, Swart, signifie "noir" en afrikaans.
Le père, propriétaire d'une réserve de serpents qui voit défiler les bus scolaires, finit tué par une morsure de cobra lors d'une étrange collecte de fonds.
"Il y des événements comme des mariages, qui rassemblent des personnages d'horizons très différents" et créent des comiques de situation, explique Damon Galgut. Avec la face tragique de la mort, les deux éléments forment "une tragi-comédie qui correspond plutôt bien à ma vision du livre".
La victoire de l'auteur sud-africain au Booker Prize est venue solder une année de prix, allant du Nobel au Goncourt en France ou encore le prix Camoes au Portugal, remportés par des écrivains africains.
Une reconnaissance internationale qui peut se transformer en réel coup de pouce pour les ventes, sur un continent où le milieu de l'édition s'est développé ces dernières années.
Mais qui passe toutefois inaperçue des gouvernements africains, selon Damon Galgut.
"Il n'y a pas eu un mot, même pas un mini tweet du ministère des Arts et de la Culture", relève-t-il. "Au mieux c'est le signe qu'ils n'ont pas aimé le livre. Mais c'est probablement plutôt le fait qu'ils ne sont pas au courant".
"N'importe quel succès sportif provoque immédiatement du tapage. Mais il semble que dans le domaine des arts, tout puisse être passé sous silence".
Malgré tout, l'écrivain modeste qui s'exprime paisiblement a conscience de faire partie de quelque chose de grand pour la littérature africaine.
"Ce serait dommage de rater l'occasion", dit-il. Une occasion de réaliser que, dans le paysage littéraire mondial, l'Afrique compte. "Il est important que ces livres soient lus, aussi par des Africains. Mais rien de tout cela n'est acquis..."