chroniques
Divagations…
*Ancien ministre, ancien repr?sentant du Maroc ? l?ONU, ex-pr?sident de l?universit? Hassan II-A?n Chok de Casablanca, Aziz Hasbi est enseignant
Je fus stup?fait par l?h?ro?cit? de mon acte?: j?avais br?l? mes vaisseaux et mis mes compagnons devant l?unique alternative d?avancer ou de p?rir?! Mais, une fois la griserie dissip?e, je constatai que je n?avais pas de vaisseaux, ni de compagnons, et que je n??tais pas non plus Tarik. Pas mon gentil neveu luttant du haut de sa c?cit? contre le quotidien d?un Londres d?j? sans am?nit? pour les bien voyants?; mais l?autre Tarik, celui de l?histoire et de la mythologie.
J?avais ?chou? sur un rivage d?sert, je ne savais plus quand ni, d?ailleurs, comment.
D?cidant de r?agir, je me rabrouai, secouant ma torpeur r?veuse et mon doux et furtif songe de grandeur.
Je fus pris de panique de ne pas savoir o? j??tais, bien que j?eusse souvent souhait? le d?paysement sur une belle plage d?serte. Ma plage de sable fin, aux eaux couleur bleu-vert de saphir rare, aux vagues douces et chantantes, donnant sur une v?g?tation exotiques aux fragrances paradisiaques, ? la cascade d?eau douce dont les perles chatouillent le corps, aux fruits odorants et g?n?reux berc?s par le concert des oiseaux au plumage chamarr?. Sans oublier les danseuses envo?tantes et les colliers de fleurs.
En fait, j??tais tout prosa?quement sur une plage sans gr?ce, sans magie, sans sable, sans luxuriance, sans musique, sans m?me de tournoiement d?oiseaux et d?insectes?; une plage aux exhalaisons putrides.
Fuyant les miasmes de ma plage de bout du monde, je grimpai sur la pro?minence qui cachait l?arri?re-pays. Je d?couvris un d?sert sans fin, ?cras? sous un ciel m?tallique. Rien qu?? scruter du regard cet espace infini de d?solation, le corps se dess?che. Le clapotis des vagues, tout proche pourtant, ne contenait aucune invite ? la fra?cheur. Il donnait l?impression d??tre sans ressac et de pousser inexorablement vers cette immensit? inhospitali?re.
Baissant les yeux, je remarquai un cam?l?on tr?nant sur une pierre plate, polie par le soleil?; ayant subi mille fois les caprices de la nature. Pass? la surprise de cette pr?sence insolite, mon regard se posa sur son ?il narquois qui me fixait avec arrogance et d?fi. J?avais l?impression de surgir de nulle part et d??tre sous le regard scrutateur de cette bestiole venue peut-?tre aussi de nulle part, rien que pour me narguer.
R?pondant ? une question que cet ?il ne me posa pas, je dis?:???Je n?en sais foutrement rien???; ajoutant, pour faire bonne figure, le c?l?bre juron de la Zina?d de Sulitzer dans son Cartel?:???Tabernacle?!??. Sachant que je me couvrais de ridicule devant mon t?moin et suppos? interlocuteur, je soutins sans ciller son air moqueur, vidant ma col?re?:???je serais curieux de savoir comment tu t?y prendrais si tu ?tais ? ma place?!??. Le geste brusque que je fis f?cha mon compagnon et censeur de fortune. Il me jeta un regard torve qui me fit faire un saut en arri?re. Il c?l?bra sa victoire en changeant de couleur. Ce faisant, il sembla me lancer un nouveau d?fi, attendant comment j?allais m?adapter ? cette fournaise qui s??tendait ? l?infini sous mes yeux d?sert?s par la fiert? et habit?s par la frayeur de l?inattendu et l?inconnu tout proches.
Je me r?signai ? m?asseoir sur une pierre, face au cam?l?on, afin d?avoir un vis-?-vis, aussi illusoire qu?il p?t ?tre. Je voulais, avec t?moin, voir plus clair dans ma situation. J?essayais de mettre mes id?es en ordre, secouant mon esprit ?corn? pour en tirer quelque chose de logique dans cette situation irrationnelle dans laquelle je me d?couvris tout ? l?heure sur cette plage damn?e ? laquelle je tournais maintenant le dos.
J?essayais donc d?acc?der ? ma m?moire et de d?plier mes souvenirs racornis par tant d?adversit? ?manant de mon paysage acrimonieux. Je tonnais contre le destin, sans pouvoir l?identifier ni lui donner une quelconque consistance?; j?invectivais le coupable, X, qui refusait tenacement de d?cliner ses nom, pr?nom, ?ge, profession, pr?noms de la m?re et du p?re?; j??ructais des mots abscons, ? hue et ? dia, ? part moi-m?me. Durant tout ce monologue silencieux mais gesticulant, le cam?l?on ne changea pas de couleur, gardant son imperturbable quant-?-soi. A peine daignait-il, de temps ? autre, donner le spectacle majestueux d?une reptation langoureuse sur place contre laquelle il r?clamait arrogamment et implicitement un hourra enthousiaste de son public du moment, c?est-?-dire moi et tout cet environnement qui observait le tout d?un regard m?chant et ac?r?. Je refusais obstin?ment de lui donner satisfaction?; question de dignit??!
A part le clapotis proche mais quasi imperceptible des vagues acari?tres, le monde imposait son omerta ? mes tentatives de recoller les morceaux de moi-m?me. Le silence ravageait mon pauvre cerveau r?calcitrant.
Je revins tant?t ? ma situation mat?rielle, sous le coup des goul?es d?air chaud et poussi?reux que j?avalais avec d?mesure. Mon gosier dess?ch? r?clamait ? corps et ? cri un liquide qui ?tanch?t un tant soit peu sa soif infernale. J?avais l?impression que mon corps ?tait incandescent et que toute vell?it? de mouvement de celui-ci serait tacl?e par une lourdeur qui m?envahissait progressivement mais inexorablement.
Malgr? la proximit? de la mer, j??tais en train de subir la loi du d?sert qui me faisait miroiter ses mirages et d?ployait les prodromes de l?op?ration d??videment qui allait faucher ma volont? et mes al?atoires capacit?s de r?sistance. Seule mon imp?ritie ? lutter affrontait sa toute puissance. Ma d?r?liction me dicta la seule issue possible en ce moment dramatique?: la reddition face ? tant de force et de f?rocit?.
Je jetai mes oripeaux et m?allongeai, face au ciel. Mon esprit vagabondait, rass?r?n? devant l?inconnu triomphateur. Un ?tourdissement bienfaiteur s?installait en moi et agissait comme un s?datif contre l?angoisse. Mon cam?l?on pouvait, post mortem, inscrire en frontispice de mon livre de bord?: ??vae victis??, malheur aux vaincus?; mais mon esprit anesth?si? ne pouvait capter l?aspect guerrier de mon acte de soumission.
Tel ?tait mon destin, en attendant un quelconque et improbable secours, ou de rassembler tout ce qui pouvait prendre feu afin d?attirer l?attention d?hypoth?tiques navigateurs perdus?
Je me r?veillai en nage et assoiff?. Ce n??tait pas un naufrage, car je ne suis ni navigateur, ni guerrier, ni acteur d?un film am?ricain d?aventure. C??tait juste un cauchemar absurde par une nuit torride et sans souffle, r??ditant les boughattate qui me visitaient les nuits de fournaise de mes vacances oblig?es d?adolescent, pendant les ?t?s abdi qui n?en finissaient pas.