Les raisons du succ?s de l??uvre de cet auteur se trouvent ailleurs que dans les champs stylistique, litt?raire, esth?tique, po?tique, artistique.
Les critiques litt?raires ne sont g?n?ralement pas aim?es. Ils sont consid?r?s au mieux comme des professeurs aigris, agissant comme tels dans leurs chroniques, au pire comme des ?crivains rat?s, incapables de faire ?uvre artistique. Il en faut pourtant de ces lecteurs-critiques pour que l??uvre s?accomplisse en ?uvre et qu?un r?cit s?accomplisse en r?cit. Une ?uvre litt?raire ne devient elle-m?me que quand la r?ception du critique-lecteur la rend ? elle-m?me, diff?rente et pourtant semblable. J?ai lu toute l??uvre d?Abdallah Taia, en particulier les romans, en particulier le dernier, ??Un pays pour mourir??, en critique qui se voulait et se veut toujours bienveillant envers un jeune auteur pers?v?rant et tenace. Comme chroniqueur toutefois je n?ai pas r?ussi ? ?crire une seule chronique, ? formuler une seule analyse, ? exprimer un seul avis ? propos de r?cits accueillis favorablement par la critique marocaine et surtout ?trang?re. Qu?est-ce qui fait qu?un parcours litt?raire qui d?bute avec un prix (le prix du Flore) et est jalonn? de distinction diverses ne suscite et n?inspire en moi qu?une curiosit? de circonstance?? J?aurais d? au moins ?crire une chronique de circonstance. Mais non, la page reste d?sesp?r?ment blanche. Introuvable chronique?! M?me la tentative de comparer l??uvre de ce jeune auteur ? celle de l?un de ses a?n?s dont 2015 est le centenaire de la naissance (A. Sefrioui) fut une tentative vaine. J??cris justement aujourd?hui cette chronique pour essayer de comprendre pourquoi je ne suis pas arriv? ? ?crire de chronique. Ou pour qu?un lecteur apitoy? m??claire sur cette ?trange impuissance. Sunny Suits, pourtant, pr?sente cet auteur comme un h?ros puisque, dit-elle, il a aid? ? changer au Maroc le discours sur l?homosexualit? et peut-?tre m?me ? changer ailleurs le regard port? sur les Arabes. Mais cette remarque bien que trop ?logieuse n?est pas arriv?e ? me convaincre que cette ?uvre m?ritait une chronique. Que la tendance sexuelle affirm?e avec passion par cet ?crivain soit un fonds de commerce in?puisable, cela n?a en soi rien de condamnable. D?autres auteurs dans la ??litt?rature-monde?? l?ont exploit?e et l?exploitent encore en th?matique juteuse. Qu?elle soit aussi et ? chaque instant jet?e en provocation rageuse ? la face d?une soci?t? conservatrice et frileuse (pour longtemps encore), l?est un peu plus. Lisant ??Un pays pour mourir?? je me suis dit en fin de lecture que ce ne sont pas ces pauvres h?res qui sont all?es mourir loin d?une soci?t? impitoyable ? leur errance, mais bien la litt?rature elle-m?me. Je me suis mis ? regretter la puissance du style de A. Laabi, l?intellectualisme recherch? de A. Khatibi, les surprises s?duisantes de l?expression chez Z. Morsy et la finesse de l??criture de A. Kilito qui fut le ma?tre es langue fran?aise de A. Taia, que ce jeune ?crivain admire ? juste titre. Je ne sais s?il aurait accept? le style de son ancien ?l?ve qui se caract?rise tout simplement par une absence de style. Jugez-en par vous-m?me. Accepterait-il ce paragraphe?: ??
Mais il n?a plus d?eau chaude. Il les (les aisselles) rince avec l?eau froide du robinet. Grave erreur, dont il ressent imm?diatement les cons?quences. Il s?est dit?: ??Mon corps ?tait en ?t? et le voil? maintenant en hiver???!!! Et cette phrase?: ??
cela ne prend pas tant de temps que cela?? et cette autre ? je renoncerai ? moi l?homme, masculin, en m?inspirant de toi?? et ??mais ce c?t? musulman est tellement plus inspirant sur eux?? enfin ? je crois qu?on appelle cela le Bing Bang. Il n?y a rien. Absolument rien. Bouoummm??. A la limite tout cela est acceptable pour un lecteur distrait et press? mais pour celui qui le serait moins il y a ? la fin du roman un mot qui pourrait l?intriguer et lui poser un l?ger probl?me de compr?hension tant au niveau de la s?mantique qu?au niveau de la phon?tique. C?est le mot ??
louises?? dans la phrase suivante ??? je l?ai aid? ? sortir le sac qui contenait au moins dix kilos de louises. De vraies louises d?avant. Tr?s belles. Tr?s grosses?. Nous avons r?partis les dix kilos de louises???. ?Il s?agit bien ?videment de cette monnaie frapp?e au temps du roi fran?ais Louis XIII. J?ai cherch? ce f?minin dans tous les dictionnaires, je ne l?ai pas trouv?. L??crivain m??clairera s?rement puisqu?il l?a utilis? sans h?sitation. Pour moi, en attendant cet ?clairage, ce f?minin est bien ?videmment la prononciation de nos p?res et de nos m?res qui, quand ils le pouvaient, th?saurisaient ainsi en langue dialectale en ?voquant les louis d?or. Mais l?auteur utilise ce f?minin ?tranger ? la langue fran?aise comme s?il ?tait enfin de compte le masculin de la langue fran?aise. Touchante confusion.
Les raisons du succ?s de l??uvre de cet auteur se trouvent ailleurs que dans les champs stylistique, litt?raire, esth?tique, po?tique, artistique.
Cette r?ussite trouve sa source dans le snobisme exotique du microcosme litt?raire parisien quand le candidat-auteur ou l?apprenti-?crivain ?pouse ses go?ts et r?pond ? ses attentes.