Pandémie
A Delhi, la mort et le désespoir aux portes d'un hôpital
Des familles attendent près de leurs proches atteints du Covid-19, devant un hôpital de Delhi le 23 avril 2021
Respirant à peine, Shyam Narayan est arrivé à l'hôpital à bord d'un rickshaw rouge à Delhi, les pieds pendant à l'extérieur. Mais personne n'a pu l'aider dans l'établissement, complètement débordé par le coronavirus.
Dans une Inde laminée par un tsunami épidémique, des milliers de malades sont victimes, comme lui, du manque de lits d'hôpitaux, d'oxygène et de médicaments vitaux.
A l'hôpital Guru Teg Bahadur (GTB), au Nord-Est de la capitale New Delhi, Shyam Narayan et sa famille ont patienté, dans un flot continu d'ambulances, de rickshaws et autres véhicules chargés de malades du Covid-19, dans l'attente d'une place. A l'intérieur, les lits peuvent être occupés par trois personnes à la fois.
Shyam Narayan n'a même pas pu arriver jusque-là. Il a fini par franchir la porte mais quelques minutes après, son corps est revenu dehors sur une civière. Sans vie.
Toute la nuit, sa famille avait fait la tournée des hôpitaux en quête d'un lit avec de l'oxygène, explique son frère Ram. "Mon frère a cinq enfants et le plus jeune est tout petit, que vais-je dire à sa femme ?".
Le pays, qui compte 1,3 milliard d'habitants, bat quotidiennement des records de cas de Covid et son système de santé craque sous le flot des malades. Dimanche, l'Inde a recensé sur 24 heures près de 350.000 nouvelles contaminations et 2.767 décès.
Familles affolées
La mort de Shyam Narayan ne sera sans doute même pas comptabilisée. Son corps a été emporté sans qu'il y ait eu la moindre procédure d'admission.
L'hôpital GTB assure faire de son mieux face à la crise et le personnel travaille sans arrêt. A l'entrée, un gardien explique aux familles affolées que tout est plein. Certaines font la queue, d'autres attrapent un rickshaw et poursuivent leurs recherches désespérées.
Epuisé, Mohan Sharma, 17 ans, soutient son grand-père âgé de 65 ans. Il lui offre de l'eau, le conforte lorsqu'il tousse et lui ajuste tendrement son masque à oxygène.
Le père de Mohan est mort du coronavirus dans cette même file d'attente, moins de 24 heures auparavant. "Il étouffait, nous avons ôté son masque de protection et il pleurait, il disait +à l'aide, s'il vous plaît à l'aide+", raconte le jeune homme. "Mais je n'ai rien pu faire. Je l'ai juste regardé mourir".
Mohan n'a pas eu le temps de pleurer son père, il a dû vite aider son grand-père pendant que sa mère restait à la maison pour s'occuper de la grand-mère, positive au coronavirus.
La famille a pu trouver un lit pour le grand-père. Mais les conditions étaient effroyables: "il y avait trois cadavres à côté de lui et il a pris peur, disant qu'il allait y passer. Alors je l'ai emmené dehors et il se repose à présent", explique Mohan.
La bouteille d'oxygène du vieil homme est presque vide. Il n'y a aucune assurance de pouvoir la remplacer.
Des personnes revenant de l'intérieur décrivent des couloirs encombrés de lits et de brancards occupés par deux ou trois personnes.
"J'ai vu trois cadavres en six minutes", raconte Ravi Kumar, parvenu à faire admettre son grand-père octogénaire après avoir attendu toute la nuit. "A l'intérieur, il n'y a pas de lits, juste des civières côte à côte avec deux patients sur chacune".
-"Un échec du gouvernement"
La nuit précédente, le grand-père de Ravi Kumar avait dû quitter un hôpital privé qui n'avait plus d'oxygène.
Derrière lui, Irfan Salmani, accroché à son téléphone, cherche désespérément de l'aide pour sa soeur Monisha, 40 ans. Elle se bat pour respirer, assise au sol dans son sari jaune avec un masque à oxygène dont le tube n'est rattaché à rien.
"J'essaie sans arrêt depuis trois jours, je vais d'un hôpital à l'autre. Je n'ai jamais rien vu d'aussi horrible dans ma vie", confie-t-il. "Que puis-je faire? je n'ai rien mangé ni bu depuis ce matin. Je me heurte à un refus après l'autre".
En tête de la file d'attente, une famille plaide auprès du gardien pour l'admission de l'un de ses membres.
Un homme est couché au soleil avec une bouteille d'oxygène presque vide. Lui a une chance de survie: sa famille connecte vite une nouvelle bouteille.