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MACRON : L'HYPOPRESIDENCE ? - Par Mustapha SEHIMI
Le président français Emmanuel Macron à Berlin, le 2 octobre 2024. M. Macron entre dans une nouvelle étape de son second quinquennat. Si elle marque la fin de l'hyperprésidence, sera-elle pour autant une hypoprésidence.. Photo par Ludovic MARIN / AFP)
Une configuration politique inédite, une absence de majorité au Parlement, un Premier ministre issu d'un groupe parlementaire, et des relations modifiées entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif: quel rôle désormais pour le président français Emmanuel Macron?
Comment qualifier la relation inédite entre le Président de la République et le Premier ministre ? La Constitution ne définit pas précisément la nature de ce lien. Elle se limite à consacrer l'existence d'un exécutif bicéphale, " deux têtes". En termes constitutionnels, il est donc possible de parler de bicéphalisme - ou encore de dyarchie pour désigner cette dualité entre le Chef de l'État et le chef du gouvernement. Faire référence à toute autre qualification relève de l'analyse politique. Et des néologismes tels que "coalisation" ou encore majopposition" ne sont que des tentatives finalement peu convaincantes pour appréhender une situation aussi singulière.
Ni cohabitation, ni coalition
Il faut observer que l'on n'a pas affaire à une cohabitation. Ce terme renvoie en effet à un contexte de bipolarisation de la vie politique avec une opposition frontale entre le Président de la République et la majorité à l'Assemblée nationale et donc le Premier ministre. Or cette hypothèse est à exclure dès lors que le parti présidentiel est représenté au Gouvernement. Le terme de "coalition" est également impropre pour qualifier la situation actuelle. Il renvoie en effet à la composition du Gouvernement et aux relations que ce dernier entretien avec les parlementaires. Lors de la nomination du Premier ministre, Michel Barnier, le Président Macron a employé une nouvelle expression : la " coexistence exigeante". Le terme de "coexistence" est intéressant à relever. Implicitement, le Président de la République entend ainsi ne pas renoncer totalement à son influence politique. Le schéma qui se dessine au sein du couple exécutif paraît entrer davantage dans une phase de collaboration, avec une dominante primo-ministérielle et une influence déterminante du Chef du Gouvernement. Pareille articulation politique aura des implications sur le partage des pouvoirs entre le Président de la République et le Premier ministre. La Constitution de la Vème République, aux termes de son article 20, précise qu'il appartient au Gouvernement de déterminer et de conduire la politique de la Nation. C'est donc à cet organe qu'incombe la responsabilité de mettre en œuvre un programme politique en faisant voter des lois au Parlement. L'article 5 de la Constitution quant à lui, définit la mission constitutionnelle du Président de la République en affirmant q 'il " veille au respect de la Constitution. Il assure, par son arbitrage, le fonctionnement régulier des pouvoirs publics ainsi que la continuité de l'État. Il est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités".
Cette répartition constitutionnelle initiale s'est progressivement diluée sous la Vème République en raison de trois principaux facteurs : le passage au suffrage universel direct pour l'élection présidentielle en 1962, l'alignement de la durée des mandats présidentiel et législatif en 2000 et l'inversion du calendrier électoral en 2001. Une nouvelle pratique de l'article 20 s'est alors substituée au texte, conduisant le Président de la République à "déterminer la politique de la Nation" et réduisant le Gouvernement à la mettre en œuvre. L'influence politique du Président de la République s'est ainsi progressivement accrue sous la Vèùe République, avec des élections législatives mises à la disposition du chef de l'État nouvellement élu. Avec la dissolution de 2024, le Président de la République a donc permis un retour au texte constitutionnel. Si le Président de la République a perdu son rôle de chef de la majorité et, partant, son influence politique, sans que celle-ci ne disparaisse totalement, il conserve un rôle de premier plan en ce qui concerne la politique étrangère, les relations extérieures, la défense et la sécurité nationale.
La rupture opérée par la dissolution et les élections législatives de 2024 ne réduit pas le rôle du Président de la République, qui reste important. Loin d'être limité à l'exercice des prérogatives de son "domaine réservé", le chef de l'État dispose de nombreuses attributions constitutionnelles dont certaines lui offrent un pouvoir discrétionnaire. L'article 19 de la Constitution fait référence, de manière exhaustive, à ces compétences du chef de l'État qui sont dépourvues de contreseing. Elles sont particulièrement intéressantes dans le contexte actuel. Parmi elles, figure tout d'abord la nomination du Premier ministre (article 8 alinéa 1o), dont on mesure pleinement l'importance aujourd'hui et qui sera amenée à être de nouveau mise en œuvre en cas de censure du Gouvernement, le choix ainsi que le délai de nomination de Michel Barnier comme Premier ministre ont démontré qu'il s'agit bien d'une compétence discrétionnaire que la Constitution attribue au Président de la République. Elle a, pour corollaire, une capacité de non-nomination que l'on a pleinement observé avec le refus de nommer Lucie Castets à Matignon. Le chef de l'État conserve également la possibilité de recourir au référendum sur un objet déterminé (article 11). Cette prérogative s'exerce notamment sur proposition du Gouvernement.
Collaboration
Dans ce contexte de collaboration à dominante primo-ministérielle, cette hypothèse est envisageable. Le chef de l'État pourra aussi user, sous certaines conditions de délai et de circonstances, du droit qu'il tient de l'article 12 de dissoudre l'Assemblée nationale en cas de crises ministérielles répétées. Il faut encore mentionner le droit de message devant le Congrès (article 18), la saisine du Conseil constitutionnel (articles 54 et 61), et la nomination des membres du Conseil constitutionnel (article 56), dont le prochain renouvellement est prévu en 2025. Si Emmanuel Macron ne désignera qu'un nouveau membre sur les trois - les deux autres étant nommés par les présidents des deux Assemblées, il aura en charge de désigner le futur Président du Conseil constitutionnel.
Outre les compétences qui lui appartiennent en propre aux termes de l'article 19 de la Constitution, le Président de la République dispose également d'un important pouvoir de signature et de nomination. L'article 13 de la Constitution prévoit, en effet, qu'il signe les ordonnances et les décrets délibérés en Conseil des ministres. Il partage un pouvoir de décision avec le Premier ministre dans la nomination des emplois civils et militaires (art. 13 et 21 de la Constitution). La liste des emplois concernés, qui n'est pas limitée aux fonctions visées par l'article 13 al. 3 de la Constitution, a progressivement été élargie pour compter un millier d'emplois nommés en Conseil des ministres, parmi lesquels les conseillers d'État, les ambassadeurs, les recteurs d'académie ou encore les dirigeants des établissements et entreprises publics.
Après avoir mené à bien certains projets majeurs de son programme électoral, comme la réforme des retraites, marqué de son empreinte, la Constitution en y inscrivant le droit à l'interruption volontaire de grossesse, libéré de l'agenda politique immédiat et fort de ses attributions constitutionnelles, Emmanuel Macron entre dans une nouvelle étape de son second quinquennat. Si elle marque la fin de l'hyperprésidence, elle ne sera pas, sans nul doute, une hypoprésidence...