Ce qui doit changer pour que Rabat reconsidère sa position vis-à-vis de l'Iran - Par Bilal Talidi  

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Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères iranien, Ismail Baqaei -  Les relations irano-marocaines n’ont pas connu de stabilité durable au cours du dernier demi-siècle. Des relations privilégiées établies par le Shah d’Iran avec Rabat, elles sont passées à des périodes de tension extrême après la révolution iranienne

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Cette semaine, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères iranien, Ismail Baqaei, a déclaré que la République islamique d’Iran accueille favorablement l’amélioration et l’élargissement des relations avec le Maroc. Il a également exprimé un intérêt particulier pour une coopération économique et diplomatique, une annonce officielle traduisant la volonté de l’Iran de tourner la page des différends avec le Maroc.

En réalité, cette déclaration fait partie de la révision par l’Iran de sa politique étrangère envers le monde arabe. Ce processus a débuté avec les pays du Golfe et se tourne désormais vers les pays d’Afrique du Nord, conformément à la vision exprimée par le président réformiste Massoud Pezeshkian après sa victoire aux élections présidentielles en Iran.

Les relations irano-marocaines n’ont pas connu de stabilité durable au cours du dernier demi-siècle. Des relations privilégiées établies par le Shah d’Iran avec Rabat, elles sont passées à des périodes de tension extrême après la révolution iranienne, marquée notamment par une fatwa officielle émise par des érudits marocains déclarant l’imam Khomeini apostat. Une relative détente s’est produite après la fin de la guerre Iran-Irak et la mort de Khomeini dans les années 1990 et au début des années 2000. Cependant, ces relations ont été officiellement rompues par Rabat en 2009, puis rétablies en 2016 avant une nouvelle rupture diplomatique en 2018.

Une réconciliation subordonnée à des calculs complexes

Les trois ruptures diplomatiques ont toutes été initiées par Rabat, et trois points de tension majeurs ont marqué les relations entre les deux pays : Le désaccord sur l’exportation de la révolution iranienne vers les pays arabes en 1979, la diffusion du chiisme en 2009 et l’accusation par Rabat en 2018 selon laquelle l’Iran soutenait le Front Polisario et que le Hezbollah libanais entraînait ses milices en Algérie.

En réalité, la décision de normaliser les relations avec Rabat, du côté de l’Iran, et une éventuelle réponse favorable de Rabat à cette volonté iranienne de réconciliation obéissent à des calculs complexes, intégrant des considérations de gains et de pertes, ainsi que la possibilité d’une convergence sur des questions internationales et régionales.

Du côté de l’Iran, les gains potentiels d’une reprise des relations avec Rabat dépassent largement les pertes. La seule perte notable pourrait être la réaction de l’Algérie si l’Iran adoptait une position positive sur la question du Sahara. Cependant, même cette hypothétique perte pourrait se transformer en gain pour l’Algérie dans le contexte actuel, ou au moins en un allègement des pressions qui pèsent sur elle. Les pressions américaines et européennes sur l’Algérie sont principalement motivées par ses relations avec Moscou et Téhéran. Dès lors, réduire ses liens avec l’Iran pourrait permettre à l’Algérie de projeter une nouvelle image moins sujette aux critiques internationales.

En dehors de cette hypothèse, une reprise des relations avec Rabat représenterait un grand avantage pour l’Iran, qui fait face à une pression croissante sur son programme nucléaire et ses alliances avec les axes de la résistance dans leur combat contre l’occupation israélienne. L’Iran estime que, après avoir normalisé ses relations avec l’Arabie saoudite et renforcé ses liens avec les pays du Golfe ainsi qu’avec Le Caire, il est nécessaire de compléter cette politique en élargissant ses relations avec les pays du Maghreb, en particulier pour atténuer les tensions avec Washington.

Rabat peu enthousiaste

Du côté de Rabat, les calculs de gains et de pertes sont beaucoup plus complexes. L’historique des relations avec Téhéran soulève trois principales préoccupations :  

D’abord, la politique régionale de l’Iran au Moyen-Orient et dans le Golfe. Rabat considère cette politique comme une tentative de déstabilisation de la région et de création de situations de non-État permettant à Téhéran d’établir des relais locaux, qui deviennent au fil du temps, grâce à leur armement, des entités supérieures à l’État. À l’inverse, la politique de Rabat vise à soutenir la stabilité régionale, à encourager des processus de résolution pacifique au Moyen-Orient, et à renforcer les institutions étatiques et leur souveraineté.  

Ensuite la dimension confessionnelle de la politique iranienne. Téhéran cherche à répandre le chiisme dans le monde arabe, créant ainsi des allégeances confessionnelles qui se transforment ensuite en allégeances politiques envers l’Iran. En 2009, Rabat a présenté l’affaire de l’école irakienne comme preuve, où deux élèves ont été expulsées pour avoir refusé de se conformer à des programmes éducatifs visant à inculquer des croyances chiites. Rabat a alors accusé l’Iran et son ambassadeur de promouvoir un agenda chiite, bien que Téhéran ait nié ces accusations. Cependant, les exemples du Liban, du Yémen, de l’Irak et de la Syrie montrent que cette dimension confessionnelle est indissociable de la politique iranienne dans la région. Ce défi est d’autant plus important pour Rabat que la fragilité économique et politique en Tunisie, notamment sous Kaïs Saïed, a permis à l’Iran d’étendre son influence dans le pays et de promouvoir le chiisme parmi les élites et les jeunes. Bien que les services de renseignement marocains soient performants, cette question constitue un défi majeur pour Rabat, qui considère l’unité confessionnelle (les trois piliers sunnites : l’acharisme dans la croyance, le malikisme dans le droit et le soufisme dans le comportement) comme un fondement de son identité nationale.

Enfin le troisième enjeu concerne la position de Téhéran sur le conflit autour du Sahara et son soutien au Front Polisario, que ce soit directement ou par l’intermédiaire du Hezbollah.  Cet enjeu, sans aucun doute, pourrait être levé en cas de normalisation entre les deux pays, ce qui constituerait un atout pour Rabat et affaiblirait le Front Polisario. L’implication du Hezbollah dans la guerre israélienne au Liban, ainsi que l’engagement de l’Iran dans le soutien des axes de résistance qui lui sont affiliés, ont allégé ce défi pour le Maroc. Ni le Hezbollah, ni aucun autre relais de l’Iran ne peuvent, dans ces circonstances, apporter un soutien militaire, logistique ou technique au Front Polisario.  

Un frein, le coût d’un rétablissement des relations

Cependant, il n’y a aucun signe indiquant que Rabat est particulièrement enthousiaste à l’idée de rétablir ses relations avec Téhéran. Ce n’est pas parce qu’elle ne souhaite pas gagner un nouvel allié pour soutenir sa cause nationale, mais plutôt parce que la politique régionale de l’Iran et le coût de répondre favorablement à sa volonté de normaliser les relations pourraient être plus élevés que les bénéfices pour la politique étrangère et régionale du Maroc.  

Rabat pourrait tirer parti de deux points principaux :  

  1. La faiblesse ressentie par Téhéran face à la situation explosive au niveau régional et à l’intensité des pressions internationales.  
  2. Gagner davantage de temps pour observer, écouter, consulter et attendre des actes plutôt que des paroles, en demandant un changement complet dans la politique iranienne envers la région maghrébine.  

Le temps joue aujourd’hui en faveur de Rabat. L’avancée dans une direction ou une autre, pour l’Iran, dépendra principalement de mesures concrètes prises par Téhéran, qui serviront de garanties de confiance et témoigneront d’un véritable changement de sa politique envers la région arabe et maghrébine. Rabat, comme l’a démontré sa politique envers Berlin, Madrid et Paris, exige des changements tangibles avant de répondre à des demandes de normalisation et de tourner la page des différends. 

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