Les gouvernements de coalition fragile, une réalité sud-africaine

5437685854_d630fceaff_b-

Des élections sous haute surveillance militaire, 10 mille soldats déployés

1
Partager :

Par Hamid AQERROUT (MAP)

Johannesburg - L'Afrique du Sud sortira probablement des élections locales du 1er novembre 2021 avec une scène politique plus éparpillée et plus divisée que jamais, avec des Mairies et des Conseils municipaux encore plus faibles qu'en 2016, car soumis au marchandage des gouvernements de coalition.

Alors qu'ailleurs des coalitions stables conduisent inéluctablement à un gouvernement plus inclusif et à une plus grande responsabilité, en Afrique du Sud les choses se passent autrement. Ces coalitions sont si fragiles et instables qu’un seul petit parti peut rançonner les plus grands pour des positions puissantes, ou des querelles politiques peuvent conduire à leur effondrement, avec ce que cela entraine comme conséquences pour les communautés.

Dans le pays de l’arc-en-ciel, les gouvernements de coalition sont une réalité, grâce à son système de représentation proportionnelle, avec des partis politiques s'observant les uns les autres pour des malversations ou de faux pas.

Lorsque les résultats du scrutin local commencent à affluer et qu'il devient clair qu'il y aura des villes ou des municipalités où aucun parti n'aura la majorité de 50 pour cent plus un pour former un gouvernement, le «troc» et les pourparlers en coulisses commencent sérieusement, souvent sur le dos d'accords flottants déjà conclus à l'approche du jour des élections. Ces dernières mettent à l’épreuve 325 partis politiques avec 1 718 candidats indépendants, 63.409 candidats de circonscription, 35.707 candidats à la représentation proportionnelle et 99.116 candidats nominés au concours.

L’année du revers

Aux dernières municipales de 2016, le Congrès National Africain (ANC au pouvoir) avait enregistré son pire revers électoral depuis son arrivée au pouvoir en 1994 à la fin de l'apartheid. Le parti de Nelson Mandela avait obtenu moins de 54% de voix au niveau national, contre 61,07 % de voix lors des élections municipales de 2011 et avait perdu sa majorité absolue dans cinq des six plus grandes villes du pays, dont Pretoria, Le Cap, Johannesburg et Nelson Mandela Bay.

Autrefois puissant, l’ANC a été affaibli ces dernières années par des divisions internes et les nombreux scandales de corruption dont sont impliqués plusieurs de ses hauts responsables et conseillers, dont l’ex-président Jacob Zuma et l’ancien Secrétaire général du parti, Alex Magashule, qui sont actuellement poursuivis en justice.

A ces déboires s’ajoute le risque que plusieurs membres en colère de l’ANC ne votent pas en guise de protestation contre des allégations de truquage des votes lors du processus de désignation des candidats aux postes de conseillers du parti.

L’opposition, quant à elle, n’a eu de cesse de répéter en chœur que le parti au pouvoir est «tellement corrompu» qu’il ne peut gérer à lui seul des villes entières. C’est en tout cas ce que pensent le principal parti d’opposition l’Action Démocratique (DA), les Combattants pour la liberté économique (EFF), le Parti Inkatha de la liberté (IFP) et l'UDM, qui ont de surcroit exhorté les électeurs à ne pas soutenir la reconquête du pouvoir de l'ANC.

Lors de la campagne électorale, le leader de DA, John Steenhuisen, a affirmé que son parti gouverne moins de 10% des municipalités d'Afrique du Sud, mais «les cinq villes les plus performantes sont toutes gérées par le parti» qui a promis une "tolérance zéro" face à la corruption qui gangrène toutes les institutions du pays.

De nombreux analystes soutiennent qu'on ne peut nier que l’Action Démocratique gère le gouvernement local du Cap occidental plus efficacement que l'ANC ne le fait nulle part ailleurs en termes de comptabilisation des fonds. Mais son virage à droite l'a amené dans une position où toute association avec le parti, même en termes de vote de protestation purement stratégique, est tout simplement immorale.

« Tout sauf l’ANC »

Le trublion de la gauche radicale sud-africaine, Julius Malema, quant à lui, promet que ses troupes vont poursuivre l'occupation des terres vides pour forcer le gouvernement à accélérer la redistribution des terres au profit de la majorité noire du pays.

Il propose essentiellement une version beaucoup plus autoritaire de la politique du nationalisme prédateur qui s'est articulé autour de Jacob Zuma. Sa posture militariste ne peut qu'enflammer les plaies d'une société profondément endommagée et constamment en guerre contre elle-même.

S’agissant des petits partis comme L'ActionSA d'Herman Mashaba, ils affichent un enthousiasme pour l'hyper-capitalisme et proposent un populisme de droite passe-partout. Lors de la campagne électorale, Mashaba a fait savoir qu'en cas de coalition, il peut travailler avec tous les partis politiques sauf l'ANC, qualifiant le parti au pouvoir de "diable".

Le Forum pour la prestation de services, formé dans le Nord-Ouest en 2005 avec l'idée qu'un engagement «non politique» axé sur la «prestation de services», pourrait se frayer un chemin dans le bourbier. Il a pris un bon départ lors des élections locales de 2016 dans cette province, remportant 29 sièges.

Un autre développement potentiellement intéressant est l’augmentation remarquable du nombre de candidats indépendants lors de ce scrutin. Certains sont certes des opportunistes cherchant à capitaliser sur l'effondrement de la crédibilité de l'ANC, mais d'autres ont un réel soutien dans leurs communautés et un bilan de contribution positive à la gestion de la chose locale.

Force est de constater que dans plusieurs villes sud-africaines, les gouvernements de coalition ont eu tendance à être instables et fragiles, avec des débrayages conduisant à leur effondrement et des implications désastreuses sur la gestion des services et la gouvernance locale. C'est probablement la principale raison pour laquelle les électeurs sont très réticents à leur égard.

«Nous faisons des coalitions depuis notre premier gouvernement démocratique, mais au cours des cinq dernières années, la sphère locale est devenue tellement dysfonctionnelle et corrompue sous une série de coalitions complètement opportunistes, que coalitions et corruption deviennent synonymes», a déclaré à ce propos le professeur David Everatt de la Wits School of Governance.

Il a, à cet égard, rappelé qu'un sondage réalisé en mai dernier montrait que 80% des personnes interrogées préféreraient un vainqueur pur et simple pour gouverner, plutôt qu'une coalition de partis. «L'hostilité de l'opinion publique à l’égard des coalitions est très élevée», a-t-il soutenu.

Idem pour l'analyste politique Dawie Scholtz qui estime que les élections locales du 1er novembre pourraient donner lieu à des gouvernements de coalition dans les mêmes villes qu'en 2016.

Mais la réponse la plus probable parmi de nombreux électeurs potentiels à l'échec des formations politiques et surtout du parti au pouvoir «ANC» à générer des options politiques crédibles est un absentéisme historique.

 

lire aussi