Les conditions du renouveau de l'Istiqlal

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*Economiste, Mohammed Benmoussa f?t membre de l'?tat major de Wafabank. Il a dirig? la soci?t? de bourse de ce groupe bancaire, particip? au pilotage du p?le march?s des capitaux et contribu? ? la modernisation des march?s financiers en sa qualit? de pr?sident de l?APSB. Apr?s la cr?ation d'Attijariwafa bank, il f?t secr?taire g?n?ral de la Banque de d?tail puis pr?sident de Wafa Immobilier. Mohammed Benmoussa est aujourd'hui membre du Bureau ex?cutif de l'Alliance des ?conomistes? du parti de l'Istiqlal, ainsi que membre du Bureau ex?cutif et Tr?sorier du Mouvement Damir.

Aux ?lections communales et r?gionales du 4 septembre dernier et au terme du processus d'?lection des pr?sidences de r?gions, communes, assembl?es pr?fectorales et provinciales et de la Chambre des conseillers, le parti de l'Istiqlal a subi l'une des d?faites ?lectorales les plus violentes de son histoire. Mais par del? les r?sultats des scrutins, les valeurs de l'Istiqlal se meurent. Aucune violence n'est plus grande que la violence que l'on exerce sur les valeurs d'un parti et que l'on tol?re par couardise ou par renoncement, et le mutisme participe d'une violence de m?me ampleur. La conscience commande d'exposer un r?cit diff?rent de celui qui a ?t? fait au sujet de la situation politique du parti par ses instances de direction. Comme il est de salubrit? publique de faire un diagnostic lucide de l'?tat dans lequel se trouve cette formation politique, afin de lui dessiner de nouvelles perspectives et de pr?parer les conditions de son renouveau. Cette invitation ? la r?flexion requiert une certaine objectivit?, pour que ces lignes soient lues sans pr?jug?s, ni parti pris, l'esprit libre de toute contrainte ou de toute ob?dience. La libert? de pens?e devient l'unique issue lorsque la crise interne d'un parti se nourrit du d?ni de r?alit?, cultive le populisme, renforce l?intol?rance et entretient la violence verbale.

Un quintuple ?chec

Le parti de l'Istiqlal a subi un quintuple ?chec. La d?faite est ? la fois m?diatique, ?lectorale, politique, militante et morale. D'abord, sur le plan de la communication, l'Istiqlal a perdu la bataille des m?dias qui, si ce n'est fa?onnent, du moins orientent l'opinion publique. A l'exception "naturelle" des deux supports de presse affili?s au parti, toutes les autres publications, qu'elles soient ?crites ou num?riques, ainsi que les m?dias audiovisuels, ont contribu? ? nourrir une image n?gative de l'Istiqlal. Il est vrai que la t?che leur ?tait facilit?e par les multiples manquements observ?s au niveau du parti : erreurs de strat?gie politique, discours discourtois et irrespectueux de la pr?s?ance politique, absence de d?bats d'id?es et de projets alternatifs, etc. Ensuite, sur le plan ?lectoral, la r?ponse des Marocains a ?t? sans ?quivoque. Un message de d?fiance a ?t? adress? aux dirigeants de l'Istiqlal, y compris par des franges enti?res de la soci?t? marocaine habitu?es ? voter historiquement pour lui. Elles sont urbaines et rurales, bourgeoises et populaires, form?es d'ouvriers et de cadres, d'intellectuels et d'artisans, de jeunes et de seniors. Le r?sultat de ce d?saveu f?t implacable : le parti de l'Istiqlal a ?t? chass? de la gestion de la quasi totalit? des r?gions et grandes villes du royaume. Ensuite, la d?faite est politique car en d?pit de sa deuxi?me position num?rique aux communales avec 5106 conseillers et de sa troisi?me place aux r?gionales avec 119 ?lus, l'Istiqlal a ?chou? dans sa politique d'alliances. Il a ?t? dans l'incapacit? de f?d?rer autour de lui une majorit? politique coh?rente et fiable. Sans doute que le manque de cr?dibilit? et les sorties m?diatiques tonitruantes de sa direction, ont contribu? ? rendre impossible cette alliance. L'ampleur de l'?chec personnel du leader du parti dans ce qui f?t un temps son fief ?lectoral et la victoire ?crasante du candidat PJD dans ce m?me territoire, est une confirmation suppl?mentaire de la d?faite politique de l'Istiqlal, qu'aucune tentative de diversion ou de diffamation ? l'endroit des autorit?s d'Etat charg?es de superviser les ?lections ne peut occulter. La d?faite du parti est aussi militante : malgr? le tumulte caus? par les d?convenues successives et le trouble provoqu? par les prises de positions officielles, les militants de l'Istiqlal ont ?t? dans l'incapacit? d'exiger le respect des engagements de d?mission donn?s publiquement par l'?quipe dirigeante du parti, ni d'imposer la tenue d'un congr?s extraordinaire pour entrevoir une sortie de crise. La d?faite de l'Istiqlal est, enfin, morale car le nom du parti est associ? ? des affaires de fraudes ?lectorales, parmi lesquelles figure celle relay?e par la commission gouvernementale de suivi des ?lections qui fait ?tat de poursuites judiciaires ? l'encontre de 26 pr?venus, dont 10 ont r?ussi ? se faire ?lire ? la Chambre des conseillers et 6 avec l'?tiquette Istiqlal. Sans pr?juger de la d?cision finale de la justice et sans ob?rer le principe de pr?somption d'innocence, ni ? l'?gard de ces conseillers, ni de certains dirigeants dont le nom a pu ?tre cit? dans les rapports d'audit de la Cour des comptes ou dans les investigations men?es par les ?quipes du p?le financier de la BNPJ, la morale commande ? tout responsable politique soup?onn? de se retirer momentan?ment de la vie publique, pour d?fendre son honneur et ne pas entacher l'image de sa famille politique tant que l'instruction suit son cours.

Une strat?gie politique fantaisiste

Les choix strat?giques op?r?s par la direction du parti l'ont conduit au d?part ? une participation ? la majorit? gouvernementale, puis ? l'opposition syst?matique et st?rile, puis ? un retour ? un soutien critique de la majorit?, et finalement ? une d?route ?lectorale et politique. Par ses d?clarations pr?somptueuses, ses actes irr?fl?chis et ses volte-face fantaisistes, l'Istiqlal a sombr? dans la p?nombre de l'insignifiance. La place actuelle du parti sur l'?chiquier politique marocain exige sans doute de lui beaucoup de mesure et de retenue. Il est plus que jamais soumis ? un devoir de modestie. Mais ses militants et ses sympathisants ne doivent pas, pour autant, ?garder le silence. Parce que, face ? la trag?die qui s'est d?roul?e sous leurs yeux, o? la parole des dirigeants politiques est d?grad?e, d?valoris?e, humili?e, o? la volont? populaire est bafou?e, o? la d?mocratie est d?voy?e, ils ont le devoir de faire entendre leur voix. Au risque du d?shonneur, si le mutisme est victorieux. Mais cette voix ne sera cr?dible, donc audible pour les Marocains, que s'ils parviennent ? r?former leur formation politique de l'int?rieur. A d?faut, le d?shonneur se conjuguera au suicide politique.

Un plan d'urgence et des perspectives

Aujourd'hui, Il devient insupportable pour nombre de militants de voir l'Istiqlal glisser hors de l'histoire et perdre la ma?trise de son destin, alors qu'il dispose de tous les atouts pour jouer un r?le majeur dans le Maroc du XXIe?si?cle. La crise politique, morale et identitaire du parti ne sera pas r?solue par des discours m?moriels ou des man?uvres d'appareils, mais par des actes qui donneront aux militants l'assurance que les valeurs de leur parti sont prot?g?es, aux sympathisants que leurs r?f?rentiels id?ologiques sont sauvegard?s, et aux citoyens que leurs exigences socio?conomiques sont ?cout?es. La parole de l'?quipe dirigeante du parti ?tant inaudible et son action allant ? contresens des attentes du pays, la tenue sans d?lai d'un Conseil national extraordinaire devient in?luctable. Son ordre du jour doit porter sur un point unique : le changement imm?diat des instances du parti et l'installation d'une ?quipe restreinte, une sorte de directoire form? d'un trio r?nov? de dirigeants ?m?rites, aux comp?tences et ? l'exemplarit? reconnues, qui sera charg?e de d?finir un plan d'urgence et de g?rer coll?gialement et transitoirement le parti jusqu'au prochain congr?s, avec comme perspective les l?gislatives de 2016. Cette ?quipe in?dite aura la mission de pr?parer dans le strict respect des r?gles de transparence et d'?quit?, la tenue d'un congr?s refondateur pour l'Istiqlal. Un congr?s de la renaissance, qui fera en sorte que le parti ne soit plus un lieu de reproches r?ciproques et de confrontations st?riles pour des ?gos d?mesur?s en recherche d?sesp?r?e de strapontins. Comme il veillera ? ce que le parti ne soit plus un lieu de complaintes et de retours vers le pass?, f?t-il glorieux, mais un cadre de d?bats d'id?es, de rencontres id?ologiques et intellectuelles, de dialogue citoyen et surtout d'action politique et de projets pour l'avenir.

Un projet d'avenir

La pr?paration du congr?s de l'Istiqlal doit ?tre l'occasion de d?battre sans tabou de tous les sujets qui int?ressent la vie des Marocains et l'avenir des jeunes g?n?rations, avec l'ambition de b?tir tant un projet de soci?t? audacieux, qu'un mod?le politique moderne et un programme ?conomique efficace. Un projet de soci?t? o? tous les Marocains sont des citoyens ? part enti?re, et non de simples ?lecteurs, qui sont prot?g?s dans la pl?nitude de leurs droits individuels et collectifs, et qui jouissent de la libert? politique, culturelle, syndicale, de croyance et de conscience. Une soci?t? marocaine o? l'on ne marie plus les jeunes filles mineures, o? les femmes ont le droit de disposer de leur corps et de proc?der ? une IVG, o? le droit d'h?ritage respecte l'?quit? des genres, o? l'Etat ne prononce plus de sentences de mort. Un Maroc moderne o? les fonctions r?galiennes de l'Etat, l'?ducation, la culture, la sant?, le logement, l'emploi et le pouvoir d'achat, ne sont plus une fiction ou un droit au rabais mais une r?alit? tangible pour chaque citoyen dans son rapport au quotidien avec les services publics. Une soci?t? marocaine qui f?d?re tous ses enfants, les rassemble sur des grandes causes, sur une conception commune de la monarchie constitutionnelle et de la d?mocratie, sur la d?fense pacifique mais sans concession de l'int?grit? territoriale, sur l'Islam du savoir et de la tol?rance, sur le refus de l'extr?misme, du terrorisme religieux et de la barbarie, sur la d?fense des couches sociales les plus fragiles. Quant au mod?le politique, il doit redonner une cr?dibilit? aux partis politiques, soumettre leurs dirigeants ? des obligations de r?sultats, les contraindre ? la reddition des comptes et ? la transparence de leurs actes de gestion, leur imposer une obligation de publicit? des patrimoines et des revenus, leur appliquer des r?gles d'incompatibilit?, de cumul et de limitation de mandats dans le temps. Pour garantir l'ind?pendance et l'impartialit? des d?cideurs, ce mod?le doit instituer une muraille de Chine entre d'une part,? la responsabilit? politique et la haute fonction publique et, d'autre part, le monde des affaires, comme il doit porter l'?lite intellectuelle, scientifique et manag?riale marocaine aux plus hautes fonctions dans la gestion des affaites publiques nationales et dans la diplomatie. Le programme ?conomique doit proposer une strat?gie alternative, qui permette de stimuler la croissance, cr?er plus d?emplois, renforcer le pouvoir d'achat des citoyens, booster la consommation et l??pargne des m?nages, ?largir l?assiette fiscale, augmenter le rendement de l?imp?t, lutter contre l'?vasion et la fraude fiscales, am?liorer la qualit? des services publics, r?duire l?ob?sit? administrative, rendre les collectivit?s locales et les ?tablissements publics plus performants, am?liorer l?efficacit? des fonctionnaires et lutter contre la corruption, ma?triser l'endettement public, accro?tre l?investissement des entreprises et d?velopper l?innovation technologique. Ce programme doit s'attaquer aussi ? la r?novation de la politique mon?taire, ? la r?forme du mod?le ?conomique des banques, ? l'?mergence d'une nouvelle g?n?ration de dirigeants bancaires, ? la cr?ation d'une banque publique d'investissement et de soutien ? l'industrie, ? la restructuration de la Bourse de Casablanca et des organes de r?gulation et de contr?le des march?s financiers, etc. Le nouveau parti de l'Istiqlal doit devenir l'alternative cr?dible ? une ?lite politique autiste, p?remptoire et impuissante face aux cris des couches populaires abandonn?es et d?prim?es qui ont choisi de se donner en masse, cette fois-ci, aux deux extr?mes mortif?res pour la d?mocratie : l'un, incarn? par une organisation qui ?rige l'?thique religieuse en mod?le politique et, l'autre, port? par une formation pour qui la prise du pouvoir politique est ?rig?e en religion. Pour le Maroc, pour la d?mocratie, pour la viabilit? des institutions politiques, il faut que l'Istiqlal se r?g?n?re. Les citoyens l'observent avec exigence et ses sympathisants avec col?re. A juste titre. Le temps lui est compt? et ses ?lites doivent agir vite. Le nouveau Istiqlal doit ?clore rapidement. Mais il n'y a pas de renaissance sans r?formes, comme il n'y a pas de d?mocratie sans v?rit?. Reformuler la v?rit? pour entra?ner le parti vers le haut, c'est le d?fi qui attend ses militants. Ils ne doivent pas sous-estimer les obstacles auxquels se heurte cette d?marche, mais ils doivent avoir la volont? de les surmonter. A la crise de confiance et de succession que traverse leur famille politique, ils doivent apporter des r?ponses de cr?dibilit? et d'unit? et se mettre en action. Comme nagu?re le parti de l'Istiqlal, avec ses p?res fondateurs, ? leur t?te Si Allal El Fassi, avec ses ?lites et ses militants, a su relever des d?fis historiques pour le pays, saura aujourd'hui r??crire une nouvelle page de l'histoire du Maroc contemporain et affirmer son r?le incontournable au service des valeurs dont d?pendent la libert? et la dignit? de tout le peuple marocain. Il d?pend des militants, que les intelligences de leur parti commencent, enfin, ? se rapprocher et ? envisager un destin commun b?ti sur la confiance et la responsabilit?. Le devoir d'audace leur permettra de faire de cette renaissance de l'Istiqlal la valorisation d'un h?ritage historique, la reconnaissance d'un ancrage moral,? la victoire d'un projet de soci?t? et la sublimation d'un destin partag?. Cette perspective n'est ni un r?ve, ni une utopie, c'est juste une ambition pour notre pays. Le temps presse. Aux citoyens d'exiger. Aux militants d'agir.

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