Sanctions ouest-africaines risquées contre le Mali préparé à les contourner

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Le colonel Assimi Goïta président de la transition au Mali

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Quid avec AFP

Le Mali est désormais face à lui-même après avoir été sévèrement sanctionné par ses voisins ouest-africains qui craignent la contagion de leurs pays par la tentation putschiste, alors qu’ils sont déjà contaminé par le fléau terroriste des jihadistes en tout acabit. Tout en oubliant, temporairement ?, le coup d’Etat contre Alpha Condé en Guinée, les pays de la CEDAO reprochent à la junte aux commandes à Bamako de n'avoir pas respecté l'engagement d'organiser un retour rapide des civils au pouvoir.

La batterie de mesures économiques et diplomatiques prises par la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) aura des impacts "directs", admettent des interlocuteurs de l'AFP. Mais tous se perdent en conjectures sur les intentions de la junte: effort de compromis après les coups de gueule de circonstance ou au contraire durcissement aux conséquences imprévisibles ?

Quel effet sur les Maliens ?

L'impact pourrait d'abord être financier pour une population déjà durement affectée par le conflit qui mine le pays depuis 2012, estime Ornella Moderan de l'Institut d'études de sécurité à Bamako: "On peut s'attendre à une crise de liquidités, mais qui devrait se voir dans quelques semaines car on est en début de mois".

"Aucun impact pour l'instant", ont assuré plusieurs agents bancaires à Bamako. "Les avoirs de l'Etat ne sont pas logés qu'à la Bécéao (Banque centrale des Etats d'Afrique de l'Ouest, ndlr) mais aussi dans certaines banques primaires, et les recettes de l'Etat (tombent) tous les jours, donc je pense que l'Etat pourra gérer (le temps) que passe cette tempête", assure à l'AFP Hamadoun Bah, secrétaire général du Syndicat national des banques et établissements financiers (Synabef).

La junte assure que "le Mali s'était préparé à de telles sanctions", par exemple en concluant un accord avec la Guinée, également sanctionnée, mais modérément, par la Cédéao après son coup d'Etat militaire de septembre, ou avec l'Algérie, note Mme Moderan. Le Mali partage avec les deux pays des centaines de kilomètres de frontière, de quoi contourner au moins partiellement l'embargo sur les échanges commerciaux infligé par la Cédéao.

La fermeture des frontières terrestres et aériennes entre le Mali et les pays de la Cédéao devrait impacter de nombreux voyageurs: le vol Air France qui rallie Paris et Bamako en poursuivant vers le Liberia a été annulé lundi, ont indiqué plusieurs passagers. Les réservations pour des vols en direction des pays de la Cédéao sont "fermées pour le moment", selon un employé d'une agence de voyages bamakoise.

Les opérateurs miniers travaillant au Mali doivent se préparer à des perturbations "majeures" de leurs routes d'exportation et d'approvisionnement, avance Alexandre Raymakers, analyste à la compagnie d'évaluation des risques Verisk Maplecroft. "Vu l'importance du secteur aurifère comme source de revenus pour Bamako, nous n'escomptons pas que l'organisation (la Cédéao) fasse de quelconques exceptions pour les opérateurs miniers", ajoute-t-il.

Et sur la junte ?

La junte a beaucoup échangé, parfois de manière rugueuse, avec ses partenaires ouest-africains depuis le coup d'Etat de 2020. "Il y a de quoi être inquiet (pour les relations) devant les positions affichées (de part et d'autre), assez fermes et assez finales", juge Mme Moderan.

Les pays de la Cédéao ont rappeler leurs ambassadeurs au Mali, qui en retour a rappelé les siens. "Il faut espérer que c'est une phase d'escalade qui aboutira à une phase de négociations", poursuit Mme Moderan, même si "on ne sent pas vraiment une volonté de négocier de la part de la Cédéao".

Reste à savoir si les autres partenaires internationaux s'aligneront sur les décisions ouest-africaines, inspirées par Paris, comme ils l'ont fait jusqu'alors. Si oui, "la vis devrait encore se resserrer pour Bamako", pense le chercheur français Yvan Guichaoua.

A quoi s'attendre ?

Des interlocuteurs maliens de l'AFP estiment probables des manifestations de soutien à la junte dans les prochains jours à Bamako, comme il y en a eu systématiquement après les précédentes passes d'armes diplomatiques entre les militaires maliens et leurs partenaires étrangers.

Les sanctions ouest-africaines pourraient, selon Mme Moderan, avoir un effet "contre-productif" et "rallier encore plus de Maliens au discours souverainiste" des autorités dominées par les militaires.

Cela pourrait aboutir à des "tensions xénophobes qui iront au-delà du sentiment anti-français" et pourraient s'étendre aux Africains de l'Ouest, s'inquiète-t-elle.

L'ancien envoyé spécial des Etats-Unis pour le Sahel sous Donald Trump, Dr. J. Peter Pham, s'interroge sur les conséquences plus stratégiques. Le Mali occupe une position centrale dans la lutte antijihadiste, notamment au sein de la force sous-régionale du G5 Sahel.

"J'espère que les dirigeants de la Cédéao ont soigneusement examiné l'impact géopolitique et sécuritaire potentiel sur le long terme (...) et pas seulement leurs propres fortunes politiques immédiates", a-t-il écrit sur Twitter en faisant référence à la motivation prêtée à certains dirigeants ouest-africains de ne pas laisser, dans leur propre intérêt, prospérer les coups de force.

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