La diplomatie marocaine sous Bourita – Par Bilal Talidi

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Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères du Maroc depuis 2017

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Alternance oblige, on vit ces jours-ci au rythme d’un débat animé sur l’évaluation du parcours de Nasser Bourita à la tête du ministère des Affaires étrangères, avec à la clé cette question lancinante : la diplomatie marocaine a-t-elle accompli sous sa coupe des réalisations importantes, ou l’a-t-il engluée dans de gros pétrins ?

Certains considèrent que ce débat d’évaluation fait partie intégrante de l’exercice démocratique, dès lors que la responsabilité suppose constitutionnellement la reddition des comptes qui, elle, est indissociable de l’entreprise d’évaluation.

D’autres, faisant fi de toute retenue, ont panaché leur évaluation de considérations morales ou comportementales (arrogance, vanité) pour laisser entendre que l’homme se serait placé au-dessus des institutions, ce qui requiert, selon eux, son éviction immédiate.

Une diplomatie en rupture

Or, Nasser Bourita n’est pas un candidat partisan, et sa présence comme sa gestion du Département dont il a la charge s’intègre dans la politique de l’Etat. Aussi, toute corrélation entre l’exercice démocratique et la responsabilité et la reddition des comptes est hors-sujet.

L’évaluation de l’action diplomatique du Maroc est conditionnée par trois données fondamentales. 

La première se rapporte à la démarche adoptée par le pays pour définir sa politique étrangère en rupture avec une politique extérieure douce  et expectante réfractaire aux polarisations au profit d’une diplomatie agissante qui décode les forces et les faiblesses, s’imbrique dans la dialectique action-réaction, et agit de manière offensive pour contraindre les parties adverses à tenir compte des intérêts du Maroc.

La deuxième donnée tient aux acquis réalisés par le Maroc sur le front de la question du Sahara.

La troisième enfin concerne l’apport de cette politique à l’ouverture de nouveaux débouchés pour l’expansion économique du Maroc et son positionnement sur l’échiquier international et régional.

Force est de rappeler que les partis politiques ont constamment critiqué la dimension traditionnelle de la diplomatie marocaine et son attachement aux concepts des relations historiques et des liens religieux et culturels, sans actionner le levier des intérêts déterminants dans le façonnement de ces rapports. Ils ont ainsi toujours critiqué la frilosité du Maroc à opter pour une politique offensive qui oblige la partie adverse à tenir compte les intérêts suprêmes du pays et d’agir en conséquence.

Durant tout son passage à la tête du ministère des AE, Nasser Bourita a adopté à la lettre la diplomatie offensive et a radicalement rompu avec la démarche marocaine traditionnelle en matière de gestion des affaires étrangères. Pour avoir répondu aux aspirations des élites politiques et de bon nombre de chercheurs et experts spécialisés dans l’analyse des politiques étrangères du Maroc, l’évaluation à ce niveau pourrait qu’être positive.

Des tensions inutiles ?

Il serait inutile de trop s’appesantir sur le second volet de l’évaluation. Il suffit de rappeler ici que le président algérien Abdelmadjid Tebboune a reconnu lui-même que la diplomatie de son pays a dramatiquement reculé devant le dynamisme agissant de la diplomatie marocaine, ou encore son aveu public que «l’affaire du Sahara», selon l’expression qui lui est chère, a beaucoup régressé.

Dans toute évaluation, l’on recourt traditionnellement aux chiffres, avec le recensement des pays ayant reconnu la souveraineté du Maroc sur son Sahara, ceux ayant retiré leur reconnaissance du Polisario, et ceux qui ont reconnu cette entité fantoche.

Aujourd’hui, un nouvel indicateur est entré en ligne : le nombre d’Etats ayant ouvert des représentations diplomatiques ou consulaires dans les provinces du Sud.

Là-aussi, l’arithmétique est éloquente et met en valeur le travail accompli par M. Nasser Bourita.

Il y aura toujours des observateurs pour avancer que la démarche de M. Bourita a créé des tensions avec nombre de pays (Suède, France, Egypte,...) et récemment avec l’Espagne et l’Allemagne. Cependant, le bilan de toutes ces tensions n’a pas été négatif dans son ensemble. Le Maroc a gagné la bataille auparavant avec la Suède et la France, a remporté la manche sans trop d’efforts face à la conversion de positions hostiles en cabale médiatique de certains pays (Egypte, Emirats arabes unis), et a réussi à contenir la crise avec l’Espagne en empêchant son débordement vers l’Union européenne. L’approche marocaine a également démontré son efficacité au vu du changement de comportement politique du côté espagnol (remaniement ministériel, limogeage d’une ministre des AE hostile au Maroc, nomination d’un nouveau ministre moins incompréhensif ou plus réceptif aux intérêts du Maroc), et amorce d’une entente sur une nouvelle base où Madrid s’emploie à redéfinir son appréhension des intérêts de son voisin du Sud.

Quant à la tension avec l’Allemagne, elle est restée circonscrite de telle manière qu’elle n’a pas provoqué de répercussions impactant le déploiement de la diplomatie marocaine.

La diplomatie n’est pas un long fleuve tranquille

Le troisième paramètre, du reste indissociable des précédents, consiste en la capacité du Maroc à maintenir intact son statut avancé avec l’Union européenne et son partenariat stratégique avec les Etats-Unis qui s’est renforcé avec la reconnaissance américaine de la souveraineté pleine et entière du Maroc sur son Sahara.

En même temps, le Maroc a poursuivi sa politique de diversification des partenaires à travers une relation stratégique avec la Chine et a intelligemment mis à profit le «Brexit» en concluant des accords stratégiques avec la Grande-Bretagne. 

Mieux, Rabat, qui a réalisé des avancées importantes sur son continent, entend mettre à profit la philosophie de cette politique étrangère pour opérer des percées dans les zones d’influence traditionnelles du Polisario (en Afrique et en Amérique Latine notamment), et s’emploie à investir de nouveaux espaces en Europe de l’Est.

Dans le dossier libyen, le Maroc a poursuivi son rôle avec un dynamisme serein jamais entamé par les manœuvres internationales (conférence de Berlin) ou régionale (conférence d’Alger). En témoigne la confiance des partenaires libyens qui ne s’est jamais démentie dans le rôle Maroc. Ne continuent-ils pas de  placer en lui leurs espoirs pour mener à terme les rounds du dialogue inter-libyen (élections de décembre 2021) ?

Les diplomaties ne sont pas constamment sur des trajectoires triomphales. Ni les relations internationales ne sont un long fleuve tranquille. Il leur arrive de trébucher, surtout lorsque les intérêts supérieurs des uns et des autres se télescopent. Mais si l’on considère globalement le parcours de M. Nasser Bourita à la tête des Affaires étrangères, force est de constater qu’il milite en sa faveur et mériterait de se poursuivre en vue de consacrer davantage les acquis réalisés.

La confusion de certains politiciens est telle qu’ils ne distinguent pas les questions stratégiques des calculs personnels étriqués. Ils veulent faire croire à la nécessité d’un retour des partis politiques à la tête des Affaires étrangères et n’hésitent pas à recourir à de méthodes avouables et à d’autres moins dicibles, allant jusqu’à mettre en doute la performance d’un homme auquel le Roi a confié la mission de mettre en musique ses instructions. C’est dire qu’ils se trompent de chemin et se leurrent sur l’homme. 

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