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Maroc - Algérie : La réconciliation improbable – Par Abdelahad Idrissi Kaitouni
Vue sur le Maroc aux frontières du coté algérien
Il est de bon ton de ne jamais incriminer les peuples, alors on fait porter systématiquement la responsabilité des conflits aux seuls gouvernants. Si à priori c’est souvent le cas, il me paraît utile de nuancer cette assertion dans le cas du conflit qui nous oppose à l’Algérie. Des deux côtés de la frontière les commentateurs, à quelque niveau qu’ils se situent s’accordent à absoudre les peuples pour ne condamner que les responsables.
Moi-même, obéissant à la logique qui veut que les peuples ont toujours raison, j’ai toujours ménagé dans mes écrits le peuple algérien pour réserver mes coups de gueule à la junte militaire. Je sais par ailleurs que l’autre côté, les internautes algériens en font de même, car ils essaient de ménager les Marocains, et à leur tour ils ne jettent l’anathème que sur nos responsables qu’ils confondent avec le vocable Makhzen.
A ce propos j’ouvre une parenthèse. Je ne sais pas si ça relève de la cocasserie ou l’absurde, mais du côté marocain c’est bien ce Makhzen incriminé qui est l’entité la plus conciliante et bienveillante à l’égard de l’Algérie. Les Marocains respectent les décisions du Roi. Ils s’imaginent qu’il doit avoir de bonnes raisons de se montrer aussi magnanime avec un pays qui s’obstine à refuser toutes ses avances, et la main tendue. Mais les Marocains sont de plus en plus agacés, pour ne pas dire peinés par la désinvolture algérienne qui s’apparente à du mépris.
La parenthèse fermée, je me dois de revenir à la thématique principale, à savoir cette douteuse conviction qui absout les peuples de toute responsabilité dans la dégradation des rapports entre les deux pays. Il faut avoir le courage d’admettre que l’innocence des masses est toute relative. L’adhésion franche et massive aux thèses gouvernementales rend ces masses complices de la gravité de la situation.
Cessons de faire le parallèle entre les deux pays et regardons ce qu’il y a de part et d’autre ! Apparemment le Maroc est dans une bien moindre défiance à l’égard de l’Algérie. D’ailleurs ses autorités communiquent si peu sur la crise. Elles n’ont pas besoin de faire du raout pour amener l’opinion à adhérer à notre cause. Le mutisme du Maroc officiel s’inscrit dans une volonté de ne pas chauffer à blanc des masses passablement agacées par l’attitude belliqueuse du voisin.
En Algérie la situation est totalement inverse. La junte militaire n’arrête pas de souffler sur les braises, pour obtenir un plus grand soutien à ses visées bellicistes. Une attitude qui n’a rien de conjoncturelle puisque le phénomène d’endoctrinement anti-marocain date de leur indépendance, c’est à dire bientôt deux générations. Comme 80% des Algériens sont nés après l’indépendance, on comprend pourquoi l’écrasante majorité de l’opinion algérienne se complaît dans une franche hostilité à tout ce qui est marocain. Le conditionnement est allé crescendo et atteint aujourd’hui des sommets. L’hostilité mêlée au rejet en passant par la défiance pour, en définitif prendre l’allure d’une haine virale, telle est l’attitude d’une majorité d’Algériens à l’égard du Maroc. J’étais pris d’effroi lorsqu’un jeune ami algérien m’a dit un jour : on se demande aujourd’hui si les biberons qu’on nous donnait n’étaient pas composés d’une sorte de potion magique anti-marocaine !
J’entends le vacarme de ce tollé suscité par de tels propos. J’ai toutes les peines du monde à prendre le contre-pied de mes propres convictions et il m’en coûte d’avoir à les formuler puisque ainsi, j’assume mal mon immense respect pour les peuples. J’entends bien qu’il y ait de nombreux algériens qui refusent le matraquage de la propagande de leur gouvernement qui dure depuis six décennies. Qu’il existe une opinion résiliante en Algérie, on ne peut que s’en féliciter.
Quel est son poids et jusqu’à quel point pourra-t-elle infléchir le cours des choses ? Pour beaucoup, le Hirak était l’occasion inespérée pour initier un discours novateur pour des rapports de voisinage plus apaisés. Certes, il y a eu des slogans et des banderoles hostiles au Polisario, mais il s’agissait de la dénonciation du détournement des ressources du pays au profit de cette organisation, sans toutefois que cette dénonciation n’appelle à des relations plus conciliantes à l’égard du Maroc.
On comprend que les animateurs du Hirak ont à cœur de ne convoquer que les thèmes consensuels. Tout sujet controversé est laissé de côté. De là à dire que la question marocaine n’est pas consensuelle, c’est une évidence qu’il faut avoir le courage d’admettre quoiqu’il nous en coûte sur le plan intellectuel et ….émotionnel.
Qu’il y ait une résilience dans l’opinion algérienne contre la cabale anti-marocaine des militaires, c’est assurément vrai. Il est non moins vrai qu’une majorité de cette opinion adhère consciemment ou inconsciemment aux thèses des généraux, surtout celles qu’ils avancent pour faire douter du poids historique et culturel du Maroc.
A titre anecdotique j’ai relevé tout récemment l’hystérie impressionnante des internautes algériens qui s’en sont pris avec une rare violence au plus grand site français d’art culinaire, Marmiton, coupable d’avoir présenté Baghrir (بغرير) comme : la galette berbère à mille trous d’origine marocaine. Ce déchaînement inquiétant ne s’explique que par le fait que, pour cette armée d’internautes, rien de bon ne peut être d’origine marocaine. J’étais abasourdi par la violence des propos, mais nullement étonné par le mobile car depuis plusieurs années les Algériens cherchent à se construire des traditions, une histoire, une culture en s’appropriant tout notre art de vivre.
Dans le même ordre d’idées je ne savais pas s’il fallait en rire ou pleurer quand les réseaux sociaux algériens s’étaient félicités du choix de Trump qui a nommé Moncef Slaoui, un ... Algérien pour développer le vaccin anti-Covid.
Hallucinant mais vrai, une émission sur l’histoire animée par un universitaire qui parlait de la bataille des trois Rois. D’après notre historien, le vainqueur de la bataille est un Algérien formé par les janissaires ottomans qui a réussi à se faire passer pour Ahmed frère du Roi Abdelmalek mort de maladie lors du combat. Et notre cher professeur de conclure : Ahmed Mansour Dahbi, une des gloires de l’histoire du Maroc est en fait un Algérien ! Le même professeur a écarté d’un geste de la main le fait qu’Ibn Batouta ait pu naître à Tanger car il serait tout bonnement algérien. Sa tombe à Tanger serait un leurre avec lequel les Marocains essaient de se fabriquer une histoire.
Ces exemples, à la fois grotesques et sordides, n’ont aucune consistance et ne résistent pas à la plus élémentaire des analyses. Ils relèvent d’une minable supercherie, signature de l’indigence intellectuelle des militaires algériens et des locataires successifs d’Al Mouradia. Mais gardons-nous de minimiser leurs argumentaires, en apparence puérils, mais qui trahissent la réalité profonde du conflit qui oppose les deux voisins.
Dans tous mes écrits sur le sujet, j’ai toujours déploré le raccourci coupable que nous empruntons en réduisant le conflit à l’affaire du Sahara. Je me suis toujours évertué à démontrer que le Sahara n’est pas la cause du conflit mais sa conséquence la plus voyante. Un abcès de fixation que la junte militaire algérienne entretient avec délectation.
Remonter à l’origine véritable du conflit, passe par une lecture dépouillée de l’histoire des deux pays. Malgré les multiples proximités - géographique, linguistique et religieuse - qui donnent une apparente similitude, nous restons profondément différents. L’abysse culturel est le nœud gordien d’une dissemblance que chacun de nous cherche pudiquement à masquer.
Elle est réelle ! Il faut que ce déni cesse. Il est temps que l’Algérie s’installe résolument dans le sens de l’Histoire. La voie est toute simple, il suffit que l’Algérie réoriente ses aspirations. Aspirer à se hisser au niveau du Maroc est plus gratifiant que de vouloir le rabaisser à son niveau.
La lâcheté des généraux algériens est proverbiale, ils n’auront jamais le courage d’amorcer une telle remise en cause. La réconciliation n’est sûrement pas pour demain !