Pandémie
Survivre dans le quartier le plus pauvre d'Espagne au temps du coronavirus
"Ce que je veux, c'est partir d'ici". Pendant le confinement, Sonia Garcia a perdu son travail et donné naissance à son quatrième enfant dans le quartier des Tres Mil Viviendas de Séville, le plus pauvre d'Espagne.
L'impact de la pandémie de coronavirus a été dévastateur dans ce quartier situé au sud de la ville andalouse, même si la contagion par le virus y est restée très limitée.
Jusqu'en mars, Sonia travaillait dans un bar à churros, mais le confinement a eu raison de son emploi, raconte-t-elle en marchant près de son immeuble, où le sol est jonché de bouts de verre, de déchets et d'un cadavre de rat desséché par un soleil de plomb.
Son mari ferrailleur ne travaillant pas non plus, le couple a "zéro" revenu et a dû avoir recours aux aides des organismes travaillant dans le quartier pour survivre -300 euros pour la nourriture- ainsi qu'à l'association catholique Caritas et à son père de 85 ans.
Un nouveau revers pour cette femme de 35 ans, qui a accouché en mai de son quatrième enfant dans des conditions difficiles - "j'ai dû partir seule en ambulance", se souvient-elle - et avait déjà perdu son emploi dans un restaurant, en 2009, lors de la précédente crise économique.
Depuis, elle avait accumulé les emplois précaires - femme de chambre, aide aux personnes âgées - et veut maintenant se former en thanatopraxie, technique de conservation des corps, explique-t-elle à l'AFP, dans le local de l'association Entre Amigos (Entre Amis), dont le programme d'insertion décroche chaque année 100 contrats de travail.
Au plus fort du confinement, "on a même pensé aller dans un supermarché, remplir des charriots et sortir en courant", raconte la jeune femme. "Quand tu n'as rien, que ton enfant te demande un yaourt et tu réponds: +je n'en ai pas+".
"Bidonville vertical"
Le Polygone Sud, qui comprend la cité des Tres Mil Viviendas et d'autres similaires, accueille environ 40.000 personnes, dont le revenu moyen est de 5.112 euros par an, le plus bas d'Espagne, selon des données de 2017.
Le chômage dépasse les 50%, le sida et l'analphabétisme atteignent des niveaux endémiques et beaucoup d'immeubles sont si insalubres que les autorités parlent de "bidonville vertical".
Les commerces sont presque inexistants. Les habitants qui travaillent sont souvent employés au noir dans d'autres quartiers de Séville, dans l'hôtellerie, la vente ambulante ou le ménage.
"Nous servons de main-d'oeuvre bon marché", dénonce Rafael Garcia, un fonctionnaire de 58 ans.
A cela s'ajoute le problème de la culture de la marijuana dans des logements surnommés "les appartements de la drogue", que les habitants accusent de provoquer insécurité et coupures d'électricité.
Pendant le confinement, le défi le plus urgent fut de "permettre aux gens de se nourrir", explique Jaime Breton, chargé de coordonner l'action des administrations publiques et des nombreuses associations du quartier.
Sa structure, qui prenait en charge 700 mineurs dans les cantines scolaires, est arrivée à distribuer de l'aide alimentaire à plus de 15.000 personnes.
L'éducation online, "une chimère"
La pandémie n'a eu ici qu'un impact sanitaire très limité, mais la fermeture des écoles est désastreuse dans une zone où l'échec scolaire atteint 60% et l'absentéisme 25%.
Et l'école "en ligne est "une chimère", résume M. Breton.
Betsaida Alexandre, une Vénézuélienne de 45 ans, le confirme : dans l'école de ses enfants, sur 199 élèves, 176 n'ont ni tablette ni ordinateur pour faire leurs devoirs à distance.
La situation peut même devenir dramatique, car dans des foyers "où les parents se battent ou se droguent, (...) l'école est le seul moyen pour les enfants d'avoir une vie normale pendant trois ou quatre heures", ajoute Mme Alexandre qui vit avec son mari, ses trois enfants, sa mère, sa belle-mère et son frère handicapé.
Cette ingénieure en électronique qui a enfin trouvé un poste intérimaire d'enseignante après des années à faire des ménages, dit voir autour d'elle "une pauvreté extrême" et "des gens plus isolés".