Adieu l’ami, Si Mohammed Bastaoui

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fw_le360_mohamed_bastaoui_et_mohamed_khouyi-2 Apr?s Ahmed Za?di et Abdallah Baha, il y a peu de temps, aujourd?hui, c?est celle de Mohammed Bastaoui qui nous endeuille. Mohammed Bastaoui est mort. Je n?ai pas pleur? ? chaudes larmes le jour o? j?ai vu son cercueil port? par d?innombrables bras vers la tombe qu?on venait de lui pr?parer au cimeti?re Achouhadas. La terre, ce jour-l?, malgr? un soleil ?clatant, s??tait humidifi?e par les larmes abondantes de toute cette assistance qui aimait ce com?dien plus que nature. Je ne pus m?approcher de la tombe pour assister ? la c?r?monie d?enterrement que les cam?ras des cha?nes marocaines filmaient pour informer le soir m?me tous les foyers marocains de ce personnage hors pair qui leur apportait un peu de joie dans toute cette grisaille. Le fallait-il d?ailleurs?? Et pourquoi?? J??tais en compagnie de Si Mohammed Abderrahmane Tazi puis de Driss Roukhe et Mohammed Nadif, debout un peu loin des nombreuses personnes qui s??taient agglutin?es autour de la tombe, coinc?es entre les all?es qui s?paraient les tombes, des all?es tellement ?troites qu?elles pouvaient ? peine contenir la semelle d?un soulier. J?avais l?impression de fouler aux pieds la mort et qui soudainement emplissait les lieux et nos c?urs. C?est la mort des autres qui nous rappelle la n?tre. On l?oublie souvent, engonc?s comme nous le sommes en temps de paix avec la mort dans notre arrogance et notre suffisance quotidiennes. Ceux que je tentais d??viter de pi?tiner dans leur qui?tude d?une apr?s-midi ensoleill?e m??taient inconnus. Je me rappelais soudain la mort tragique d?Ahmed Za?di et celle d?Abdallah Baha, il y a peu de temps. Aujourd?hui, c?est celle de Mohammed Bastaoui qui endeuille tout un peuple. La faucheuse a ?tabli ces derniers temps une liste o? ne figuraient que des gens bien. Les autres peuvent encore attendre. Mohammed ?tait sous terre maintenant. Les nombreuses personnes qui s??taient amass?es autour de sa tombe s?en allaient d?j?, la t?te basse et le regard encore embu? de larmes de la s?paration inattendue. L?adieu au mort ?tait fait et il fallait retourner ? la vie. Nous avan??mes, Driss, Mohammed et moi, vers la tombe encore fra?che, d?un pas meurtri pour poser la main sur le front froid de notre cher ami pour lui souhaiter un sommeil profond et serein pour l??ternit?. Les derniers officiants d?gag?rent les abords de la tombe et nous p?mes avancer pour accomplir notre derni?re offrande ? celui qui en avait tant distribu? toute sa vie. En baissant le regard vers la tombe, je fus stup?fait par ce monticule de terre si petit que je me demandai si Si Mohammed avait rapetiss? ? ce point?! Ceux dont l?arrogance n?a d??gale que leur fatuit? et leur suffisance doivent apprendre l?humilit? et dont se pr?valent des gens comme si Mohammed Bastaoui. Alors que j?emportais avec moi un homme immense autant par son art que par son comportement dans un corps ? la chevelure abondante qui grossissait une t?te aux yeux immenses et noirs qui brillaient ? la vie malgr? les nombreuses vicissitudes qui ont jalonn? son existence, voil? que j?avais devant moi un monticule de terre surmont? d?une pierre en granit pos?e sur son front comme si elle l?emp?chait de s?envoler vers les cieux pour nous laisser orphelins de son art. Une petite tombe qui t?moigne de notre lot dans l?au-del? et nous rappelle notre condition sur cette terre : humble et passag?re. Cette terre que l?on pi?tine tout le temps et qui nous dit qu?elle nous attend, ? la mani?re de Jacques Brel. Je ne pouvais pas pleurer ? on dit que la plupart des gens ne pleurent pas la mort de l?autre mais qu?ils pleurent sur eux-m?mes - car le sourire de si Mohammed me l?interdisait et me rappelait que la vie n?est rien devant la g?n?rosit?, la simplicit? et le don de soi. C??tait la philosophie de la vie de Si Mohammed. Il me l?avait dit ? maintes reprises. La derni?re fois, c??tait ? Oued Laou o? il ?tait venu passer une semaine avec moi pour oublier un peu le monde, disait-il. Je ne sais pas de quel monde il parlait car son monde ? lui ?tait humble comme lui, de petites gens qu?il c?toyait tous les jours. En allant accomplir mon devoir aupr?s de sa petite famille dans ces rues boueuses de Bab Sebta, je me suis perdu dans ces d?dales de ruelles faussant compagnie ? mon ami Rachid Bromi. J?avais l?esprit ailleurs. Je me demandais si la lumi?re des stars pouvait briller au milieu de cette pauvret? ? ciel ouvert. Si c??tait le lot de nos artistes que de vivre tout le temps dans la pr?carit? et l?indigence sans r?mission aucune. Si Mohammed ne s?en offusquait gu?re. Je demandais alors ? une grosse femme qui vendait du coriandre et du persil, par terre, adoss?e ? la muraille qui cerne la m?dina si elle pouvait m?indiquer la maison du d?funt. Elle se leva subitement et me dit qu?elle allait m?accompagner. J?essayais de la convaincre de m?indiquer seulement la direction sans qu?elle soit d?rang?e, elle ne l?entendait pas de cette oreille. Elle avait abandonn? son maigre capital pour me dire qu?elle devait elle aussi aller pr?senter ses condol?ances pour un homme que toutes les petites gens aimaient. Elle m?accompagna jusqu?? la demeure de si Mohammed et, sur le chemin, elle ne cessait de parler de celui qui fut leur compagnon de toujours, malgr? sa notori?t? et sa c?l?brit?. On se gonfle pour moins que ???! Certes, cette notori?t? immense est due aux nombreux t?l?films et sitcoms o? si Mohammed excellait. Un r?le qu?il avait perfectionn? et qui lui collait ? la peau comme une carnation existentielle. De l?alimentaire, disait-il souvent ? ceux qui lui reprochaient de c?der ? la facilit?. Rachid Nini, dans sa chronique-hommage au d?funt, dans Al Akhbar, a eu raison de rappeler l?autre face de si Mohammed Bastaoui, l?authentique. Celle de ses r?les au th??tre avec Th??tre Chams dans des spectacles qui ont fait le bonheur du th??tre marocain avec une ?quipe d?artistes hors pair comme Youssef Fadel, Mohammed Khayi, Abdellatif Khammouli, Bena?ssa Jirari, Mohammed Choubi et Abdelmajid El Haouasse. Ses prestations dans quelques longs m?trages avec Daoud Oulad Sayed avec qui il a jou? dans la plupart de ses films ou avec Faouzi Bensa?di dans Mille mois. Mohammed Bastaoui ?tait un acteur prolixe et avide de connaissances et de perfection. Je me rappelle encore ses remarques pleines de regret et de d?pit quand nous montions ? l?ISADAC Al Ma?sul avec la troupe TNT de S?ville, quand le metteur en sc?ne espagnol exigeait de la troupe de venir t?t le matin pour des exercices physiques et de voix, des pratiques inhabituelles chez nous. Il en riait, non pas par d?nigrement mais par d?pit de ne pas avoir chez nous des metteurs en sc?ne qui respectaient le m?tier et lui donnait toute sa dimension cr?ative. Dans ce spectacle, Si Mohammed autant que Mohammed Khayi et Bena?ssa Jirari ?taient m?tamorphos?s. C?est ?a le th??tre, me disait-il en lan?ant ce sourire franc et rugueux comme l?est celui des campagnards authentiques. ??Un sourire co?te moins cher que l??lectricit?, mais donne autant de lumi?re??, disait l?Abb? Pierre. Ton sourire est la lumi?re qui ?claire le c?ur de tes fans. Il m?accompagnera toujours. Dors en paix, si Mohammed, je te pleurerai en silence loin des regards, ici, face ? la mer qui balancera pour toujours la g?n?rosit? de ton ?me.

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