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La Jordanie vole au secours de ses dernières ''carpes de la mer Morte''
Abdallah Oshoush, un expert en environnement, tient un bocal contenant une carpe de la mer Morte, le 2 juin 2021 dans la réserve de Fifa, en Jordanie
La Jordanie est engagée dans une course de vitesse pour sauver un de ses "trésors", la carpe dite de la mer Morte, un minuscule poisson en voie d'extinction qui vit dans la zone humide la plus basse de la terre.
De couleur argentée avec des reflets bleus chez le mâle et des rayures noires chez la femelle, ce poisson de 4 cm de long est inscrit depuis 2014 sur la liste des "espèces en danger" établie par l'Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) basée en Suisse.
Le seul endroit au monde où on peut trouver la "carpe de la mer Morte", aussi connue sous le nom scientifique de Aphanius Dispar Richardsoni, est la réserve de Fifa, à 140 km au sud-ouest d'Amman.
Créée en 2011 et gérée par une ONG indépendante, la Royal Society for the Conservation of Nature (RSCN), cette zone se trouve à 426 m sous le niveau de la mer, ce qui en fait, selon la Convention internationale de Ramsar, la zone humide la plus basse au monde.
Si le royaume jordanien est majoritairement désertique, cette réserve de 20 km2 est traversée par des ruisseaux et abrite de nombreuses espèces, notamment des oiseaux.
"Nos trésors"
"Ce poisson n'existe qu'ici et nous avons pris des mesures pour empêcher sa disparition", affirme à l'AFP Ibrahim Mahasneh, directeur de la réserve, située à 60 km au sud de la mer Morte.
"Nous sommes en train d'établir un habitat spécifique qui le mettra à l'abri des prédateurs", explique M. Mahasneh.
"Diverses menaces pèsent sur cette espèce comme les bas niveaux d'eau à cause de la faible pluviosité, mais aussi la présence de poissons qui les mangent ainsi que leurs œufs", explique Abdallah Oshoush, un expert en environnement travaillant dans la réserve.
Il est impossible de quantifier leur nombre car ces poissons, qui supportent un degré élevé de salinité, se meuvent dans des cours d'eau. "Cependant, nos programmes de surveillance ont montré un net déclin de leur présence ces dernières années", confie-t-il.
Ainsi, un étang artificiel réservé à ce type de poissons sera achevé d'ici un mois afin qu'ils croissent et que leurs œufs ne soient pas dévorés par des prédateurs. Chaque année, une femelle produit un millier d’œufs.
"L'objectif est de remettre chaque année dans son milieu naturel une partie de ces carpes après avoir éloigné les gambusies ou les chichlidés (deux types de poissons, ndlr) friands de cette carpe. A terme, nous les sauverons de l’extinction", assure M. Oshoush.
La "carpe de la mer Morte" est l'une des "deux espèces uniques au monde" à vivre seulement en Jordanie, souligne Salem Nafaa, porte-parole de la RSCN.
"Ce sont nos trésors et il faut absolument les sauver pour notre écosystème", ajoute-t-il.
Il y a vingt ans, l'ONG avait déjà sauvé de l'extinction l'autre espèce, le cyprinodonte d'Azraq, un poisson connu aussi sous le nom de Aphanius Sirhani et qui vit dans la réserve d'Azraq, à 110 km à l'est d'Amman.
Dangers divers
"En 2000, il existait à peine 500 poissons de cette espèce dans cette oasis (...) Il n'y représentait plus que 0,02% des poissons", se souvient Nashat Hmaidan, chargé du suivi de la biodiversité dans l'ONG.
"Ce poisson argenté tacheté ou rayé de 6 cm était sur le point de disparaitre", ajoute-t-il, expliquant que, comme la "carpe de la mer Morte", le cyprinodonte était victime de poissons prédateurs ou d'oiseaux migrateurs, ainsi que de la baisse du niveau de l'eau douce.
"Après avoir étudié leur mode de reproduction et découvert qu'ils avaient besoin d'une eau peu profonde pour pondre, nous les avons isolés dans un étang artificiel pour qu'ils se reproduisent", raconte-t-il.
Puis, pour assurer leur survie, l'équipe a réhabilité d'autres étangs naturels dans cette oasis, en acheminant régulièrement de l'eau, avant de les relâcher dans leur milieu naturel.
"Ce fut un immense succès", dit fièrement M. Hmaidan, en soulignant que les cyprinodontes représentent désormais "les deux tiers des poissons de l'oasis".
Mais, met-t-il en garde, "il ne faut plus jamais que leur présence retombe en-dessous de 50%".