Brésil : un virage à droite ou coup de semonce pour Lula  ? - Par Wahiba RABHI

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En dépit d’un bilan économique favorable, caractérisé par une baisse du chômage, une inflation sous contrôle et une croissance d’au moins 3% du produit intérieur brut cette année, le président Lula da Silva (Parti des Travailleurs-PT) se trouve dans une posture délicate

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Brasilia - Le Brésil vient de franchir un premier tour d’élections municipales, offrant un coup de pinceau prémonitoire à sa carte politique. Autrefois dominée par le rouge d’une gauche solidement ancrée, cette carte se pare désormais de vert, de jaune et de bleu, emblèmes de l’ascension des partis de centre et droite. Au-delà de cette recomposition chromatique, ce vent de changement annonce-t-il une redéfinition des équilibres politiques à deux ans des présidentielles ?

En dépit d’un bilan économique favorable, caractérisé par une baisse du chômage, une inflation sous contrôle et une croissance d’au moins 3% du produit intérieur brut cette année, le président Lula da Silva (Parti des Travailleurs-PT) se trouve dans une posture délicate. Sa popularité vacille dans les 26 capitales d’État. Bien que sa candidature pour un nouveau mandat soit attendue, l’ombre de Jair Bolsonaro (Parti Libéral-PL), malgré son inéligibilité, continue de planer sur la scène politique brésilienne.

L’ex-président de droite (2019-2022), fort de sa capacité à galvaniser les masses, s’efforce de préserver son influence politique en soutenant des candidats susceptibles de porter son héritage. L’émergence de figures comme le gouverneur de Sao Paulo Tarcisio Freitas, qui se positionne comme un leader conservateur, pourrait bien modifier la donne.

L’ascension du camp bolsonariste

Bien qu’éloigné de la scène politique officielle, Jair Bolsonaro conserve une influence déterminante à travers ses candidats. Sur les 103 grandes municipalités du pays – celles comptant plus de 200.000 électeurs et représentant 38,8 % de l’électorat national –, 10 candidats bolsonaristes ont été élus dès le premier tour qui s’est tenu dimanche, tandis que 23 autres se sont qualifiés pour le second tour. À l’inverse, Lula n’a vu que deux de ses candidats élus, avec 13 en lice pour le second tour.

À l’échelle nationale, ce sont principalement les candidats de droite et de centre- droit, souvent alignés sur le courant bolsonariste, qui ont obtenu les meilleurs scores.

"Les électeurs brésiliens ont massivement choisi des partis conservateurs, permettant ainsi à la droite de s’imposer lors des élections municipales. Toutefois, cette droite n’est pas monolithique et elle est toujours à la recherche d’un leader", explique le politologue Fabio Albergaria de Queiroz dans un entretien avec la MAP.

Le PL a présenté plusieurs candidats à travers le pays, permettant ainsi au parti d’être en lice pour le second tour dans neuf des 15 capitales d’État où l’élection sera décidée le 27 octobre, contre seulement quatre pour le PT de Lula.

Selon l’analyste politique, "cette élection met fin à l’idée d’une droite monolithique, façonnée à l’image de Bolsonaro et dépendante de lui de manière ombilicale. De nouveaux noms, tels que Tarcisio Freitas, gouverneur de Sao Paulo, émergent pour 2026, symbolisant une droite moins radicale".

Un second tour sous haute tension

Pour le président en exercice, les résultats du premier tour des municipales sonnent comme un avertissement. Dans les grandes métropoles, sa popularité semble s’effriter, le soutien à ses candidats y étant nettement plus faible. Certes, à Rio de Janeiro, Eduardo Paes, un centriste soutenu par Lula, a remporté un quatrième mandat dès le premier tour avec plus de 60 % des voix. Mais dans l’ensemble, la gauche accuse un net recul.

Le second tour offre néanmoins à Lula l’opportunité de redresser la barre. Si Guilherme Boulos arrive à l’emporter à Sao Paulo, le PT poura compter sur des alliés à la tête des deux plus grandes métropoles du Brésil. La bataille entre Ricardo Nunes, qui a récolté 29,48 % des voix au premier tour, et Boulos, qui a obtenu 29,07 %, s’annonce décisive. Bien que les sondages donnent un léger avantage à Nunes, soutenu par Bolsonaro, l’incertitude politique ambiante rend toute prévision risquée.

"Ce fut une défaite cinglante pour la gauche, qui a essuyé des pertes dans toutes les capitales d’État. En somme, ce fut un coup dur pour le PT. La situation n’est pas entièrement désespérée, car le second tour à Sao Paulo sera un test crucial pour Lula qui devra démontrer sa capacité à reconquerir sa popularité", analyse Fabio de Queiroz.

Flou et rivalités : quelle issue pour 2026 ?

La question centrale demeure : Lula pourra-t-il inverser la tendance et rallier un électorat de plus en plus divisé tout en faisant face à une droite renforcée ? La course à la présidentielle de 2026 est teintée d’incertitudes. Lula laisse planer le doute sur une éventuelle tentative de réélection et Jair Bolsonaro, malgré son inéligibilité jusqu’en 2030 en raison de ses attaques présumées contre le système électoral, espère encore faire annuler cette condamnation.

Le politologue insiste également sur le rôle décisif du gouverneur de Sao Paulo dans le soutien apporté à Ricardo Nunes. "Tarcisio se positionne comme le candidat le plus fort de la droite pour la course présidentielle", avance-t-il.

Si les résultats du scrutin municipal sont riches d’enseignements, leur transposition à l’échelle nationale reste périlleuse. Comme le rappelle Queiroz, "Historiquement, les municipales ont peu d’impact direct sur le plan national. Elles servent davantage à mesurer l’équilibre des forces et à peaufiner des stratégies pour les élections générales".

Le chemin vers 2026 s’annonce sinueux et les candidats devront naviguer sur une scène politique profondément fragmentée et imprévisible. Plus qu’une simple répétition, les présidentielles se jouent sur des enjeux plus larges, où l’avenir du Brésil se dessinera, cette fois à plus grande échelle.