Ahmed Al Barrak, l’exposition hommage

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Tantôt sombres, tantôt chatoyants, Ahmed Al Barrak voile et dévoile l’archéologie d’un infini palimpseste.

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A l’occasion du premier anniversaire du décès d’Ahmed Al Barrak, Medina Art Gallery de Tanger nous convie à un vibrant hommage posthume : une grande rétrospective retraçant les diverses facettes de son œuvre. Une œuvre hantée par la quête de la mémoire, d’empreintes, de signes, de traces… et du temps qui passe. A coup de traits, maîtrisés ou gestuels, de tons, tantôt sombres, tantôt chatoyants, Ahmed Al Barrak voile et dévoile l’archéologie d’un infini palimpseste. 

          Ahmed Al Barrak naît le 24 janvier 1952 à Tétouan. Il y poursuit ses études primaires avant de débarquer à Tanger à l’âge de 12 ans. Passionné par les arts et les lettres, ses professeurs et amis l’encouragent à enjamber les méandres d’une carrière artistique. Il passe alors, avec succès, son concours pour intégrer les Arts Appliqués de Casablanca. Après l’obtention de son Diplôme de Technicien Marocain, il intègre le Centre Pédagogique Régional de Rabat d’où il sort diplômé en 1975. Il enseigne alors dans le premier cycle, puis il est reçu au concours d’entrée au Cycle Spécial de Rabat en 1979. Après cette formation il enseigne dans le second cycle et continue de suivre divers stages au Maroc et à l’étranger pour parfaire ses techniques pédagogiques. Ainsi durant 45 ans, Ahmed Al Barrak   mène une vie dédiée à la création artistique, à la formation de générations de jeunes filles et garçons, à l’organisation et à la participation aux diverses activités culturelles. 

          Plasticien aux multiples talents, artiste peintre, photographe, blogueur… Ahmed Al Barrak décède le 10 Janvier 2020 à Tanger nous léguant une œuvre, traces de la palette d’une vie riche et passionnée. 

          Cette grande exposition/hommage est accompagnée d’un beau livre, «Ahmed Al Barrak, le peintre de la mémoire », rehaussé des plumes de Mohamed Ameskane, Mohamed Métalsi, Khalil M’Rabet, Omar Salhi et Hafida Aouchar. 

Medina Art Gallery du 10 janvier au 10 février 2021

Ahmed Al Barrak par lui-même et par les critiques

 « Il y a peu de temps le galeriste Omar Salhi m’a fait part de son souhait d’organiser une exposition/hommage pour Ahmed Al Barrak et de préparer un catalogue d’exposition qui resterait témoin de l’évènement et du travail de l’artiste. J’ai accepté et me suis impliquée entièrement car je ressens cet évènement comme quelque chose que je dois à mon mari.  C’est un artiste peintre qui malheureusement n’a pas eu de son vivant la reconnaissance entière qu’il méritait dans son pays. Mon souhait est que ses œuvres puissent être exposées dans d’autres galeries, et d’autres villes à l’intérieur du territoire. Je continuerai de tenir son blog vivant et sa page FB active en y publiant régulièrement ses œuvres picturales et photographiques. Je sais que les gens parleront encore longtemps de l’excellente personne qu’il fut. Maintenir ses œuvres présentes par le biais des réseaux sociaux fera que même les générations futures pourront, en y ayant accès, connaitre, apprécier et se souvenir de l’artiste Ahmed Al Barrak. »

Hafida Aouchar, professeur, femme d’Ahmed Al Barrak 

 « Face à ma toile, j’essaye de ne pas me plier aux formes et sujets qui s’imposent à moi. Faire abstraction d’un thème réfléchi, me laisse complètement indépendant par rapport à ma toile et aux couleurs, ce qui me libère, me permettant de jouer avec les formes, les vides et les pleins en créant des accidents qui aboutissent souvent à d’heureuses surprises, par leurs résultats inattendus.

Je me laisse guider par mon instinct, mon goût, ma culture, mon état d’âme du moment. Les couleurs posées en appellent d’autres, je couvre, je gratte, je trace des lignes en de larges mouvements de brosses ou de couteaux, je les laisse se répondre et appeler d’autres lignes s’il le faut.  J’ouvre, je ferme, j’enserre et libère, faisant jaillir par moments de la profondeur, grâce aux nombreuses superpositions de tons que j’affectionne et utilise systématiquement.

Lorsque des formes apparaissent, par jeu ou par insatisfaction au lieu de les effacer ou de les recouvrir entièrement, je les dissimule en partie ou les barre à coups de hachures tracées énergiquement en des gestes larges.
 …Les glacis colorés que j’appose au final, contribuent par un jeu de transparences à donner naissance à des effets de lumière toujours présents dans mes toiles, imprégné que je suis par la lumière du Détroit. »

Ahmed Al Barrak 

 « A Tétouan et à Tanger, Al Barrak baignait dans une ambiance conciliant tradition et modernité, conservatisme et ouverture sur l’ailleurs.  Polyglotte, maitrisant l’arabe, le français et l’espagnol, il grandit et se forme au goût des autres, au gout de l’Autre. Comment y échapper à Tanger, la cité muse. Sa lumière privilégiée a ébloui Eugène Delacroix, Albert Marquet, Benjamin Constant, Joseph Tapiro, Mariano Fontury, Kees Van Dongen et Henri Matisse.
Ses légendes fondatrices et ses lieux mythiques ont irrigué mille et un récits d’écrivains comme  Alexandre Dumas, Joseph Kessel, Jean Genet, Paul Bowles, Jaques Kerouac, Gertrude Stein et Tennessee Williams. Ses sons ont ensorcelé  Mick Jagger et Randy Weston. »  

Mohamed Ameskane,   journaliste écrivain 

« Malgré la diversité des styles, la variété des sujets qu’il a traités et les différentes méthodes d’exécution qu’il a pu employer, Al-Barrak a su préserver l’unité de sa personnalité artistique. Cela tient à sa capacité à réutiliser une très large gamme de symboles et de motifs pris dans l’univers visuel de son environnement, au moyen d’une vision nouvelle. Al-Barrak est un peintre qui puise ses ressources de la mémoire individuelle et collective. Réceptacle des formes conscientes ou inconscientes cumulées ou incorporées d’une esthétique plongée dans la longue durée, sa toile est un lieu où les signes de l’art ornemental arabo-musulman et berbère demeurent le modèle primordial, la matrice initiale. Il part de l’abstraction originelle, expression normative d’un art légal et du rapport du peintre aux nécessités sociales, c’est-à-dire du licite et de l’illicite, pour aboutir à une œuvre plastique réfléchie, déduite de l’essence même de l’art. N’a-t-on pas écrit que l’art abstrait moderne est sans précédent ? »

Mohamed  Métalsi, professeur chercheur écrivain  

 « La peinture d’Ahmed Al Barrak subit plusieurs mutations comme le soulignent les séries de toiles : la transposition vigoureuse du visible se transforme, révèle une structure bleue décantée, diaphane. Sa lumineuse peinture, ne reproduit pas les murs des médinas, ni les signes des arts traditionnels . Elle donne à réfléchir au passé et au présent d’une culture vivante, perturbe le banal et le transfigure. Arabesques ou autres structures décoratives sont prétextes pour mieux altérer les codes hérités. L’artiste retient le blanc des murs comme fond pour ses peintures : page blanche exempte de tout tracé, où mieux inscrire, furtivement, la rigueur des orthogonales, la tension entre le structuré et l’informe, l’ordre et le chaos. Quand se croisent les verticales et les horizontales, se créent l’effervescence et le trouble . Les inscriptions initiales fusionnent avec le magma informel . Leur lisibilité,  s’estompe : toute la peinture gagne en légèreté et la transparence des lavis valorise des surfaces translucides de très haute sensibilité. »

Khalil M’Rabet, Professeur émérite en Arts Plastiques et Sciences de l’Art

Aix-Marseille université.