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Affaire «des terrains du Souissi» : Le populisme a-t-il gagné?
Interpel? par les r?actions de l?opinion publique ? la ??liste?? des b?n?ficiaires des lots de terrain au quartier Souissi, Hatim Benjelloun, dipl?m? en science politique (Bordeaux) et directeur associ? de PASS (Public Affairs & Services) a r?agi avec distance par une tribune dans le quotidien l?Economiste du 1 ao?t 2016. Dans le brouhaha ambiant, il apporte une note de s?r?nit?. Nous en publions le texte avec l?aimable autorisation du journal.
L?heure est grave. L?actualit? s?encha?ne. Les ?motions se d?cha?nent. Impalpable, l?histoire du Maroc moderne s??crit de mani?re bien particuli?re. Je vois, je lis et je rumine ce que les r?seaux sociaux et les m?dias fulminent. L?affaire dite ?des terrains du Souissi? ouvre un chapitre bien inqui?tant. Et mes inqui?tudes sont pourtant ailleurs. On accuse. On cite des noms. On d?voile des listes. Et il est, je le conc?de, difficile de se positionner ? contre-courant de ce que l?opinion publique pense, si on peut attribuer une pens?e globalisante au peuple. Pourtant, j?aimerai alerter sur les d?rives, larv?es, des r?actions ?sensationnalistes?, autour de cette nouvelle affaire.
Reconsid?rer les comportements ??motionnels?
Ce contexte, o? des personnalit?s, nomm?ment d?nonc?es, subissent la vindicte populaire, me rappelle ?trangement des p?riodes sombres de l?histoire. Le listage des ?ind?sirables? a souvent ?t? l?outil de propagande le plus abouti des r?gimes dictatoriaux. Puis-je commencer ? croire que dans un Royaume mill?naire, plus personne ne pourrait ?tre ? l?abri, d??tre un jour inscrit dans une liste ?noire?? Une liste qui ostracisera nos id?es, nos go?ts, nos pens?es. Une liste qui nous jugera ? l?aune de nos origines sociales, de notre histoire, de notre patrimoine, fut-il mat?riel ou immat?riel. Il est ? mon sens urgent de reconsid?rer les comportements ??motionnels? instantan?s qui tendent vers la stigmatisation, sans r?gles ni droit. Dans une logique sereine, d?mocratique et juste, ce qui devrait nous int?resser, ce n?est certainement pas les noms des personnes b?n?ficiant des privil?ges de l?Etat, mais plut?t comprendre les m?canismes qui les institutionnalisent et les l?gitiment. Notre effort d?analyse n?cessite une d?construction de nos a priori, alli?e ? un sens du r?alisme et de l?honn?tet?. La course aux privil?ges est un sport national. Cette tendance est l?apanage des soci?t?s in?galitaires, o? les passerelles classiques de promotion et de valorisation de l?individu sont d?ficientes. En cons?quence, les individus, toutes classes confondues, cherchent en permanence ? court-circuiter les r?gles, pour obtenir quelques privil?ges et passe-droits: l?incivisme r?current dans nos villes en est d?ailleurs un des sympt?mes. L?acquisition de domaines ou terrains publics, au nom de services rendus ? la nation, ne pr?sente pour moi rien de choquant. Car la nature humaine pousserait n?importe quel individu, quelle que soit son origine sociale, ? accepter les avantages en nature que lui offre le syst?me auquel il contribue. Nous sommes finalement dans le d?bat, bien ancien, autour de la l?gitimit? du syst?me des agr?ments et des positions de rente ?h?r?ditaires? dont b?n?ficient quelques citoyens marocains, des plus puissants aux plus d?munis.
Changer notre grille? de lecture
Le probl?me ne r?side donc pas dans le sens de l??thique et de la morale des personnalit?s publiques, mais dans la matrice de r?gles, codes et normes qui r?gulent notre soci?t?. Le Maroc ne tranchera pas le n?ud gordien du d?bat mill?naire autour de l??thique en politique. Il existera toujours des privil?ges et des privil?gi?s. Ils peuvent ?tre bons et justes, comme ils peuvent ?tre guid?s par des intentions malsaines. Nous devons pourtant forcer notre sens commun des responsabilit?s. Nous sommes dans l?imp?ratif citoyen d?avoir confiance dans nos institutions, aussi fragiles soient-elles, et renforcer notre croyance dans l?Etat de droit. Il est plus que jamais urgent de ne pas s??branler face aux sir?nes populistes, qui utilisent nos consciences, et notre sens inn? de la cr?dulit?, pour nous enfermer dans une matrice vindicative dangereuse. Notre devoir est de cr?er les r?gles de droit pour juguler, att?nuer ou contr?ler ces pratiques. Et ce n?est certainement pas ? travers l?ostracisme et la condamnation arbitraire que nous pouvons asseoir les fondamentaux du progr?s.
Il importe, durant un court instant, de changer notre grille de lecture. Le postulat qui m?int?resse ici est le ph?nom?ne grandissant du ?populisme? m?diatique, politique et citoyen qui traverse notre soci?t?. Un courant, pourtant tr?s peu connu dans l?histoire du Royaume. Un populisme qui ne porte pas ?encore? de nom, et qui parcourt notre soci?t? en semant trouble et? ?moi au sein d?une population d?senchant?e et blas?e. Marx disait: le populisme est ? la fois le sympt?me d?une d?tresse r?elle et l?expression d?une illusion. La d?nonciation arbitraire des injustices ne vaut pas justice, la condamnation pr?cipit?e des in?galit?s ne vaut pas progr?s social, la stigmatisation syst?matique des ?nantis? ne vaut pas paix sociale. La d?mocratie est une dynamique humaine qui s?abreuve de la force des citoyens ? croire en elle, ? lui faire confiance, ? lutter pour elle, ? penser pour elle, avec patience et t?m?rit?.