Rabat, ''ville-miracle'' et ''cité miraculée'' - Par Abdejlil Lahjomri

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L’auteur Abderrahmane Chorfi, auteur de Rabat – la Ville Nouvelle », un précieux « guide d’architecture » qui offre des flâneries enrichissantes, dans une cité qui reste encore méconnue

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«Rabat : La ville nouvelle » ? Pas seulement. Elle est aussi son prolongement, en dehors du rempart alaouite, vers le quartier Les Orangers, où il n’y a plus d’orangers, regrette Abdejlil Lahjomri dans sa préface, qui curieusement, dans le beau livre de Abderrahmane Chorfi, est intitulée « Prélude ». Elle est encore l’Agdal et le Jardin d’essais. 

Dans l’ouvrage de celui qui a fondé et dirigé l’École nationale d’architecture de Rabat et occupé de son talent plusieurs organismes publics en charge de l’urbanisme de la capitale du Royaume, A. Lahjomri voit «un outil de travail extrêmement documenté pour les cabinets d’architectures en exercice, et surtout un manuel pédagogique pour les Ecoles, qui raconte aux jeunes architectes en herbe la légende de la seule urbanisation réussie d’une capitale en mouvement. » 

Et c’est aussi l’ouvrage de Abderrahmane Chorfi, qui a appris au Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume à s’interroger sur « l’ignorance [qu’il a] des écritures architecturales, qui […] habitent [Rabat et] des innovations qu’elle dissimule ». Et s’il a fini « par comprendre grâce à ce guide pourquoi Rabat la Ville Nouvelle a été à juste titre reconnue ‘’Patrimoine mondial de l’Humanité’’ par l’UNESCO », A. Lahjomri souligne également comment, « grâce à un souterrain salvateur [le tunnel ferroviaire qui traverse Rabat] (acte architectural audacieux pour l’époque) », ses bâtisseurs ont fait de Rabat « une cité sereine,  ‘’hygiénique’’ » et  évité ainsi à la capitale « la succession tumultueuse, bruyante, infernale des trains. » Mais laissons plutôt le Secrétaire perpétuel nous pousser avec ses mots d’amoureux de la ville, à la découverte du bel ouvrage de Abderrahmane Chorfi.

Commençons par dire pourquoi ce livre sur « Rabat – la Ville Nouvelle » est précieux.  Parce que « guide d’architecture » comme il se présente, il offre des flâneries enrichissantes, dans une cité qui reste encore méconnue dans la spécificité de son aménagement urbanistique et l’harmonie imprévue, de sa modernité inédite, qui la rapproche de la cité traditionnelle qu’elle prolonge.  

Précieux aussi parce que c’est un outil de travail extrêmement documenté pour les cabinets d’architectures en exercice, et surtout un manuel pédagogique pour les Ecoles, qui raconte aux jeunes architectes en herbe la légende de la seule urbanisation réussie d’une capitale en mouvement. Précieux parce que c’est plus une invitation au voyage qu’une flânerie, d’abord pour le touriste séduit par le charme envoutant d’une cité-jardin, mais aussi pour l’amoureux qui, (comme le dit si justement l’auteur-expert Abderrahmane Chorfi), « faisait le boulevard », en son temps, selon l’expression célèbre chez la jeunesse d’une époque révolue, mais ignorait tout des « merveilles architecturales » dont regorge le centre-ville de Rabat.  Amoureux ne percevant pas les originalités artistiques qui font de cette ville un « véritable musée de l’architecture à ciel ouvert ». 

Suis-je en train d’écrire cette préface à ma manière en amoureux de ma ville, pour un livre-guide qui de page par page, me dit l’ignorance que j’ai des écritures architecturales, qui l’habitent, des innovations qu’elle dissimule, qui du geste créateur colonial, au geste « brutaliste » des architectes d’après l’indépendance continuent à inspirer sa marche urbanistique ? 

Préface d’un livre, qui laisse le lecteur flâner à sa guise de façades en façades « saturées de figures et de matériaux imputés à l’architecture arabe, berbère, andalouse, musulmane, orientale », et selon son désir de terrasses en terrasses, de portes en portes, d’escaliers en escaliers, de patio en patio.  Il s’émerveillera devant l’alliance de la tradition et de la modernité, alliance qui fait que l’on peut considérer que l’architecture produite au Maroc, pendant soixante-quinze ans comme le dit l’auteur émerveillé, est « la cuisine marocaine et bien marocaine, d’une architecture en même temps mondialisée et diversifiée ».

Mais c’est la préface d’un amoureux qui, a fini par comprendre grâce à ce guide, pourquoi Rabat la Ville Nouvelle a été à juste titre reconnue « Patrimoine mondial de l’Humanité » par l’UNESCO.  Pourquoi c’est son « miracle » que cette organisation mondiale a primé.

Ce livre fait en effet le récit du « miracle » urbanistique de Rabat.  Miracle, né d’une décision coloniale, qui fait, émerger une ville nouvelle, d’un essai de prospective sur un terrain vierge, de l’ériger séparée de la médina par une enceinte végétale dont un des exemples pourrait être « le quartier des orangers » (où il n’y a plus, hélas, d’orangers) ou le quartier de l’Agdal, de penser en premier lieu l’espace paysager, avant l’espace bâti lui-même.  Mais ce qui devait séparer, allait rapprocher.  Du haut de l’ancienne rue Al Gza jusqu’à la mosquée As-Suna, l’amoureux de Rabat, flânera dans l’Avenue Mohamed V, passant des échoppes de la médina, aux magasins de la cité moderne, comme si la volonté, coloniale d’éloigner, avait été déjouée par le dessein secret de la ville qui a choisi d’unifier, de rapprocher.

On peut dire que l’équipe de Lyautey (J.C. Nicolas Forestier, P. Prost, A. Laprade, Marcel Zaborski) s’était inspirée du concept « Park-System » de l’américain Fréderic Low Olmstead, mais, l’inspiration première pourrait être que Rabat avait été de tout temps de par son histoire une ville-jardin. 

La cité-moderne de Rabat est née, d’une série de jardins dont essentiellement trois : « le Jardin d’Essais » au nom prédestiné, « le Jardin du Triangle de vue » actuellement Nouzhat Hassan et « le Jardin du Belvédère ».  Le livre n’évoque que le jardin du « Triangle de vue », son théâtre de plein air, son aire de jeux pour enfants. 

Il nous fait toutefois, regretter la disparition progressive du jardin du Belvédère et nous fait continuer à espérer, malgré toutes les contraintes, que « le Jardin d’Essais », rénové accueillerait les artistes et créateurs comme l’ont fait « le Jardin de la Violence » à Marat (Suisse), « le Jardin botanique de Lisbonne ou le Cactus Tropical de l’île de la Réunion ». 

Mais Rabat, dans sa modernité n’est pas seulement une « ville-miracle ».  Elle est une « cité miraculée ».

Une fiche décrit techniquement la gare de Rabat, au centre de la ville.  L’amoureux, dans sa flânerie est heureux de la savoir pourtant invisible.  Située « au point de convergence de douze voies publiques » selon l’auteur, la ville échappe grâce, à un souterrain salvateur (acte architectural audacieux pour l’époque), à la succession tumultueuse, bruyante, infernale des trains. 

Un romancier, aurait écrit le récit de l’enfer qu’aurait été cette modernité polluante, si les trains traversaient, en plein air une ville meurtrie.  Il savoure, en lisant ce livre précieux et en en recommandant la lecture, le bonheur renouvelé, d’admirer une cité sereine, « hygiénique », devenue capitale du Royaume qui comme le montre Mounia Bennani, dans son ouvrage « Villes-paysages du Maroc », qui a commencé par servir de « laboratoire pour tester et expérimenter des concepts urbains nouveaux » et « qui est devenue une des rares ville moderne au monde à avoir été réellement pensée à partir de son socle géographique : la topographie, les points de vus, l’océan, le fleuve, les jardins et les repères historiques… ». 

Flânez amoureusement avec Abderrahmane Chorfi, dans ce livre-guide, utile, précieux, incontournable, un livre-défense et illustration d’une cité qui, ne cessera jamais de vous étonner, de vous séduire et surtout de vous intriguer.